Chapitre 4
— Ah ! s’exclama un homme installé autour d’une large table en bois renforcé. Sire Kirley, je vous attendais !
Le groupe s’avança, têtes hautes, vers le monarque qui semblait réellement ravi de retrouver ses plus fidèles chevaliers.
Une fois devant lui, ils mirent un genou à terre et saluèrent avec respect leur souverain.
— Relevez-vous, mes amis ! s’exclama ce dernier. On m’a rapporté que vous vouliez me voir pour une affaire urgente.
— Si fait, Votre Majesté, répondit Thomas en s’inclinant devant la Reine qui lui renvoya un sourire amical.
— Lady Mathilde, fit le souverain en s’adressant à la femme assise à côté de lui. Sire Kirley m’a fait parvenir un message assez… intriguant concernant la fille du Comte Twudel.
— Ah oui ? fit la monarque curieuse.
— Si fait, je tiens à vous soumettre une requête.
— Nous vous écoutons.
Thomas leur raconta leur rencontre avec la Damoiselle et sa domestique, ainsi qu’avec le couple Twudel. Guillaume semblait s’amuser de savoir Thomas si impliqué avec quelqu’un. Quant à sa femme, elle semblait en plein émoi.
— J’implore votre bonté et vous demande de la prendre pour combler la place vacante, en remplacement de ma sœur partie se marier en France.
Guillaume resta silencieux, un coude posé sur son accoudoir, le visage tourné vers son épouse qui le dévisagea après quelques minutes de réflexion.
Elle fit appeler un messager dont elle avait l’habitude d’utiliser les services pour ses échanges avec le pape.
— Veuillez faire parvenir à la Lady et sa suivante ce message, ainsi qu’une preuve de son engagement auprès de ma personne. fit-elle.
Elle compléta quelques phrases sur un document, puis le cacheta du sceau royal, le donna au messager et lui demanda de filer le plus vite possible.
— Je vous en serai éternellement reconnaissant, Vos Majestés, s’inclina à nouveau Thomas, rassuré.
— Nous le sommes d’autant plus, mon ami. Allez vous reposer, la Dame ne devrait venir que dans quelques jours.
[…]
Gavin s’était terrée dans sa chambre, cherchant le plus possible à éviter la confrontation avec Henri,
mais Elisa en faisait les frais.
Le Comte avait cherché à l’enfermer dans un cachot du sous-sol. Quand Gavin avait eu vent de cette effroyable nouvelle, elle s’était reproché de ne pas être capable de protéger son amie, aussi avait-elle décidé de sacrifier sa sécurité pour celle d’Elisa.
Gavin sortit de sa chambre et descendit les marches pour atteindre la grande salle où devait se trouver son amie.
Elle la trouva au sol, en larmes.
Paniquée et furieuse, Gavin se précipita vers elle et l’aida à se relever.
— Puis-je savoir ce qui se passe ici ? tonna la voix de la jeune femme en colère.
— Votre servante a osé parler sans qu’elle n’y soit invitée. Aussi ai-je jugé bon de lui donner une correction adéquate, lui répondit la voix contente d’Henri.
— Comme vous l’avez souligné, Messire, Elisa est MA servante et non la vôtre. Aussi si celle-ci doit être corrigée pour avoir « osé parler », c’est à moi de la punir et non à un parfait étranger. Viens, Elisa. Allons soigner ta joue.
Faisant totalement fi des cris outrés de la Comtesse et des hurlements colériques d’Henri, Gavin aida son amie à marcher jusqu’aux cuisines.
— Beth’ ! S’exclama-t-elle.
— Oui, Mil – Oh mon dieu ! Ma pauvre Elisa ! Mais que s’est-il passé ?! s’écria la vieille cuisinière en arrivant en trombe.
— Plus tard. Apporte-moi de quoi soigner sa joue.
— Tout de suite, Milady.
Gavin fit asseoir Elisa sur un tabouret, prenant place face à elle, la mine totalement dépitée.
— Je suis tellement désolée, Elisa. Je…
— Non, surtout pas ! Tu n’y es pour rien.
— Ma pauvre petite, fit la vieille femme en revenant avec un nécessaire de soin qu’elle tendit à sa jeune maîtresse.
— Raconte-moi ! ordonna Gavin, le visage fermé.
Elisa hésita, mais face au regard triste et furieux de son amie, elle ne put se résigner à se taire.
— Le Comte a voulu que je lui accorde une faveur en aidant Henri à accéder à ton…
Le poing fermé, Gavin serra les dents pendant qu’elle appliquait un onguent sur la joue meurtrie.
