Chapitre 5

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Thomas était épuisé après cette longue chevauchée depuis l’ouest. Il s’était octroyé une légère pause, le temps que les chevaux puissent s’abreuver et manger un peu avant de reprendre le chemin du retour.

L’image de la belle jeune femme aux yeux émeraude ne l’avait pas quitté depuis qu’il était parti du château sans l’avoir vue. Elle lui manquait et la savoir seule dans la fosse aux Lions ne l’enchantait guère. Il devait la voir, la sentir près de lui, à tel point que son envie devenait peu à peu une obsession, un besoin à assouvir.

Comment vivait-elle dans ce château, livrée à elle-même ? Était-elle enfin à sa place ? Était-elle heureuse ?

Plus il pensait à elle, plus des questions se mirent à polluer son esprit.

— Mon ami, tu m’as l’air bien préoccupé, fit Erik juste à côté de lui, assis sur une souche d’arbre mort.

— Je suis en proie à des réflexions intenses, lui avoua-t-il, le regard fixant son cheval qui s’abreuvait à la petite rivière non loin de lui.

— Tes réflexions seraient-elles tournées vers cette Lady que tu as sauvée ? se hasarda Cane en lui tendant une gourde d’eau.

Thomas ne répondit pas, mais son regard était plus qu’éloquent.

— Ainsi l’indomptable Sire Kirley a été capturé par une douce Lady ! s’exclama Tristan en souriant.

Thomas se crispa, il n’avait pas envie de rire, la situation lui échappait. De plus, Caleb lui avait confié certains soupçons qu’il avait depuis que la vieille cuisinière lui avait parlé avant leur départ précipité.

Thomas avait voulu retourner au château du Comte, exiger de parler à cette femme, mais quel droit avait-il de s’introduire ainsi dans sa vie ? Avait-il un quelconque désir de la prendre pour femme ou même d’entamer une relation avec cette douce créature ?

Au fond de lui, il l’espérait, mais avait-il envie d’une simple relation avec la Lady en question ?

Son esprit était cerné d’interrogations toutes plus dérangeantes les unes que les autres. Il l’avait imaginée plus d’une fois étendue dans son lit, criant son plaisir en prononçant son nom jusqu’à ce qu’il n’explose à son tour, essoufflé, et qu’il ne lui dise qu’il-

STOP ! s’écria son cerveau. Il suffit ! Tu n’as pas le droit !

Pris d’une violente envie de l’embrasser, mais aussi de se coller des baffes jusqu’à ce qu’elle quitte son esprit. Sa fureur grandit quand il croisa le regard de Caleb qui semblait également en proie à de multiples questions.

Cane, voyant ces deux-là complètement déconnectés, décida de lancer une toute autre conversation.

— Erik, que penses-tu de la jeune femme qui accompagne Lady Gavin ?

— La belle Elisa ?

Erik leva sur lui un regard énigmatique qui ne manqua pas d’intéresser Caleb qui lui jeta un coup d’œil attentif.

— Ma foi, elle est belle et semble dotée d’une langue bien acérée pour une jeune femme de sa condition. entreprit-il de dire. Mais j’ai trouvé que la chambrière de Lady Cara était bien plus à mon goût.

Le regard entendu qu’il lança à Caleb fit douter ce dernier sur les évènements passés au château Twudel.

Avait-il joué avec la jeune suivante ou avait-il juste cherché à la rassurer quant à la situation tendue qu’ils avaient rencontrée ? Caleb ne savait pas et, pour garder son amitié intacte, préféra ne pas approfondir cette pensée.

Mais ce qui lui serra le cœur était de savoir ce que penserait la belle Elisa quand elle comprendrait qu’Erik n’avait aucun sentiment pour elle. Serait-elle détruite ? Viendrait-elle à lui pour chercher consolation ?

Thomas et Caleb étaient las de leurs réflexions qui ne faisaient que tourner en rond depuis des heures, voire des jours.

