Six heures... Il était six heures du matin lorsque l'étranger consulta sa montre. Avec les hommes du régiment, il s'était retranché dans les cavernes de Rattlesnake Springs, l'endroit où se cachaient les apaches depuis maintenant des années. Voilà qui expliquait pourquoi jamais personne n'était parvenu à découvrir leurs campements successifs. Voilà comment, aussi, ils pouvaient attaquer les convois et les diligences sur les routes sans jamais être inquiétés. La forêt était si dense que personne n'aurait pu y établir un camp. C'est du moins ce que tout le monde pensait. En cela la cachette était ingénieuse : qui aurait eu l'idée d'inspecter une forêt à peine accessible à dos de cheval et dans laquelle, qui plus est, se trouvait une grotte par laquelle on ne pouvait accéder qu'en se courbant un peu ? Qui plus est, l'entrée était obstruée par des feuillages touffus. Néanmoins, le Major n'était pas n'importe qui et, ayant connaissance de l'emplacement de cette grotte depuis bien des années, il en était arrivé à la conclusion que les apaches s'étaient retirés dans cet endroit. Ainsi, lorsqu'il avait échafaudé son plan, il avait donné l'ordre d'attendre l'arrivée du soir naissant pour quitter la ville et rejoindre la grotte pendant que les guerriers, occupés à massacrer cette ville d'ignobles esclavagistes, ne seraient plus présents pour protéger les leurs.

  La première partie de son plan s'était déroulée avec succès mais ses hommes ne le savaient pas encore. La seconde partie s'était également déroulée comme il l'avait annoncé à ses hommes. Toutes les familles attendant le retour de leurs époux, frères, fils et pères furent exterminées sans sommation ni pitié. Les cadavres des vieillards, femmes et enfants inondaient encore de leur sang le sol rocailleux de la grotte. Détestant la violence lorsqu'elle était inutile, l'étranger n'avait pas pris part au carnage, préférant attendre à l'extérieur. Lorsque tout fut fini, il rejoignit les hommes du régiment qui fêtèrent leur première victoire. L'instant d'après, chacun vérifia l'état de ses armes et se prépara à recevoir comme il se devait les guerriers apaches dont la vigilance serait à son minimum suite au succès retentissant qu'ils venaient de remporter. Pendant ce temps, l'étranger déambulait parmi les corps jonchant le sol en en inspectant certains sans vouloir attirer l'attention. Il fit, comme cela, le tour de la grotte puis vérifia à son tour, que son revolver était bien chargé.

  Quelques minutes plus tard, le Major déboula en trombe dans la grotte en chuchotant.

- Tout le monde à son poste, dit-il, ils vont bientôt arriver... ! Installez les macchabées et que chacun se tienne prêt... !

  Seul le froissement des uniformes et le claquement des bottes se fit entendre contre les parois de la sombre cavité. À la faible lueur des lampes à pétrole, l'étranger vit chaque soldat déplacer des cadavres pour les mettre dans des positions laissant croire qu'ils étaient assoupis sous leurs peaux de bêtes. Une fois cette tâche effectuée, chacun rejoignit un emplacement stratégique : un tiers du régiment prit position tout au fond de la grotte, dans l'alignement direct de l'entrée, un deuxième tiers s'était installée au-dessus de l'entrée, le relief de la parois leur permettant de tenir assis. Quant au reste du régiment, il était à l'extérieur regroupé en un point avec ordre de se déployer tout autour de l'entrée dès que le tonnerre s'abattrait. Il aurait ainsi la charge d'anéantir les éventuels fuyards ou les obliger à s'engouffrer dans la grotte, où une mort certaine les attendait.

  Alors que les derniers soldats finirent de mettre le plan à exécution, l'étranger s'approcha du Major.

- Avec votre permission, je vais rejoindre vos hommes à l'extérieur. J'espère que vous ne m'en tiendrai surtout pas rigueur... je suis claustrophobe...

- Ce plan n'aurait pas pu fonctionner sans vous, mon cher... Requête accordée !

- Merci Major... !

  Puis il disparut dans le passage afin d'aller se cacher quelques dizaines de mètres plus loin en compagnie des soldats enfoncés derrières les racines séchées.

- Je viens vous prêter main forte, dit-il à voix basse.

- On jouait déjà à 3 contre 1 sans vous, mais si vous voulez vous faire plaisir, pas de problèmes... lui répondit l'un d'eux.