— J’ai refusé en disant que jamais ce fat ne te touchera et que de toute façon, le Roi ne laissera pas leurs agissements impunis.
La tête fièrement relevée, Gavin fut touchée par la combativité de son amie. Elle lui caressa l’autre joue du pouce et ne tenant plus, elle la prit dans ses bras, tapotant légèrement le haut de son dos.
— Ne refais plus jamais quelque chose qui pourrait te mettre en danger, par pitié, l’implora la jeune femme. Je ne supporterai pas de te perdre.
— Je n’ai aucune envie de te perdre non plus, Gavin, mais je me refuse à te voir avec cet…
Beth lui posa une main sur la tête en un geste maternel.
Le tableau était touchant, mais les cris derrière la porte donnant sur la grande salle semblaient se rapprocher.
Gavin se leva d’un bond, renversant le tabouret de bois sur le sol de pierres froides.
— Jamais ! entendirent-elles crier. Elle ne peut pas partir ! Elle va se marier et-
— Le Roi en a décidé ainsi, je ne fais qu’exécuter les ordres.
Les deux femmes se regardèrent en entendant une voix qu’elles reconnaîtraient entre mille.
Elles se précipitèrent dans la grande salle pour y découvrir :
— Sire Caleb ! s’exclama Gavin en s’approchant du grand chevalier.
— Milady Gavin et…
Il s’arrêta devant le visage rougit de la jeune servante qui baissa les yeux, se cachant derrière sa maîtresse, honteuse.
Il s’approcha lentement d’elle et posa une main sur sa joue meurtrie.
— Puis-je savoir ? demanda-t-il à la jeune femme.
Mais Gavin posa une main ferme sur son avant-bras, l’invitant à ne pas approfondir une blessure déjà béante.
— Cette servante n’est qu’une ingrate !
— Je vous interdis de parler d’Elisa ainsi ! rugit la voix de Gavin.
Le ton furieux et empli de menaces de la jeune femme surprit le chevalier, mais le regard apeuré de la servante lui indiqua qu’elle craignait des représailles envers sa maîtresse. Touché, Caleb posa un genou à terre, s’inclinant ainsi devant la jeune femme et lui tendit un rouleau dont le cachet royal lui sauta aux yeux.
— Milady, la Reine Mathilde m’envoie vous présenter ses respects et vous apporter ici une lettre indiquant que vous devez prendre vos fonctions auprès de sa Majesté à la cour d’Angleterre.
Gavin posa sur lui un regard surpris par cette facilité à lui parler. Elle prit fébrilement la lettre, n’osant y croire. Elle cassa le sceau pour en déplier le rouleau et lut à haute voix :
« Lady Gavin Twudel, vous êtes appelée par la Reine Mathilde, afin de combler le départ de Lady Kirley épouse Farow. Aussi nous vous sommons de nous rejoindre au plus vite, afin de prendre vos fonctions dans l'instant. Votre suivante sera votre accompagnatrice auprès de la Reine Mathilde. »
C’était la fin.
Le regard qu’elle adressa à Caleb fut si éloquent qu’il dut lui tenir la main pour qu’elle ne s’effondre pas.
— Il a réussi, murmura-t-elle.
— Si fait. Je me charge de votre famille le temps que vous prépariez quelques affaires. Thomas enverra quelqu’un chercher le reste de vos effets.
— Merci… Merci, Messire…
— Partez, Ma Dame.
Après un sourire et un regard émeraude illuminé d’un million d’étoiles, Gavin se lança vers les escaliers. Elle envoya Elisa auprès de Beth pour préparer ses affaires.
L’une des femmes de chambre vint l’aider à mettre dans une malle de voyage le nécessaire dont elle aurait besoin en premier lieu, soit quelques robes, ainsi que des livres.
Elles soulevèrent la malle pour la descendre.
— Ma Dame ! s’écria Caleb en la voyant arriver. Laissez-moi vous aider.
— Ce n’est point lourd, rassurez-vous, Messire.
Caleb la regarda, étonné, mais sourit de la voir si pressée de quitter cet enfer.
— Deux hommes attendent dehors pour embarquer vos affaires dans la carriole, l’informa-t-il avant qu’Elisa n’arrive à son tour, chargée d’un sac de toile.
— Est-ce là tout ce que vous possédez ?
— Ou-Oui, je n’ai que peu d’affaires.
