Chapitre 3
Elisa était venue la trouver dans sa chambre très tôt le lendemain matin pour l’aider à s’habiller.
Une fois prêtes, elles descendirent toutes les deux dans la chambre où se trouvaient les hommes.
Elle toqua doucement et fut surprise d’entendre une voix forte l’inviter à entrer.
Poussant la porte, Gavin ne s’attendait pas à voir les cinq chevaliers déjà debout en train d’enfiler leurs tenues.
— Bien le bonjour, Milady ! fit la voix de Thomas en la laissant passer. Dame Elisa.
— Bonjour à vous aussi, répondit cette dernière.
— Comme prévu, je suis venue vous aider à vous habiller, fit Gavin, sachant qu’on les écoutait.
— Vous ne devriez pas, nous savons nous-
Mais des bruits de pas dans les escaliers les prévinrent qu’ils étaient espionnés. Un simple coup d’œil à la fille du château leur suffit pour savoir qu’ils devaient garder le silence et accepter poliment, au risque de la voir être punie par un refus de leur part.
Prenant la tunique de Thomas, Gavin tenta de dompter la tempête qui s’était levée en elle face à cet homme au torse musclé et bronzé. Une longue cicatrice lui barrait le torse, partant de son épaule gauche pour redescendre jusqu’à sa taille à l’opposé.
— Une marque de guerre ? hasarda-t-elle en l’aidant à passer le vêtement.
— Oui. Elle n’est pas belle à voir, n’est-ce pas ?
Gavin ne répondit rien.
Bien au contraire ! Cela lui ajoutait une touche qui le rendait dangereusement beau et sauvage.
Thomas respira par inadvertance l’odeur fleurie de la jeune femme, son corps frôlant le sien tandis qu’elle l'aidait à s’habiller. En jetant un coup d’œil à ses hommes, il put apercevoir la jeune Elisa aider Erik.
Son ami de longue date lui adressa un clin d’œil complice et s’adressa à la jeune fille avec douceur, non sans apprécier certaines piques que celle-ci lui renvoyait, répondant à ses blagues vaseuses qui firent même sourire Gavin.
Quand elle eut fini de l’aider, Gavin s’envola vers Caleb, l’ours de la bande. Un être très fort et impressionnant, que même Thomas n’arrivait jamais à battre, ou alors en usant de stratagèmes. Caleb étudia la jeune femme qui s’inclina respectueusement devant lui, chose étonnante. Il le lui rendit avec un léger sourire.
Caleb était un orphelin normand que le Roi avait ramené avec lui durant sa campagne anglaise.
Il parlait peu et était violent, n’aimait guère le contact des gens, mais était un homme doux et respectable. Digne de confiance et loyal, il avait rejoint la petite bande de Kirley, devenant ainsi ami avec les quatre autres.
Thomas, Erik, Caleb, Tristan et Cane, cinq hommes connus de toute l’armée du Roi.
Fidèles et loyaux serviteurs du Conquérant, ils avaient participé à bien des campagnes sous la bannière du souverain. Remportant maintes victoires, ils étaient devenus les confidents de ce dernier et s’étaient vu attribuer beaucoup de faveurs et de grâces de la part du Monarque, que tous les cinq adulaient. Ils avaient toujours refusé d’en profiter, alimentant ainsi des rumeurs à leur propos.
Cane et Thomas étaient tout deux Anglais et amis d’enfance, Erik un Viking tombé amoureux de l’Angleterre et avait décidé d’en prendre la nationalité. Le Roi la lui avait accordée après qu’Erik l’eut sauvé d’une attaque de Drakkar. Tristan était un Franc accompagnant la Reine et Caleb était Normand.
Leur petite bande était devenue très soudée avec les années.
— Si je vous fais mal, Messire, veuillez me le dire, retentit la douce voix de Gavin qui s’adressait à Caleb.
— Ne vous inquiétez pas, Ma Dame, vos doigts ne sauraient transpercer ma peau comme une lance pourrait le faire. entendirent-ils.
Gavin lui adressa un petit rire. Content de sa répartie, il la laissa continuer à manipuler les liens, ainsi que l’armure, recouvrant bientôt tout son corps, le rendant bien plus imposant et inquiétant que le Comte.
Elisa finissait d’habiller Cane quand les deux femmes se dirigèrent vers le dernier des hommes : Tristan.