— Rentrons ! fit le chef en se redressant pour rejoindre son cheval.

Il attrapa les rênes de l’animal qui releva la tête, tournant son chanfrein vers son maître qui le lui caressa, totalement perdu.

— Penses-tu qu’elle nous attend ?

Le cheval renâcla, baissant légèrement la tête.

— Dis-moi, penses-tu que je puisse être dans le cœur de Lady Gavin ?

À l’entente de ce nom, son compagnon à quatre pattes redressa la tête, poussant un hennissement d’excitation, trépignant sur place.

Thomas sourit.

— Toi aussi, tu l’aimes bien.

Comme pour lui donner son avis, la grosse tête de l’animal se frotta à son épaule. Thomas lui caressa l’encolure. Pris d’une résolution, il ramassa les rênes dans une main pour s’aider de l’autre à se mettre en selle.

— Allons la retrouver, Cade.

Piaffant de joie, le hongre gris sombre se lança au grand galop en direction du château de Westminster.

[…]

Alors qu’ils venaient enfin d’arriver devant les remparts, des décorations roses et blanches attirèrent leurs regards.

— La Reine a-t-elle accouché durant notre absence ? demanda Tristan à un garde.

— Que nenni, Messire Tristan. J’ai entendu dire que durant une réunion de femmes, la Reine se tourmentait à propos de ce que nous devrions célébrer pour égayer le château. Et d’après les rumeurs, Lady Gavin lui aurait parlé de la fête des amoureux.

— La fête des amoureux ?

— Si fait, Messire ! s’exclama le deuxième garde. La jeune Lady a raconté que dans l’un de ses livres, on y parlait d’une fête où les amoureux se déclaraient en offrant des cadeaux. Depuis, la Reine a décidé que nous célébrerions celle-ci. Du coup, toutes les femmes ont commencé à décorer la ville et à préparer le banquet de ce soir au château pour offrir des confiseries ou des lettres à leurs bien-aimés.

— Lady Gavin a dit aux petites du château que les femmes ne devaient pas être les seules à le faire. Si un homme voulait se déclarer, il pouvait le faire en offrant des cadeaux à sa dulcinée.

— Les femmes sont d’un naturel romantique, sourit Erik en passant à côté de Caleb.

— J’espère que j’aurai quelque chose ! se prit à rêver l’un des gardes.

La fête des amoureux ?

Cette Damoiselle avait visiblement beaucoup d’imagination. Thomas sourit malgré lui à ce que venait d’inventer cette jeune femme étonnante.

— De ce que Lady Gavin a dit, la fête existerait grâce à un religieux du nom de Valentin. Ce serait son idée de rendre honneur aux sentiments amoureux.

Thomas sentit le regard de Caleb peser sur lui et se raidit.

Vite !

— Allons-y, Cade, dit-il en talonnant le cheval gris qui reprit sa marche au trot.

— Thomas ! entendit-il. Rentre à la maison tout de suite ! Nous devons nous préparer pour le banquet de la fête de ce soir !

Le cavalier sourit en avisant un petit garçon foncer droit vers une femme rondelette.

Oui, il fallait qu’il se dépêche.

Alors qu’ils arrivaient aux écuries, Caleb le retint, une main posée sur son épaule.

Un regard suffit à lui faire comprendre qu’un détail manquait. Les cadeaux !

— J’en ai un.

— Le livre de contes ?

— Oui, et toi ?

— Un voile… s’empourpra le géant.

Thomas pouffa devant la mine affreusement gênée de son compagnon d’armes qui se gratta l’arrière de la tête.

— Allons d’abord nous laver.

Mais alors qu’ils pénétraient dans le château, des rires leur parvinrent.

— Oh, Messires ! s’écria une femme en s'avançant, se pavanant avec une multitude de paquets roses fuchsia. Vous êtes rentrés pour la fête de ce soir ?