— Je partage la plupart de mes vêtements avec elle, expliqua Gavin en attrapant le sac de son amie.
— Attends, Gavin, tu vas te faire mal au dos ! s’écria Elisa, avant de réaliser son erreur.
Caleb les étudia d’un œil curieux.
— Faites attention à elles, Messire, l’implora la femme rondouillarde qui s’était trouvée près des deux amies quelques instants plus tôt.
— Ne vous inquiétez pas, nous ferons attention, fit Caleb.
— Lady Gavin et Elisa sont amies depuis l’enfance et ont toujours été inséparables. Même depuis que…
— Beth ! fit Gavin en venant la serrer dans ses bras, interrompant ici les possibles révélations qui auraient entraîné sa chute.
— Milady ! pleura la vieille femme. Faites bien attention à vous ! Toi aussi, Elisa ! Prends soin de toi.
— Vous aussi, Beth.
Les trois femmes se serrèrent dans leurs bras, puis Caleb annonça leur départ imminent.
— Je vous interdis de l’emmener ! hurla la Comtesse en se précipitant vers sa fille.
Caleb s’imposa en rempart devant la femme qui ne lui arrivait même pas à la cuisse.
— Les ordres sont les ordres ! gronda-t-il de façon très menaçante. Si vous osez vous opposer à un ordre Royal, ce sera considéré comme un acte de lèse-majesté envers la Couronne. Vous serez jugés et pendus pour cet affront.
Voyant la femme devenir aussi blanche que la neige aux côtés de son mari et d’Henri, silencieux, Caleb fit signe aux deux gardes qui l’avait accompagné d’aider Elisa et Gavin à monter dans la carriole avec leurs affaires.
Tendant une main gantée à Elisa, elle jeta un regard paniqué à son amie qui la poussa gentiment en avant pour la faire rentrer dans l’habitacle.
— Merci, Messire, fit Gavin en prenant gracieusement la main tendue par le second qui inclina la tête.
Une fois entrées, elles s’installèrent comme elles purent, se tenant les mains. Elisa avait oublié de prendre un manteau. Frigorifiée, elle se frottait énergiquement les épaules.
— Petite idiote, ironisa Gavin en attrapant un manteau mauve dans sa malle. Tiens, mets ça ou tu vas mourir avant que nous n’atteignions les remparts.
— Merci, Gavin. Oh, comme j’ai eu peur ! Pleura-t-elle, collée contre son amie qui l'entoura d'un bras.
— Tu avais raison de croire en Sire Thomas, dit-elle en caressant son dos pour la rassurer.
— N’est-ce pas ? Tu m’écoutes si peu, parfois.
Gavin eut un petit rire désabusé.
— Réchauffe-toi, nous avons un peu de route.
Caleb grogna ses ordres avant qu’il ne soit arrêté par une autre femme qui lui tendit un énorme paquet chaud dont en sortait de bonnes odeurs.
— Prenez soin de nos filles, fit-elle avant de se reculer, la tête baissée. Bon voyage, Milady,
Elisa !
Gavin répondit, avant qu’elle ne sente la carriole se lancer sur la route.
[…]
Durant le trajet qui dura une demi-journée, Caleb n’avait de cesse de revoir la joue meurtrie de la jeune servante et la façon dont Lady Gavin s’était interposée pour la défendre.
« Elles sont amies depuis l’enfance. » avait dit la vieille femme.
Un sourire étira un coin de sa bouche. Il avait bien vue cette amitié, presque comme deux sœurs tenant l’une à l'autre de façon intrigante.
Son cœur s’était serré quand il s’était imaginé la scène qui lui avait valu cette marque rouge sur sa joue nacrée. Grondant intérieurement, Caleb pressa l’allure.
Une fois arrivé devant les grands remparts de la ville, Caleb fut accueilli avec respect, mais crainte. Son visage dur ne montrait rien d’autre qu’une folle envie de retourner chez le Comte et venger les deux femmes qu’il accompagnait.
Ralentissant l’allure, il se posta près de la petite carriole.
— Mes Dames, nous sommes arrivés à Westminster.
— Vous êtes rapide, Messire, lui avait répondu la voix de Gavin.
— Plus vous vous trouvez loin de votre domaine et mieux je me porte, Milady.
Il entendit des petits rires attendrissants.
— Sire Caleb, merci.
— Remerciez surtout Thomas, il a imploré Sa Majesté et la Reine a immédiatement écrit cette lettre demandant votre présence auprès d’elle.
Touchée, Gavin se mit à rougir.