- 3 contre 1, dites-vous ? s'étonna l'étranger. Je vois... En ce cas la partie promet d'être fort intéressante...

  Durant les quelques instants qui suivirent, un silence de mort régna dans la grotte et la forêt, jusqu'à ce que les chevaux d'une horde au galop se fasse entendre. Chacun retint son souffle, dans l'attente du moment fatidique...

**********

- Cinq minutes, c'est tout c'que j'demande... geignit Tommy. On a cavalé toute la nuit, on est loin de la ville maint'nant ! On peut bien s'reposer un peu... !

- Te reposer pour quoi faire ? C'est toi qui coure ou c'est ton ch'val ? s'impatienta Jamie.

- Et les ch'vaux justement, t'y as pensé ? J'suis p't-êt' qu'un gamin mais faut pas êt' trop futé pour savoir que si on continue, ben ils vont caner !

- Bordel, Tommy...

- Jamie ! intervint Grace. Il a pas tort, là. Vaut mieux faire une pause, au moins pour les bêtes.On en profitera pour manger un morceau et après on repart...

- Toi aussi, tu t'y mets, ça y est ?

- Mais !?

- Ben arrêtez-vous si vous voulez, moi je continue !

- Jamie !

  Perdant patience, Grace encouragea son cheval à remonter à la hauteur de Jamie, saisit les rênes de sa monture et l'obligea à s'arrêter net. On pouvait désormais lire la colère sur son visage...

- Maint'nant écoute-moi, reprit-elle, depuis que t'es revenu d'la ville t'as pas desserré les dents et à chaque fois qu'on t'parle, tu nous envoies chier ! Alors j'sais pas c'qui s'est passé ou c'que t'as vu, mais soit tu nous dis tout, soit on s'tire sans toi ! C'est clair ?

- Faites comme vous voulez... marmonna Jamie en reprenant ses rênes.

  Laissant exploser sa colère, Grace l'attrapa par les épaules et le jeta à terre. Bondissant de son cheval, elle le rejoignit et lui donna une violente gifle. Comme si cet acte s'était suffit à lui-même, Jamie la regarda les yeux écarquillés. À croire qu'il ne savait même plus où il se trouvait.

- Pour la dernière fois, t'as vu quoi ?

  Jamie la regarda alors droit dans les yeux et ne put retenir une larme.

- Rien..., répondit-il.

- Quoi "rien" ?

- Quand j'y suis allé, y'avait plus rien...

- Ben explique !

- Juste après que je sois arrivé en haut de la colline, j'ai pu voir les derniers apaches qui quittaient la ville... Il en restait plus rien... Elle avait été réduite en cendres... Quand j'ai parcouru les rues, j'ai trouvé que des morts... tous les civils avaient été massacrés... la peau trouée... le crâne scalpé... certains complètement brûlés... Y'avait bien quelques apaches parmi les cadavres, mais c'était clairement pas la majorité... C'était l'horreur, Grace... Certains étaient dans le même état que le pauvre vieux Braddy... El Paso, c'est même plus une ville fantôme... y'a plus un seul bâtiment debout... !

  Accusant le coup, Grace, totalement chamboulée, s'assit à côté de lui, bientôt rejointe par Tommy.

- Ils...Ils ont... brûlé la ville...? bégaya-t-elle.

- ... avec les habitants... oui..., lui répondit Jamie.

- Tu sais si y'en a qui ont survécu ? demanda Tommy.

- Oui... répondit Jamie, le regard vague. Nous...

**********

  Quatre apaches firent irruption en premiers dans la grotte pendant que le reste de la tribu guettait les alentours. Ce qui ne manqua pas de surprendre l'étranger, car aucun d'eux ne les avaient encore repéré. Aucune détonation ne se fit encore entendre. Cependant, quelques éclats de voix dans une langue qu'ils ne comprenaient pas leur parvinrent. Sans doute l'un d'eux avait-il découvert un premier cadavre parmi les leurs. L'instant d'après, comme il fallait s'y attendre, tous les guerriers s'engouffrèrent au pas de course vers l'intérieur. Le dernier n'était pas encore entré que les détonations éclatèrent.

  Le carnage avait commencé...