— Si fait, Milady. Mais que se passe-t-il, au juste ?

— La Reine a décidé de fêter les amoureux ! chantonna la femme. Grâce à Lady Gavin, nous allons enfin pouvoir rendre ce château un peu moins morne et surtout enfin faire taire Lady Calpine.

Intrigué, Cane fut le premier à la questionner, mais alors que cette dernière lui répondit, le regard sombre de Thomas se fit impénétrable, terriblement dur.

— Savez-vous que Lady Calpine a tenté de brûler le livre de la jeune Lady ?

— Je vous demande pardon ?

— D’après ce que j’ai pu comprendre, ce livre est un cadeau de sa suivante pour son anniversaire et quand elle l’a retrouvé écorné et jeté dans la cheminée de la grande salle, Lady Calpine a fait mine que ce n'était pas elle. Mais nous l’avons toutes vue et la Reine est entrée dans une rage folle. Depuis, nous n’avons pas revu la jeune Lady. Elle se terre dans les cuisines à aider à la préparation du banquet.

C’en était trop. Thomas fit demi-tour et se précipita vers lesdites cuisines pour y trouver la jeune femme entourée de plusieurs commis, attentifs à ses explications.

Il fut aperçu par Elisa à qui il fit signe de venir à lui en silence.

Comprenant qu’il avait été mis au courant, elle s’éclipsa pour le rejoindre dans le couloir.

— Sire Kirley, s’inclina-t-elle en une révérence.

— Dame Elisa, dites-moi que ce que l’on m’a rapporté est faux.

Elle n’avait pas besoin de lui dire quoi que ce soit, le simple tremblement de son petit corps lui disait ce qu’il savait déjà. Caleb se retrouva à son côté.

— Dame Elisa, fit ce dernier en s’approchant d’elle.

— Sire Caleb ! Avez-vous fait bon voyage ?

Le sourire triste qu’elle lui adressa lui fendit le cœur.

— Je vous remercie, Milady, s’inclina-t-il en retour. Votre maîtresse est-elle occupée ?

— Si fait, se reprit-elle en scrutant l’entrée des cuisines. Nous préparons les gâteaux pour la fête. Lady Gavin est très contente de pouvoir aider à la confection du repas. Depuis que…

La main de Caleb posée sur son biceps l’arrêta. Il ne voulait pas voir la tristesse percer dans son regard.

— Le livre, demanda Thomas. Est-il rattrapable ? Peut-on le réparer ?

— Oh, ne vous en faites pas, Messire ! s’exclama Elisa. Le livre n’a que peu souffert. Ma maîtresse a pu le rattraper à temps, avant que les flammes ne l’attaquent.

Thomas la scruta, horrifié.

— Elle… Lady Gavin est allée le chercher dans le feu de la cheminée ?

— Oh, oui. Elle a eu une légère brûlure, mais son vêtement a plus souffert qu’elle. Bien que Gavin ne veuille pas le montrer, elle a eu mal. La Reine est entrée dans une telle rage que nous avons toutes fui. Lady Calpine est retenue dans ses appartements pour mauvaise conduite ! leur apprit la jeune femme sur le ton de la confidence.

Thomas sentit la rage ruisseler dans ses veines comme la lave sur les flancs d’un volcan. Il serra si fort les points qu’il sentit ses os craquer.

— Elisa ! entendirent-ils appeler.

— Je dois y aller. Reposez-vous, Messire Thomas, fit la jeune femme en s’approchant de la cuisine. Je veille sur elle.

Mais alors qu’elle s’apprêtait à entrer, Gavin apparut face à elle.

— Où étais-tu passée ? Nous devons encore préparer les petits biscuits à la vanille et…

Elle s’interrompit quand elle vit le chevalier qui avait pris beaucoup de place dans ses pensées depuis qu’elle l’avait rencontré.