— Deux femmes pour moi ? avait-il lancé tout en rougissant de gêne.
— Souhaitez-vous que ce soit Sire Caleb qui vous habille, Messire ? lui répondit Gavin.
Se raidissant de peur, Tristan blêmit.
— Non offense, mon ami, mais je préfère de loin être habillé par ces deux créatures.
Caleb se leva, craquant les os de ses mains, et étira sa nuque douloureuse.
— Lady Gavin a proposé que je prenne sa place, je ne fais qu’obéir, mon ami, non offense.
Gavin s’écarta et partit dans un fou rire incontrôlable. Les hommes la regardaient, étonnés, mais le rire d’Elisa les firent sourire, la complicité déjà installée entre eux sept était belle à voir.
— Laissez donc Sire Caleb faire, je suis bien curieuse de voir comment il s’y prend ! lança Elisa en frappant dans ses mains, postée aux côtés de sa maîtresse.
— Vos désirs sont des ordres, Miladies, s’inclina l’ours avant de prendre l'armure et de serrer d’un coup sec chaque attache, empêchant le pauvre Tristan de respirer.
Gavin ne pouvait s’empêcher de ressentir un peu de pitié pour ce pauvre garçon qui avait voulu rejoindre l’humour gras de ses compagnons. Elle posa une main sur l’avant-bras de l’homme qui, visiblement, s’amusait à lui mener la vie dure, lui enjoignant de la laisser finir le travail en allégeant la douleur du pauvre chevalier.
— Vous voilà enfin prêt à combattre les Saxons, Messire ! s’exclama-t-elle une fois fini.
— Je vous remercie, Milady. Veuillez m’excuser pour mes propos déplacés.
— Ne vous inquiétez point, Messire, vous avez été une pauvre victime, afin de m’accorder un peu de temps avant de retourner à ma réalité ! lui dit-elle en s’inclinant.
Alors que les deux femmes prenaient la direction de la porte, celle-ci s’ouvrit violemment sur…
— Henri ! s’écria Gavin en se reculant, effrayée.
Thomas n’avait pas attendu pour venir se placer devant elle, faisant rempart entre l’importun et la douce jeune femme, afin de le faire fuir.
— Messire, veuillez reculer, vous faites peur à ces Dames ! dit Erik, debout près de l’âtre de la cheminée.
— Je n’en ferai rien ! s’exclama ce dernier, rouge de colère. Ma fiancée et moi avons à parler.
— Votre fiancée ? s’étrangla Gavin. Je n’ai jamais consenti à être votre objet pour compléter vos biens et n’en ai point le désir !
— Votre père y consent, dit ce dernier en souriant.
— Je n’ai que faire des décisions de mon père. Je suis en âge de faire mes propres choix et vous ne vous trouvez dans aucun d’eux, Messire.
Tentant de faire bonne figure, Gavin se tenait droite face à lui, bien qu’il lui fasse peur et qu’il la dégoûte. Elle avança une main pour attraper la ceinture qui entourait la taille de Thomas, comme pour se rassurer.
Pourquoi cet étranger lui faisait ressentir cette envie de liberté et ce puissant sentiment de sécurité quand elle était auprès de lui ?
La main de Caleb se posa sur son épaule frêle. Ce dernier toisa Henri de toute sa hauteur, effrayant celui-ci qui bredouilla quelques mots, avant de prendre la fuite.
Gavin sentit toute sa peur s’affaisser et eut un léger vertige. L’homme près d’elle lui attrapa le poignet et la ramena contre son torse. La jeune femme planta son regard dans le sien.
— Merci, Messire.
— Vous sentez-vous assez bien pour descendre déjeuner ? s’enquit-il, sourcils froncés.
— J-J'ai déjà mangé, lui apprit-elle.
— Dame Gavin a pour habitude de manger avant tout le monde, intervint Elisa, afin de sauver sa maîtresse de l’embarras.
Thomas guida la jeune femme au teint blanchâtre jusqu’à la chaise en bois. Elisa apporta rapidement le broc d’eau et un linge rugueux qu’elle trempa pour lui passer sur le front et dans le cou, afin de la rafraîchir.
— Merci, fit-elle en écartant le linge de sa nuque sensible. V-Veuillez m’excuser pour cette… scène. Elisa, allons-y.
— Attendez ! s’écria Thomas en la rattrapant de justesse. Rejoignez-nous dans la cour. S’il vous plaît.