— Je le ferai quand je le verrai, mais nous vous remercions d’être venu en personne pour nous escorter.
— Tout le plaisir est pour moi, Milady. Comment se porte votre joue, Dame Elisa ?
— Je… Je pense que je vais me cacher durant quelques jours… bredouilla celle-ci.
— Surtout pas ! gronda l’ours en armure. Vous n'avez rien fait de mal, vous n'avez donc pas à vous cacher.
Elisa rougit tellement que sa joue la lança. Heureusement, il ne pouvait la voir, mais si ça avait été le cas, il en aurait sûrement ri.
Après encore quelques minutes , ils arrivèrent dans la cour. Caleb arrêta son cheval et mit pied à terre. Il fut accueilli par Thomas et Cane, le reste du groupe se trouvant près du Roi et de la Reine, les attendant à l’intérieur de l’immense palais.
Thomas serra l’avant-bras de son ami, avant qu’il ne lui lance un regard lourd de sens. Ce dernier se précipita vers l’arrière de la carriole, ouvrit la porte et tendit son bras sur lequel se posa une main aux doigts fins.
— Milady, murmura-t-il sans même l’avoir vue.
— Sire Thomas, lui répondit-elle en sortant.
Quand il put enfin la voir au grand jour, elle était encore plus belle que quand il l'avait sauvée, les joues rouges et le regard terrifié. Elle resplendissait cette fois d'une joie non feinte.
Il l’aida à descendre, mais son regard se fit plus dur quand Caleb fit descendre Elisa dont la joue marquée comme au fer rouge lui apparut.
— Qui ? demanda-t-il simplement. Dame Elisa, allez-vous bien ?
Elle s’inclina face à lui et bredouilla un petit oui.
— Henri a cru bon user d’un pouvoir qu’il ne détenait pas pour corriger Elisa, seulement coupable d’avoir voulu défendre ma cause, expliqua froidement Gavin qui prit la main de son amie dans la sienne pour lui donner de sa chaleur.
— Vous êtes courageuse, Dame Elisa. Bon nombre de femmes n’auraient rien dit et se seraient surtout terrées dans leur coin, fit Cane en apparaissant aux côtés de Thomas.
— Je… Je n’allais pas laisser Lady Gavin avec ce…
— Modère tes paroles, Elisa. fit Gavin, sur le point d’exploser de colère. Je suis de ton avis, mais nous devons rester polies.
Étudiant les deux femmes, le trio se lançait des regards entendus.
— Venez, fit Thomas en présentant son bras à Gavin sur lequel elle posa sa main fine. Leurs Majestés sont venues vous accueillir, ne les faisons pas attendre.
Gavin se redressa, le dos droit, le regard fixant un point au loin. Elisa prit la même posture, bien qu’elle baissât légèrement la tête. Caleb posa sa main dans le creux de son dos, afin de la guider jusqu’à l’intérieur du château où les attendait le couple royal.
Arrivés dans la grande salle où se trouvaient Guillaume le Conquérant et son épouse, Gavin fit une révérence, imitée par Elisa, avant de se présenter. La Reine l’interrompit en se levant pour venir lui prendre les bras et la redresser, étudiant sa nouvelle dame de compagnie :
— Mais vous êtes gelée ! Oh mon dieu, votre suivante ! Que lui est-il arrivé ?
— Approchez, mes Dames, fit le Roi qui lançait un regard à Caleb et Thomas. Venez vous réchauffer auprès du feu. Nous vous attendions avec impatience.
— C’est un honneur, Vos Majestés, fit Gavin en se relevant pour suivre la Reine.
[…]
La Reine avait été effarée par l’histoire des deux femmes qui n’avaient pas cherché à rajouter beaucoup de détails. Quelques coups d’œil à Thomas et Caleb lui avait appris beaucoup et le regard froid de la jeune femme encore bien plus.
— Ils n’oseraient pas venir jusqu’ici pour réclamer Lady Gavin, n’est-ce pas ? bredouilla la jeune suivante, visiblement très marquée par tout ça.
La Reine avait posé sur elle un regard tendre et rassurant.
— Ne vous en faites pas, mon enfant. S’ils osent vraiment, ils seront vite éconduits par Sire Thomas et ses chevaliers.
Thomas croisa le regard complice de la Reine qui, visiblement, s’amusait à le torturer. Il répondit d’un simple hochement de la tête.
— Si fait, nous les attendrons.