— Sire Thomas, Sire Caleb. S’inclina-t-elle en une révérence. Votre voyage a-t-il été bon ?

— Très, Milady, répondit Caleb à la place d’un Thomas qui ne pouvait la lâcher du regard.

Quand il aperçut la trace d’un bandage sur son poignet, sa colère fut foudroyante. Il s’approcha dangereusement d’elle pour la prendre par le coude et l’entraîner à travers les couloirs jusqu’à sa propre chambre.

De là, il ferma la porte rageusement et la colla contre le lourd panneau de bois. Il posa son avant-bras avec force tout près de sa tête, la faisant sursauter de peur. Ses grands yeux émeraude étaient marqués d’une lueur de terreur qui lui fit immédiatement regretter sa brusquerie.

— Veuillez me pardonner. J’ai appris ce qu’il vous était arrivé pendant mon absence.

Gavin tiqua. Son corps trembla d’une façon qu’elle ne contrôlait pas. La chaleur de sa peau entra en ébullition quand il osa poser ses doigts sur son avant-bras meurtri.

— Vous a-t-on soignée ?

— Ou-Oui, ne vous inquiétez point pour ceci, Messire, bredouilla-t-elle, perdue dans ce regard brun dont le noir de l’iris commençait à s’étendre.

— J’aurai dû rester…

— Pourquoi vous blâmer ? Vous n’y êtes pour rien dans les histoires des femmes ! tenta-t-elle en lui renvoyant un sourire à demi-amusé.

N’y tenant plus, Thomas retira son gantelet et approcha ses doigts de la peau douce de sa joue. Il en retira quelques traces de farine, puis se pencha vers elle pour déposer un léger baiser sur ses lèvres aussi douces que du velours. Gavin se figea un instant, gardant ses yeux grands ouverts. Comprenant qu’il avait encore une fois fait une erreur, il se recula d’elle.

— Pourquoi ?

— Je…

Gavin se hissa sur la pointe de ses pieds, glissa ses longs doigts fins derrière sa nuque, exerçant une pression pour le ramener à elle. Il la vit prendre possession de sa bouche, comme si elle était tiraillée par l’envie de le sentir encore.

Quand il sentit son corps fin aux hanches étroites se presser contre son armure, Thomas gronda sourdement.

Abandonnant toute raison, il la plaqua contre la porte et captura ses lèvres avec sauvagerie. Une main dans sa tresse miel, il la rapprocha encore plus de lui. Perçant la barrière de ses lèvres, sa langue se faufila vers sa jumelle, afin de la caresser. Il approfondissait ce baiser comme s’il était parti à la conquête de sa bouche. Le gémissement qui en sortit le fit rugir comme si on l’avait privé de son souffle.

Alors qu’il se recula, le regard fou et la respiration erratique, il lui fit relever le menton.

Son regard émeraude s’ancra au sien comme si elle cherchait à se raccrocher à lui en pleine tempête.

— Vous me torturez, Ma Dame, avoua-t-il d’une voix rauque, méconnaissable.

— Serait-ce juste de vous dire que c’était mon tout premier ? souffla la jeune femme, complètement affolée.

Thomas ouvrit ses yeux en grand, surpris.

— Venez-vous d’avouer que personne ne vous a jamais embrassée ?

— Jamais.

Le cœur de Thomas fit une embardée.

Il aimait ça. Être le premier.

— Suis-je le premier à vous toucher comme ceci ? osa-t-il demander, le regard flamboyant, tandis qu’il glissa sa main le long de sa gorge.

— Le… Le premier, Messire…

Son souffle se bloqua dans sa gorge quand elle l’entendit gronder, avant d’à nouveau s’attaquer à sa bouche avec la fierté d’un paon.

Des bruits derrière la porte les figèrent.

Qu’avait-il fait ? réalisa-t-il, pris d’une soudaine panique.

— Allez-y, murmura-t-il en fermant les yeux. Partez avant que je ne fasse une chose regrettable.

