Chapitre 8

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La nuit avait été courte pour tout le monde.

Elisa n’avait eu de cesse de chercher du réconfort dans les bras de son compagnon sauvage qui l’avait tenue contre lui toute la nuit durant.

Thomas avait dû faire face aux larmes silencieuses du jeune homme caché contre son corps. La rage l’avait maintenue éveillé, lui laissant largement le temps de réfléchir à ce qu'il allait bien pouvoir dire ou faire face au Comte et au fait qu’il avait la fâcheuse tendance à exposer sa richesse pour tenter d'atteindre ce qu’il voulait.

Il lui fallait être plus malin que ce gamin pour qui tout était acquis. Thomas n’avait jamais eu une once de prétention en lui et encore moins d’égoïsme. Son père était un forgeron réputé dans la capitale et sa mère était une femme du monde. Modeste lignée, mais ils lui avaient appris à toujours rester droit et à ne jamais foncer tête baissée.

Certes la situation était différente et demandait un certain temps d’adaptation, ainsi que beaucoup de recherches. Grâce à Elisa et certains écrits interdits présents dans les bibliothèques qu’ils avaient pu trouver durant leurs patrouilles, Thomas savait peu de chose, mais l'essentiel ne différait guère d'une relation homme-femme.

Seul le corps changeait et pour cela, il avait dû se faire violence pour se concentrer un soir sur son propre corps, cherchant à savoir ce qu’il pourrait utiliser pour Gavin.

Le jeune garçon lui avait avoué ne s'être jamais adonné aux moindres plaisirs de la chair, aussi devait-il tout mettre en œuvre pour l’y aider. Mais la tâche s’était avérée bien plus complexe, car pour y arriver, il avait dû découvrir son propre corps et l’étudier sous un autre angle, afin de comprendre.

Mais cette nuit, la haine envers cette famille et cet homme n’avait fait que s’amplifier en lui, à tel point qu’il avait cru suffoquer. Jusqu’à ce qu'il ne sente Gavin bouger et ressente les traces mouillées sur sa poitrine. Il s’était alors violemment réprimandé, afin de retrouver un semblant de calme, pour le bien de la petite chose roulée en boule dans son lit.

Quand le matin pointa, il savait ce qu’il avait à faire pour exposer ces trois-là, tout en gardant le secret de Gavin et le mettre à l’abri avec son amie d’enfance.

Quand on toqua à sa porte, Thomas tenta de s’extirper sans réveiller l'ange dans ses bras.

— Messire Thomas, entendit-il, alors qu’il sortait du lit.

Il ouvrit la porte pour découvrir l’un des hommes du Roi.

— Vous avez quelques minutes pour vous préparer et vous rendre tous les deux dans la grande salle. L’audience s’y tiendra.

— Dites-leur que nous serons prêts dans peu de temps.

Le soldat s’inclina, puis repartit, son message en tête, laissant le chevalier soupirer.

Il referma la porte et se tourna vers le lit pour y découvrir Gavin à genoux entre les draps, le dévisageant, inquiet.

— Il nous faut nous préparer, annonça-t-il, tandis qu’il s’approchait du jeune garçon.

D’un bras enroulé autour de sa taille gracile, Thomas l’attira contre son torse puissant et captura ses lèvres avec fermeté.

Son regard sombre lui indiquait qu’il ferait tout pour lui.

— Thomas, murmura l’ange. Sachez que quoi qu’il puisse arriver…

Il vit le chevalier froncer les sourcils.

— Quoi qu'il arrive, je vous aime.

— Moi aussi, cher Ange. Mais rassure-toi, il ne t'arrivera rien. Aie confiance en moi.

— J’ai confiance.

— Alors si tu as confiance, tout ira bien, fit-il de sa voix rauque en glissant une longue mèche miel derrière l'oreille délicate de son compagnon.

Un dernier baiser et il s’habilla, Gavin faisant office de chambrière. Il l'aida à son tour à revêtir une robe neutre, ainsi qu’un surcot blanc. Elisa toqua pour venir l’aider à se coiffer, Caleb sur ses pas. Les deux hommes se saluèrent, puis tous les quatre prirent le chemin de la grande salle.

— Leurs Majestés Guillaume d’Angleterre et la Reine Mathilde, annonça un homme en se postant près de l’estrade où étaient situés les deux grands sièges en bois cirés.

Le couple royal entra dans un brouhaha incessant, vêtus de couleurs austères représentant bien le sujet qui allait être abordé.

L’ambiance était tendue, voire pesante. Les Dames de compagnie étaient réunies sur la gauche de l’estrade, près de la Reine. La Comtesse et Henri se trouvaient du côté du Roi. Le Comte était retenu par les gardes, un peu plus éloigné du reste. Quand le groupe de chevaliers entra, accompagné des deux femmes, une colère noire s’empara du Comte et Henri se mit à grincer des dents.