Gavin hocha faiblement la tête et partit. Elle avait besoin de retrouver ses esprits.
Le contact de cet homme était encore très présent en elle, mais également la peur qu’avait réussi à lui insuffler Henri en débarquant, tel un mari accusateur de tromperie, alors qu’elle ne faisait qu’obéir à une « punition » donnée par son père.
Une fois dans sa chambre, Gavin se laissa tomber sur son lit et se frotta les bras, essayant de se défaire de ses tremblements.
— Gavin, s’inquiéta son amie en venant s’installer près d’elle. Tout va bien ?
— Non… Henri m’a surprise, je ne m’attendais pas à ce qu’il se montre si tôt et encore moins dans leur chambre.
— Que faisait-il ici ? Penses-tu que ton père a pu le faire venir aussi tôt ?
— Il est venu non pas dans ma chambre, mais directement dans la leur, pour m’y trouver… répondit Gavin, aussi étonnée que son amie.
Elisa lui frotta le dos avec douceur, cherchant à lui apporter du soutien.
— Viens, nous devons retrouver les chevaliers dans la cour.
[…]
Alors que les cinq hommes en armures sanglaient une dernière fois leurs chevaux, jetant un regard au château d’où les épiaient le Comte et sa femme, Henri était posté près de l’homme imposant qui semblait ne pas avoir du tout confiance en eux.
— Messires chevaliers ! s’exclama une voix qui fit frémir Thomas jusqu’au plus profond de son âme.
— Lady Gavin, Lady Elisa ! s’exclama ce dernier en s'inclinant face aux deux femmes.
Le sourire que lui adressa à cet instant Gavin lui serra le cœur. Il savait qu’une fois parti, elle serait en danger.
— Milady, fit-il en se rapprochant d’elle. Je vais faire tout mon possible pour vous faire entrer au service de sa Majesté la Reine.
— Pitié, Messire, fit-elle en fermant les yeux. Bien que je prie pour que votre mission soit couronnée de succès, ne me faites pas espérer.
— Regardez-moi, ordonna-t-il d’une voix basse et calme.
Gavin riva son beau regard émeraude dans le sien et il sut à cet instant qu’elle ne serait à personne d’autre qu’à lui. Tout ce qu’il avait à faire était de la sortir de cette prison en la faisant venir au château et demander au Roi le droit de la faire sienne, tout en outrepassant l’autorité de ses parents.
Thomas était décidé. Certes il ne la connaissait pas, mais son cœur était seul décisionnaire de ses propres agissements.
Gardant un œil sur le trio toujours posté à l’entrée du château, Thomas lui prit la main et serra ses doigts dans les siens.
— Gardez un œil sur votre maîtresse, Lady Elisa. Ma Dame, vous avez ma parole que je vous ferai entrer au service de la Reine.
— Comptez sur moi, Messire Kirley.
Il relâcha sa main, non sans ressentir un manque à l’instant où il l’avait lâchée, puis passa son pied dans l’étrier, grimpant sur son cheval.
— Surveillez les messagers à cheval, vous reconnaîtrez celui qui viendra vous chercher ! annonça-t-il. Je ferai au plus vite pour convaincre Sa Majesté.
— Partez, murmura Gavin, tentant de tuer la lueur d’espoir qu’il avait réussi à faire naître en elle.
— Ne désespérez pas, Milady, lui dit Caleb. Vous pouvez faire confiance à Thomas.
— Merci, fut le seul mot qu’ils reçurent de sa part, avant que le Comte ne la rappelle.
Elisa s’approcha d’Erik et lui tendit un petit paquet avant de lui glisser :
— Faites bon voyage. Je sais que ma maîtresse peut paraître froide, mais sachez qu’elle vous est très reconnaissante de ce que vous faites pour elle.
— Vous, rectifia le chevalier.
Elisa rougit et s’écarta.
— Partez, maintenant.
— À bientôt, Dame Elisa.
— À-À bientôt, Messire Erik.
Le groupe se lança à la suite de leur chef et après un dernier regard inquiet adressé aux deux femmes, ils quittèrent le domaine pour se lancer au galop vers le château du Roi qui devait attendre leur retour.
— Dépêchons avant qu’il ne leur arrive quoi que ce soit ! s’écria Thomas, penché sur son destrier lancé à folle allure en direction des remparts qu’ils pouvaient déjà apercevoir.
***
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