  Depuis l'intérieur, des cris de rage et de douleur résonnèrent, recouverts par l'écho des coups de feu. Impossible de savoir ce qu'il s'y passait. Mais très vite, les hommes à l'extérieur durent passer à l'action en voyant un premier apache ressortir en courant. En moins de temps qu'il ne fallut pour le dire, les dix soldats se levèrent comme un seul homme et se déployèrent devant l'entrée de la grotte. D'autres apaches ne tardèrent pas à revenir en pleine lumière... et le bourreau fit ainsi son oeuvre. L'étranger assista à la retraite des apaches vouée à l'échec. Les plus braves des plus braves purent à peine offrir une riposte symbolique, sans conséquences pour les hommes du Major. À l'issue du combat, les soldats parcoururent les cadavres pour achever les blessés d'une balle dans la tête sans aucun état d'âme, sous le regard médusé de l'étranger. Lorsqu'ils eurent finit leur sale besogne, ils retournèrent dans la grotte, avec vigilance, canon levé, pour se regrouper.

  Au beau milieu de ce charnier en devenir, l'étranger ne put s'empêcher de faire le constat quelque peu amer de cette bataille en fronçant les sourcils.

**********

- Trois survivants seulement sur toute une ville... commenta Grace. On peut vraiment remercier ta bonne étoile Jamie. On saura peut-être jamais qui c'est, ce type, mais il nous aura quand même sauvé la peau...

- Moi j'aurais quand même été curieux d'connaître son nom, dit Tommy.

- On peut le savoir ça, les gars... Avant qu'on parte, il m'a dit que le shérif de Lubbock pourrait me donner toutes les infos que je voulais sur lui et mes parents... déclara Jamie.

- C'est vrai ? s'enthousiasma Tommy.

- Yep...

- Ben alors ? Qu'est-ce qu'on attend ?

- Nan mais ça c'est la meilleure ! Y'a dix minutes, tu pleurnichais pour qu'on s'arrête et maintenant c'est limite si tu nous engueules pas parce qu'on laisse souffler nos ch'vaux !

- Ben t'avais qu'à commencer par nous dire ça plus tôt aussi !

- Pitié les gars, c'est bon, quoi ! soupira Grace.

- On repars dans cinq minutes, conclut Jamie en s'allongeant, la tête contre sa selle.

**********

- Deux victoires dans la même nuit, voilà de quoi vous remotiver n'importe quel soldat ! s'exclama le Major en sortant de la grotte.

  Soucieux de partager avec lui sa bonne humeur, le Major avait décidé de délaisser quelques instants ses hommes. Après tout, cet étranger n'était-il pas aussi l'artisan de cette double victoire ? Qui plus est, le régiment n'avait essuyé que de très faibles pertes, même si le Major partait du principe que cela était surtout dû à son plan et non au concours de l'étranger. Il fut cependant bien en peine de le retrouver dans cette forêt un peu trop touffue par endroits.

- Ohé... ! Où êtes-vous... ? lança-t-il au loin.

  Pas de réponse. Seuls lui parvenaient aux oreilles les cris de joie et les rires de ses hommes amplifiés par la résonance de la caverne.

- Hé là ! reprit-il.

- Diable ! s'exclama une voix sur sa gauche. Je suis confus, Major !

- Eh bien ? Auriez-vous vieilli de vingt ans pour ne plus m'entendre ainsi ? s'esclaffa le Major.

- Voilà une question pertinente, je vous l'accorde !

- Venez donc nous rejoindre à l'intérieur, l'ambiance est à la fête !

- Ne m'en veuillez pas, Major... Je ne goûte guère ce genre de réjouissances...

- Rabat-joie que vous êtes ! Haha !

- Je préfère rester seul un moment...

- Au beau milieu d'un champ de macchabées ?

- C'est une attitude sans doute plus respectable que de danser sur leurs dépouilles...

  Le Major perdit soudain son sourire et sa bonne humeur.

- J'entends mal vos propos, "Monsieur" ! Auriez-vous quelque chose à nous reprocher ?

- Saviez-vous que vous vous battiez à 3 contre 1 ?

- Bien sûr ! Vous non ?

- Je n'ai appris cette information qu'une ou deux minutes avant que vos hommes n'ouvrent le feu...

- Cette information n'a aucune espèce d'importance pour vous. Elle est bien plus cruciale pour mes hommes et moi-même. Nous allions risquer nos vies !

- Ces apaches n'ont-ils pas fait la même chose ?

- Des sauvages ! Rien de plus ! Zéro tolérance pour ces... "gens"... !

- Ils n'ont pourtant pas pu se battre bravement, mon cher Major...