Les deux jeunes femmes furent obligées de s’asseoir près de l’estrade, en retrait des Dames de la Reine qui leur jetaient des regards à la fois étonnés et suspicieux.

Une main ferme se posa sur l’épaule du jeune homme qui se tenait droit dans sa belle robe grise, le regard fixé devant lui et la respiration hachée. Toute la chaleur que cette main dégageait, pour pénétrer jusqu’au plus profond de son corps, lui donna assez de courage pour affronter la plus terrible des situations.

Un mot, un seul, et tout s’arrêterait. Il le lui avait promis. Gavin se rattacha à cette promesse. Elisa, à côté, lui tenait la main comme une désespérée. Les deux amis se soutenaient comme ils le pouvaient, épaulés par les cinq chevaliers les plus réputés de la Cour d’Angleterre.

En face, le Comte Raoul Twudel lançait des regards concupiscents à Elisa qui tenta de ne pas y prêter attention, mais le grondement sourd de Caleb, posté tout proche, fit vibrer son corps et battre plus vite son cœur.

Guillaume fit signe de fermer les portes et l’audience put commencer.

[…]

L’enfer s’abattit enfin sur Gavin quand le Comte se lança avec une rage folle dans des explications qui le scandalisèrent.

Adopté ? Non voulu ? Déshérité ? Sali par le démon ?

Voilà ce que ce fou lança à travers la salle pour exposer à la vue de tous son secret, sans pour autant se trahir, car le Comte le savait, s’il avouait, tout cela voudrait alors dire qu’il était aussi coupable d’avoir menti et en vu du marché conclu avec Henri, il ne pouvait se le permettre.

Gavin lança un regard épouvanté à sa mère qui refusa catégoriquement de lui accorder la moindre attention, trop honteuse de ce que disait son mari.

Gavin n’en revenait pas.

Non, tout ceci ne pouvait se produire. Son père ne pouvait le voir ainsi et le clamer devant qui le voulait pour faire savoir sa fureur de sa fugue jusqu’au château du Roi. Thomas resta de marbre, du moins en façade, car à l'intérieur de lui bouillonnait une telle rage qu’il lui était très difficile de se contenir et de ne pas foncer droit sur ce père fou pour lui asséner la pire des corrections.

— J’exige que cette enfant me soit rendue pour que je puisse la confier à son futur mari, Sir Henri Stanford ! hurla le Comte, essoufflé.

— Vous exigez, Messire ? sursauta le Roi qui semblait avoir été tiré d’un rêve bien étrange par une voix qu’il ne connaissait pas.

Le monarque apposa sur ce dernier un regard polaire.

— Vous osez « exiger » en la présence de votre Roi ?

— Je, euh… eh bien oui, je, euh…

— Vous osez « exiger » après avoir réduit votre enfant à l’état d’esclave et de moins que rien ? continua le Roi sans se faire interrompre. Vous osez exiger de votre « enfant » obéissance, alors que vous la vendez comme une vulgaire pièce de viande, et contre quoi ? Des faveurs ? De l’argent ? Sachez, Sir Comte Twudel, que je suis étonné par votre façon de traiter Lady Gavin et ce, devant la Cour d’Angleterre.

Le Roi tremblait de dégoût et comprenait, bien trop tard, les avertissements de la Dame de compagnie de Gavin, ainsi que tout ce qu’il leur avait avoué, au comble du désespoir.

Il adressa un regard désolé à Thomas, faisant comprendre à ce dernier tout ce qu’il voulait exprimer, mais un simple mouvement de tête du guerrier lui fit savoir que cela n’avait plus d’importance, car il protégeait Gavin.

La main possessive posée sur l’épaule du jeune homme n’avait pas bougé et celle du garçon, fine et blanche, retenant les doigts puissants du chevalier, fit comprendre au Roi la manœuvre à suivre pour aider Gavin à s’en sortir, tout en réduisant cette famille à néant sans lui faire plus de peine qu’il ne devait déjà en ressentir.

Il se pencha vers sa femme et lui murmura quelques mots. Elle lui adressa un regard empli d’amour et de compréhension, bien que surpris.

— Faites ce qui vous semble juste, mon ami.

Il lui caressa les doigts enfermés dans sa main, puis s’adressa enfin à voix haute :

— Sir Stanford !

— Majesté ? sursauta ce dernier, étonné qu’on lui adresse la parole.

— Je me vois obligé de vous dédommager pour ce « marché » infructueux. Mais voyez-vous, Milady n’est malheureusement plus sur le marché du célibat.

Surpris, tout le monde lui jeta un regard effaré.

— Que… que voulez-vous dire, Majesté ? fit la voix de la femme qui semblait proche de l’apoplexie.

— Milady est déjà fiancée à l’un de mes chevaliers et ce, depuis un bon mois déjà. Nous avons dû retarder le mariage, car il a été envoyé à la frontière Nord pour endiguer les escarmouches des saxons ! annonça le Roi, fier de son coup magistral, faisant rugir de rage le Comte qui lança un regard meurtrier à Thomas, puis à Gavin, figeant celui-ci.