Déçue, elle lui lança un regard furieux, puis quitta la chambre de l’homme sans se retourner, courant presque jusqu’aux cuisines pour y retrouver Elisa qui l’attendait, inquiète.

[…]

La fête battait déjà son plein quand Gavin et Elisa entrèrent dans la grande salle, accompagnées des Dames de la Reine.

Cette dernière était admirative du travail de la gent féminine qui avait confectionné les décorations et avait rendu le château si chaleureux que le Roi lui-même avait fait un discours pour célébrer la créativité et l’art des femmes à rendre un coin sombre accueillant.

Gavin ne souriait pas.

Elle ressassait encore le baiser échangé avec le chevalier et la façon dont il l’avait congédiée.

Avait-elle fait quelque chose de mal ? Devait-elle se tenir loin de lui ? Jouait-il avec elle ?

Un regard à la foule lui fit se dire qu’elle n’était définitivement pas à sa place dans ce monde. Si Elisa n’était pas à ses côtés, elle l’aurait quitté volontiers.

Que faisait-elle ici ? Elle essuyait une humiliation, alors qu’elle pensait qu’il ressentait, comme elle, cette attirance, ce sentiment dévastateur qui les avait poussés à s’embrasser.

Mais la réalité la rattrapa d’un coup.

Son secret.

Cherchant la Reine du regard, Gavin se faufila à travers les Dames de Compagnie pour s’en approcher et lui murmurer son empressement de vouloir lui parler en privée.

La Reine adressa un sourire à son mari, afin de le rassurer, mais inquiète face au visage perturbé et blême de la jeune femme, elle la précéda vers son bureau privé.

Une fois arrivées, la Reine ferma la porte, tout en jetant un regard intrigué vers Gavin qui était sur le point de se trahir devant celle qui, depuis plusieurs semaines, lui avait accordé sa confiance.

— J’implore votre pardon, ma Reine, fit Gavin en se jetant à ses pieds, tremblante comme une feuille en pleine bourrasque.

— Voyons, mon enfant, que se passe-t-il ? Auriez-vous menti sur la fête des amoureux ?

— Non, je… il faut que je… Pardonnez-moi, j’implore votre clémence, ma Reine, pour avoir gardé un secret dont j’aurai dû vous faire part bien plus tôt.

Totalement perdue, la Reine voulut aider Gavin à se relever, mais la jeune femme s’y refusa, préférant rester à genoux, cherchant la meilleure façon pour elle de s’amender.

— Je ne comprends pas, fit la Reine.

— Je… Depuis ma naissance, ma famille garde un secret. Un secret très lourd dont je me dois de vous faire part avant que l’on ne me découvre et que je ne sois jetée au bûcher.

Inquiète, la Reine la laissa poursuivre.

Gavin se livra enfin.

Elle lui raconta ce qu’avait prédit le médecin sur son sexe et ce qu’avaient découvert ses parents quand le bébé fut né. Elle lui raconta la vie qu’elle avait passée à se cacher, à couvrir son corps qui changeait et qui grandissait. Elle entreprit de défaire ses dessous pour montrer la face cachée de son corps à cette femme pour qui elle avait un respect immense.

— Veuillez vous couvrir, je… Oh !

La Reine plaqua ses deux mains sur sa bouche, interrompant ainsi le cri qu’elle s’apprêtait à pousser tant elle était surprise et effarée par ce qu’elle voyait.

Devant elle se tenait non pas une jeune femme, mais un jeune garçon bafoué par sa propre famille. Gavin était le jeune hériter de la famille Twudel, un garçon âgé de dix-huit ans qui avait passé sa vie à devoir cacher sa véritable identité à cause d’un faux diagnostique médical.

Son physique féminin avait contribué à cette mascarade, le blessant profondément au point qu’il ne sache plus où il devait se trouver.