- Dans toute guerre, le plus important, c'est d'être plus fort que son adversaire !

- Que faites-vous du fairplay dans ce cas ?

- La victoire est la seule chose qui compte ! Et pour l'emporter, tous les moyens sont bons. Vous parlez de fairplay ? Moi je parle de ruse...

  Un éclair passa dans le regard de l'étranger. Quittant son attitude morne et dépitée, il arbora tout à coup un visage illuminé d'un large sourire.

- Qu'il est délectable d'échanger avec un homme dont les idées arrêtées sont si plaisantes ! s'exclama l'étranger.

- Vraiment ? s'étonna le Major.

- Mais bien entendu ! Voyez-vous Major, j'ai toujours apprécié les hommes de bonne conversation. Je les considère à l'instar des militaires : ils possèdent la droiture et la ruse ; deux qualités qui permettent de réaliser tant de grandes actions !

- Je suis ravi de l'opinion que vous me portez, commenta le Major, bien qu'il fût encore perplexe.

- Ces hommes ont aussi très souvent l'avantage de porter en eux un coeur pur !

- C'est aussi mon sentiment.

- Malheureusement... la pureté s'entache souvent d'une morale défaillante...

- Que voulez-vous dire ?

- Que dans toute action, tout n'est pas tout blanc, ni tout noir... Voyez par exemple : les apaches ont attaqué une ville. C'est une action condamnable. Mais ils l'ont attaqué vaillamment, en faisant preuve de courage et en suivant des règles et un code d'honneur qui leurs sont propres. Ils sont en cela vertueux si l'on tient compte de leur foi, de leur mode de vie, de leurs coutumes de "sauvages", comme vous dites. Voyons un autre exemple : votre régiment a attaqué une population sans défenses avant de laisser découvrir ces dépouilles par des proches qui ne vivent pas que de guerre, mais de terre, de nature, d'amour et de paix. Ce même régiment, faisant preuve de ruse, extermine en définitive toute une tribu, guerriers compris, sans souci de bienséance ou d'équité...

- Vous allez loin, là... dit le Major, les dents serrées.

- Cependant ce même régiment s'est comporté ainsi dans le but de châtier une ville qui n'avait que mépris pour les hommes de couleur noire et, dans cette partie du pays, voués à être réduis à l'état d'esclaves ; en cela, bien que son acte ne soit pas très honorable dans les faits, ce régiment s'est battu pour un symbole d'équité...

- Ah... réagit le Major, ne voyant où il voulait en venir.

- Se pourrait-il, Major, que vous ayez du mal à me suivre ? lança soudain l'étranger d'un air badin.

- Eh bien... oui...

- Oh... vous me voyez confus, vraiment... Je vais tâcher d'être plus concis, en ce cas. Considérez que nous honorons en ce jour, la ruse et... un minimum de conscience morale...

  À ces mots, une formidable explosion retentit dans le dos du Major. Ce dernier fit volte-face, juste à temps pour voir un épais nuage gris s'échapper de la grotte, de laquelle provenaient désormais des cris de douleur et des supplications.

- Mais qu'est-ce que... !? s'exclama le Major, prêt à se porter au secours de ses hommes.

- Laissez, mon cher...

  Le Major tourna à nouveau la tête vers l'étranger. Celui-ci le regardait d'un air impassible.

- Quoi que vous fassiez, ils sont perdus...

  Ne tenant aucun compte de ses propos, le Major courut en direction de l'entrée mais comprit bien vite que tout espoir était vain : un éboulis avait totalement obstrué le passage.

- Non ! Non ! Non ! hurla le Major, jetant çà et là des blocs de pierre.

- Si l'explosion a épargné certains de vos hommes, les fumées et le manque d'oxygène auront raison d'eux...

- Mon cul !

*********

- Un jour de ch'val pour connaître l'identité d'ce type, c'est quand même cher payé, dit Grace.

- Console-toi en te disant que de toute façon on a plus le choix. Y'a plus que le shérif de Lubbock qui pourra nous héberger... dit Jamie.

- C'est quand même un curieux type... lança Tommy.

  Ses camarades tournèrent vers lui un regard étonné.

- Ben ouais, reprit-il, il tue un poivrot sans ciller dans l'saloon, il s'laisse arrêter, il appelle la cavalerie, il nous sauve tous les trois et la ville part en fumée... Moi, j'arrive pas à savoir si c'est un ange gardien ou un sale con...