Il comprit tout. Gavin comprit ce que faisait le Roi. Il lui sauvait la vie et aidait son cœur à retrouver celui qu’il avait choisi. Mais Thomas voulait-il de ce mariage ? À la pression sur son épaule et la douce chaleur qui se répandit sur tout son épiderme, il comprit que lui aussi était étonné, mais pas déçu.

Gavin releva le visage vers ce dernier pour voir luire une lumière de désir qui le fit frissonner.

Il le voulait. Il était déterminé et le voulait, voilà ce que traduisait ce regard sombre.

Gavin retint un gémissement quand ses doigts s’enfoncèrent dans sa coiffe.

— Je refuse ! vociféra le Comte en cherchant à se défaire des gardes qui le retenaient tant bien que mal. Qui ?! Vous ?

— Oui, moi, confirma Thomas en se plaçant devant Gavin.

— Jamais !

Le Comte repoussa les gardes avec une force décuplée et fonça droit sur son enfant qui sauta de sa chaise. Caleb fit passer Elisa derrière son grand corps imposant, afin de la protéger.

— Gavin ! pleura-t-elle en jetant un regard effrayé à son ami qui tremblait de tout son corps, même s’il restait de marbre.

— Tout… Tout va bien, Elisa. Reste derrière Sire Caleb, l’entendit-elle dire à travers le brouhaha.

Le Comte bouscula Thomas pour étrangler Gavin, mais l’un comme l’autre eurent le réflexe de se pousser sur le côté. Cane attira Gavin avec lui pour le mettre le plus loin possible des bagarreurs. Tristan, ayant dégainé son épée, escorta Elisa vers son ami qui la prit dans ses bras pour la rassurer.

Alors qu’un combat brutal semblait avoir été entamé, Gavin aperçut Henri hésiter, puis fouiller dans une poche de son pourpoint pour en sortir quelque chose d’étincelant. Ni une ni deux, ce dernier s’élança vers Thomas pour le poignarder dans le dos, mais Gavin, ayant compris son intention, se surprit à ressentir une sorte de poussée d’adrénaline et s’élança vers lui, attrapant la lance d’un garde posté devant le dais royal.

D’un mouvement circulaire, Gavin fit tournoyer l’arme entre ses mains, afin de lui donner plus de puissance et d’amplitude quand le bâton frappa la poitrine de l’homme, l’envoyant valser dans la pièce, le faisant glisser jusqu’aux pieds de la Comtesse qui poussa un cri terrifié.

La lueur destructrice brillant dans le regard émeraude de Gavin fut si étincelante que le noir commença à manger ce vert si pur.

Tant bien que mal, Henri se releva, le souffle coupé par l’attaque, et cette fois-ci se précipita sur la lance pour tenter de la lui retirer, mais les mouvements fluides du garçon en robe l’envoyèrent à nouveau au tapis. Sentant que ses forces allaient le quitter, Gavin tenta de maîtriser sa respiration et limita ses mouvements, afin de gagner du temps. Mais comme tout le monde semblait ne regarder que lui, il dut prendre la plus lourde décision de sa vie, se salir les mains.

Tandis qu’Henri se relevait une dernière fois, poignard devant lui, Gavin prit le bâton à deux mains et donna un coup puissant sur son bras, lui faisant abandonner le poignard. Puis en quelques mouvements, il envoya Henri au sol, la lame de la lance plantée dans la cuisse.

Le cri d’horreur et de douleur qui sortit de la bouche d’Henri n’était en rien jouissif pour Gavin, mais il permit à Thomas de rester en vie et de l’entendre assener un coup volontairement puissant dans la mâchoire du Comte, afin de l’assommer, avant de foncer droit sur lui pour le prendre dans ses bras et caresser ses cheveux.

— Je suis là, Gavin, l’entendit-il murmurer contre sa tempe. Tu as été formidable.

— Il… Il allait te tuer… dans le dos, comme un lâche ! se défendit le jeune garçon qui sentit définitivement ses forces l’abandonner.

— Majesté ! s’écria Thomas d’une voix assez forte pour que la Cour toute entière l’entende clairement. Permettez-moi d'obtenir le mariage dans l’immédiat.

— Si fait, mon ami. Il ne vous reste que l’église.

Un sourire s’étira sur le visage du monarque quand Thomas captura la bouche de Gavin avec fièvre, proclamant ainsi que le garçon était à lui et rien qu’à lui.

Son courageux guerrier, sa combattante. Peu lui importait comment il devait qualifier son ange. Pour lui, il était doté d’ailes aussi blanches que le plus pur des cotons et d’une arme qui pouvait lui transpercer le cœur. Son regard déterminé ne le quitta pas et il sut à cet instant que peu importe ce que Gavin déciderait de dire, ce garçon était toute sa vie et il ne se voyait définitivement plus vivre sans.

***

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