— De plus, Milady, vous êtes sous la garde de la Reine, intervint le Roi en souriant. Ce qui signifie que tout ce qui vous touche ne concerne plus votre famille, mais la Reine Mathilde.
Poliment, Gavin remercia les têtes couronnées pour leur accueil, ainsi que pour tout ce qu’ils entreprenaient pour Elisa et elle.
— Dame Stephanie va vous montrer vos nouveaux quartiers, déclara soudainement la Reine.
Comme piquée par un tisonnier chauffé, Gavin se leva d’un coup, le regard paniqué, Elisa sur ses talons. Elles firent une révérence avant de suivre une femme qui leur adressait un sourire doux.
[…]
— Alors comme ça, vous êtes du domaine Twudel ? s’enquit une autre femme qui était entrée dans la chambre qu’utilisait maintenant Gavin depuis une semaine.
Gavin la détailla, sourcils froncés. D’où cette femme se permettait-elle d’entrer ainsi dans ses appartements sans s’être fait annoncer au préalable ?
Ne voulant créer de scène pour rien, Gavin prit une profonde inspiration, avant de répondre sur un ton neutre.
— C’est exact, Lady ?
— Oh, veuillez m’excuser ! fit cette femme de manière théâtrale en posant une main devant sa bouche comme si elle était scandalisée de ne pas s’être présentée.
Mais ses gestes étaient tout sauf sincères. Elle approcha sa main de Gavin qui la regarda, étonnée.
— Je suis Lady Calpine, l’une des conseillères de la Reine.
Ne sachant si elle devait en rire ou rester de marbre, Gavin la salua donc depuis son lit, son ouvrage ouvert sur ses cuisses.
— Mes respects, Lady Calpine, fit Gavin. Puis-je cependant savoir ce que vous venez faire dans cette chambre ? La Reine a-t-elle besoin de moi ?
La femme attendait toujours, la main tendue vers le visage de Gavin, attendant certainement qu’elle la lui prenne, mais la jeune femme n’en fit rien et attendit une réponse.
Quant au bout d’un certain temps, Lady Calpine retira sa main, furieuse, elle lui déclara :
— La Reine veut en effet vous voir dans son bureau. Suivez-moi.
Gavin ferma son livre et le laissa sur son lit. Elle lissa sa jupe et suivit donc la femme qui ne la portait visiblement pas dans son cœur, alors qu’elles ne se connaissaient pas.
À travers les couloirs froids simplement éclairés de torches, Gavin garda les mains devant elle, soulevant sa robe de temps à autre quand elle devait gravir des marches ou enjamber des objets à l'abandon. Une fois devant les quartiers royaux, Lady Calpine toqua à une porte d’où on pouvait entendre les éclats de rire de plusieurs femmes.
On leur ouvrit et Gavin put voir la Reine entourée de plusieurs femmes de compagnie qui se turent en la voyant entrer dans la pièce.
— Ah ! s’exclama la monarque en souriant. Vous voilà, ma chère ! Entrez, entrez !
Gavin exécuta une révérence, puis vint prendre place sur un fauteuil qu’on lui indiqua.
— Nous parlions des fêtes à venir, lui annonça une jeune femme à côté d’elle.
— Sa Majesté voulait avoir nos avis sur celle que nous voudrions célébrer en premier, lui confia une autre, tout aussi enjouée.
Gavin se mit à réfléchir avec sérieux.
— Fêtiez-vous quelque chose chez vous, Lady Gavin ? osa demander Lady Calpine sur un ton froid et méprisant.
Toutes les femmes se tournèrent vers elle, puis scrutèrent la réaction de Gavin.
— Je dois bien avouer que non.
— Pas même votre anniversaire ? s’emporta la Reine, effarée.
Le rire désabusé qu’eut la jeune femme ne passa nullement inaperçu.
— Majesté, mon anniversaire signifie beaucoup pour moi. Seuls les gens du château qui m’ont élevée me le souhaitaient, mais nous n’avions pas le droit à d’autre chose que des mots. Bien que je leur en sois très reconnaissante, je crains que non, pas même mon anniversaire.
Gavin se sentit tout d’un coup mal à l’aise. Avait-elle fait une erreur en demandant à venir ici ? Sa place n’était-elle pas finalement dans cet enfer qu’elle avait côtoyé durant dix-huit ans de sa vie ?
Non. Il fallait qu’elle tienne le coup jusqu’à ce que la tête couronnée ne lui accorde le droit de s’exiler ou bien d’aller au couvent.