La Reine tomba des nues face à ce garçon qui pleurait tristement. Son corps nu prouvait ce qu’il était et ce qu’il aurait dû être. Mathilde s’approcha de lui et le prit dans ses bras, telle une mère cherchant à consoler son enfant blessé.

Car blessé, il l’était. Bien plus que n’importe qui.

— Cette famille n’a aucun cœur, murmura Mathilde en colère, caressant les cheveux du jeune garçon qui s’accrochait à elle avec désespoir.

— Ma chère, fit le Roi en entrant dans la pièce. Puis-je savoir ce que…

Quand il découvrit Gavin nue dans les bras de sa femme, il eut d’abord un mouvement de recul. Mais quand son épouse l’invita à entrer et lui ordonna sèchement de fermer la porte, il s’était attendu à tout sauf à ce qu’il s’apprêtait à découvrir.

Gavin continua à pleurer toutes les larmes de son corps. La Reine l’aida à se rhabiller, faisant elle-même office d’aide à l’habillement pour ce jeune garçon qui n’arrêtait plus de trembler, de peur cette fois-ci.

— Majesté, fit la voix éteinte de Gavin qui se frottait les épaules. Je… je comprendrais si vous décidiez de me chasser du château… Je n’ai ma place ni ici ni là-bas. Que je finisse au couvent ou au bûcher, je respecterai votre décision.

Effarés, les deux monarques poussèrent des cris d’effroi.

— Je n’en ferai rien, mon enfant ! tonna la voix du Roi, s’approchant de lui. Mon regard sur vous ne changera pas. La Reine vous adore et moi de même. Si Sire Thomas ne nous avait pas fait part de son besoin de vous faire sortir de ce Château, je ne me serais jamais douté qu’il existe une telle douleur dans mon royaume.

— N’ayez aucune crainte, Gavin, fit la Reine en lui caressant les joues humides de larmes. Nous garderons votre secret.

— En revanche, j’ai peur que Thomas ne le découvre et ne soit furieux, fit le Roi pensivement en prenant place sur l’un des fauteuils du bureau privé.

La Reine renvoya un sourire complice à son mari qui pouffa devant le regard paniqué de Gavin.

— Si cela ne vient pas de vous, je crains qu’il ne nous croie pas et qu’il exige de le voir par lui-même.

Gavin sentit son corps s’échauffer. La partie jusque-là ignorée de son corps se réveilla.

Rouge de honte, Gavin chercha à le coincer entre ses cuisses.

Le Roi le regarda, attendri.

— Allons, essuyez-moi ces larmes et allez profiter de la fête, fit le Roi.

Gavin prit la direction de la porte et s’arrêta quand Mathilde s’adressa à lui :

— Lady Gavin est courageuse. Si Thomas ne succombe pas, je le châtierai moi-même.

Gavin lui renvoya un sourire amusé, salua en une révérence, puis quitta l’endroit, laissant les deux monarques se regarder tristement.

— Cette famille n’a vraiment aucun cœur ! s’emporta la Reine.

— Une chose à la fois, ma chère. Pour l’heure, il nous faut protéger cette jeune âme des rumeurs que lance Lady Calpine à son sujet.

Oh, grossière erreur, Majesté, que d’avoir usé de ce nom face à la Reine Mathilde ! Sa colère fut si foudroyante que le Roi crut voir en elle un typhon des plus meurtriers. Ce qui l’excita au plus au point.

— Protégeons cet enfant, mais laissons Thomas se charger du reste. Je soupçonne ce dernier d’avoir fauté auprès d’elle, ce qui l’a fait venir à vous pour se confier.

— J’admire Gavin, avoua la Reine. Elle n’a rien vécu de ce à quoi je pouvais m’attendre.

— Gavin vous admire, je peux le voir dans ses yeux.

— Oh, Guillaume, pleura la Reine en se laissant aller dans les bras de son mari qui s’était levé pour la caler contre lui.