- Pourquoi un "sale con" ? répéta Jamie.

- Ben tu l'as dit toi-même, il a quitté la ville. D'un côté on a la vie sauve, mais de l'autre y'a toute une ville qui s'est fait massacrer... C'est pas clair c't'histoire ! Pour un peu j'dirais qu'il est d'mèche avec les soldats...Pour un peu...

- Pour un peu tu penses qu'il est à l'origine du carnage et qu'il nous a fait une fleur... acheva Grace.

- Ouais, répondit Tommy. Mais en même temps j'me dis... qu'il va pas contre la loi puisqu'il s'est laissé arrêter après avoir tué Pit'... comme si...

- Comme s'il se poussait à la faute volontairement et qu'il acceptait la punition... acheva Grace.

- C'est un peu ça... sauf qu'à la fin, il nous enlève un souci...

- Comme s'il agissait toujours pour notre bien... poursuivit Jamie.

- Ouais !

- Comme s'il avait le sens du sacrifice... ajouta Grace.

- Ouais... En fait, ce type... c'est un ange gardien ET un sale con...

**********

- "Zéro tolérance"... dit l'étranger.

  Le Major, qui n'avait cessé de remuer fiévreusement les blocs de pierre, se tourna vers lui et revint à sa hauteur, essoufflé.

- Vous avez dit quoi ?

- "zéro tolérance"... Ce sont les termes que vous avez employer...

- Contre ces sauvages, oui ! rétorqua le Major.

- Je me vois dans l'obligation de les réemployer dans un sens de justice... décréta l'étranger, impassible.

- Quoi !?

- Vous vous êtes rendu coupable d'avoir laissé toute une population se faire massacrer sans lui apporter assistance. Votre rôle de militaire n'est-il pas de défendre votre patrie contre l'oppresseur... qu'il vienne de l'extérieur comme de l'intérieur ? Qui plus est, en détenant des informations vous confirmant que des civils allaient être attaqués et n'ayant pas agi, vous êtes passible de sanctions sans précédents, mon cher...

- Comment osez-vous ! C'est vous qui m'avez informé des opinions de cette ville !

- Deux points, mon cher. Tout d'abord, je n'ai fait que vous informer, comme vous le faites remarquer si justement. Ensuite, ce plan était le vôtre, pas le mien... À croire que vous n'avez pas su faire preuve d'objectivité... Quelle ironie pour le si grand stratège que vous êtes !

- Mais... c'est vous qui avez faussé mon jugement avec vos commentaires sournois et vos airs bourgeois !

- Je ne saurais porter le poids trop lourd d'une double victoire dont vous vous enivrez depuis cette nuit...

- Que... ?!

- Oui... je suis au courant que vous vous êtes rendu en ville pour assister en personne à sa destruction et au massacre de ses habitants... Avec un petit verre, vos hommes parlent parfois un peu trop...

- Vous... !

- Comme l'on dit familièrement, "vous avez pris votre pied" !

  Le Major, rouge de colère, sortit frénétiquement son revolver de son étui et tira le chien vers l'arrière, son canon pointé droit sur la tête de l'étranger. Sa main, cependant, ne cessait de trembler.

- Enlevez votre ceinturon ! Tout de suite !

  L'étranger défit lentement la boucle de son revolver.

- N'allez pas croire que vous allez vous en sortir aussi facilement ! reprit le Major. Vous allez écrire des aveux...

  L'étranger jeta l'arme à ses pieds.

- ...et vous les signerez de votre sang ! s'emporta le Major. Mains en l'air !

  Relevant lentement ses mains, l'étranger ne quitta pas son regard un seul instant, arrêta ses bras vers l'avant et lui adressa un sourire.

- "zéro tolérance"... répéta-t-il à mi-voix.

  Dans un dernier accès de rage, le Major tendit son bras mais trop tard. Une violente douleur l'inonda au plexus tandis qu'il sentit son uniforme se coller sur son torse. Incrédule, il regarda l'étranger en perdant son arme ainsi que toute force. Ce dernier tenait dans sa main droite un petit derringer au canon fumant, relié à son poignet par un système mécanique.

- Vous... êtes... monstre..., marmonna le Major en s'écroulant, inerte.

- La Justice est parfois monstrueuse sous les traits d'un acte répréhensible, mon cher...

  Et sous le soleil naissant de cette matinée, il s'en retourna vers son cheval, laissant derrière lui, les témoins d'une bataille à jamais inconnue.