Sa place n’était pas parmi ces gens. Elle le savait depuis toujours, mais que Dieu la garde, elle voulait voir du pays.
Mais le regard hautain de Lady Calpine ne l’aidait pas à se sentir à sa place. Essayait-elle de la faire fuir ? Si c’était le cas, elle y arrivait très bien.
— J’ai entendu dire que février était le mois des amoureux, tenta Gavin.
Captant l’intérêt de la Reine et de ses dames de compagnies, on la pressa de continuer.
Un coup d’œil à Lady Calpine lui apprit qu’elle était furieuse de perdre l’attention.
— Que voulez-vous dire ? Racontez-nous ! la pressa la Reine.
— Dans les livres que je possède, il y est fait mention de la Saint-Valentin. Une fête où chacun prépare cadeaux et lettres d’amour pour l’élu de son cœur. Dans celui que j'ai récemment fini, l’homme est le premier à l’offrir, mais il se peut que la femme prenne les devants.
Pensive, Mathilde se frotta le menton.
— Avez-vous ce livre avec vous, Lady Gavin ?
— Oh, bien sûr ! Il ne me quitte jamais, c’est un cadeau très précieux pour moi.
— Allez le chercher, gronda Lady Calpine qui la foudroyait du regard, comprenant les intentions de la Reine.
— Oh, s’il vous plaît ! Allez le chercher pour nous lire ce passage qui parle de cette fête ! l’implora la Reine.
— Si vous y tenez, Majesté.
Gavin se leva et sortit de la salle.
Une fois seule dans les couloirs, elle put respirer un peu, se sentant finalement suffoquer dans cette pièce, elle se devait de reprendre contenance.
[…]
— Je n’apprécie point votre attitude envers cette Damoiselle ! retentit la voix de la Reine à travers le bureau.
— Mais je n’ai rien fait qui vous déplaise, Majesté, fit une voix que reconnut Gavin, bien qu’elle se trouve derrière la porte.
Voulant couper court à cette dispute inutile qui la mettait au centre des conversations, Gavin toqua et entra quand la Reine lui en donna l’ordre.
— Avez-vous le livre ?
— Je l’ai, Majesté.
— Prenez place. Lisez-nous donc ce passage.
Gavin se rassit sur son fauteuil et ouvrit son livre sur l’une des pages qu’elle préférait.
Elle leur lut donc le passage et l’on pouvait voir dans les yeux de la Reine, ainsi que dans ceux des Dames de Compagnie, des étoiles.
Quand elle referma le livre sur sa lecture, on l’implora de relire le passage. Souriant face à cette attitude enfantine, Gavin ne put refuser et relut inlassablement.
Quand soudain, la Reine se leva brusquement.
— Il nous faut préparer cette fête.
[…]
Février déjà bien entamé, toutes les femmes du château, épouses, servantes, dames de compagnie et jusqu’à la Reine elle-même s’attelaient à décorer le château de frivolités roses ou blanches, selon les goûts de chacune. Les cuisinières avaient été rejointes par Gavin qui avait décidé d’aider à préparer des cadeaux pour les cinq chevaliers, mais surtout pour Sire Thomas dont le souvenir ne la quittait pas.
Parti en reconnaissance autour des domaines des Twudel et des Stanford, elle ne l’avait pas revu depuis son arrivée au château.
Elle se languissait de revoir ce chevalier au regard intrigant. Cet homme dont la cicatrice qui traversait le corps de part en part n’avait pas manqué de la faire se questionner sur son origine.
Mais cette marque barbare ajoutait un charme supplémentaire à celui qu’il dégageait naturellement.
Dans son esprit embrouillé d’images du chevalier torse nu, Gavin ne s’était pas rendu compte qu’elle était espionnée par les plus petites filles résidant au château.
Ce n’est que quand une petite curieuse s’approcha de la grosse table où elle était en train de pétrir une pâte qu’elle réalisa la présence des spectatrices agglutinées autour d’elle.
— Que faites-vous, Milady ? demanda la petite fille.
— Je prépare des gâteaux pour les hommes de ce château et là-bas, j’ai fait refroidir des chocolats.
— Allez-vous les offrir à votre amoureux ? demanda une autre en s’approchant pour s’accrocher aux rebords de la table.
— Maman dit que la Reine veut fêter le Saint des Amoureux.
Gavin se mit à rire et proposa aux petites une activité, afin de les faire participer à la confection des gâteaux et des cadeaux qui seraient offerts durant le banquet du soir. Qui sait, peut-être le verrait-elle…
***
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