[…]

Quand le couple réapparut, ils étaient accompagnés de Gavin qui les avaient attendus dans le couloir.

Elle avait la tête baissée, cherchant à fuir ce moment plus que tout, alors qu’elle en était l’instigatrice.

Elle fut rejointe par Elisa, à qui elle avoua s’être confiée à la Reine et que le Roi les avait découverts. La jeune femme dévisagea son amie qui était perdue.

Fallait-il qu’elle aille se cacher pour n’en ressortir que quand la Reine la ferait demander ? Elle ne savait plus.

— Ton cadeau pour Sire Thomas est dans le garde-manger, viens, fit Elisa à son oreille pendant que des musiciens jouaient, faisant danser les couples qui se formaient.

Tirée par Elisa vers les cuisines, Gavin se laissa guider sans rien dire, le visage marqué par les larmes et l’inquiétude.

— Oh, Milady ! Allez-vous chercher vos gâteaux ?

— Oui, il est l’heure de l’échange des cadeaux, fit Elisa en devançant Gavin.

Elle attrapa deux petits paquets noués de rubans blancs et verts. Puis, main dans la main, elles retournèrent dans la grande salle pour chercher les deux hommes qui discutaient en retrait de la foule.

Quand Thomas la vit, son regard se ferma. Elle semblait avoir pleuré. Était-ce à cause de lui ?
Avait-il fait quelque chose de mal ? Il s’en voulait, sans savoir pourquoi.

— Elles approchent, lui annonça Caleb qui n’avait d’yeux que pour la jeune femme au regard menthe qui rougissait à mesure qu’elle s’avançait vers lui.

— Messires, fit-elle. Ceci est pour vous, Sire Caleb.

Elle lui tendit son petit paquet enrubanné qu’il prit délicatement dans ses mains, sans la lâcher du regard.

— Erik en a-t-il reçu un aussi ?

Caleb regretta ses mots, mais la jalousie s’était emparée de lui comme un démon possédant un corps.

— Sire Erik ? Non, pourquoi ? En tout cas, pas de ma part, mais je peux le lui donner si vous n’en voulez pas.

Blessée, Elisa s’enfuit en courant. Gavin foudroya l’homme.

— Je vous saurais gré de lui courir après et d’être honnête avec mon amie. Elle n’a jamais été attirée par Sire Erik.

— Que dites-vous ?

Caleb regarda la femme au visage marqué par les larmes.

— Elisa n’aime guère les gens trop enjoués qui s’amusent à culbuter toutes femmes se trouvant sur son passage. Bien que je n’aie rien contre Sire Erik, Elisa n’a d’yeux que pour vous, Messire. Maintenant, si vous le voulez bien, allez la chercher et excusez-vous pour votre méchanceté.

L’ours considéra la jeune femme d’un regard surpris. Ni une ni deux, il s’élança à la poursuite de la jeune femme.

[…]

Caleb ne mit pas longtemps à la retrouver.

Cachée dans le box de Taros, il la trouva contre le gros destrier noir d’habitude nerveux.

Elle avait entouré sa large encolure de ses petits bras et pleurait contre lui.

— Elisa, murmura la voix de Caleb.

— Partez, Messire ! lui dit-elle. Je ne vous savais pas sans cœur.

Caleb entra dans le box, caressant la tête de son cheval qui se laissa faire, puis enroula son bras puissant autour de la taille de la jeune femme pour la soulever. Il la fit quitter les écuries et rallier sa chambre qui se trouvait non loin de là.

— Posez-moi ! S’exclama-t-elle, outrée.

— Veuillez arrêter de gesticuler, Ma Dame.

— Lâchez-moi !

Quand Caleb la posa au sol, il fit claquer la porte de sa chambre d’un coup de pied, empêchant ainsi la pauvre Elisa de fuir cet homme qui venait de la rejeter.

— Il nous faut parler, Ma Dame.

***

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