03. Ressaisis-toi, beau brun !

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Joy

Je sursaute en entendant la porte de l’appartement claquer et j’ai un instant de panique. Personne ne devrait rentrer maintenant, j’ai encore plusieurs heures d’ennui au programme, normalement. J’hésite à sortir de la salle de bain, de peur que ce soit un voleur, mais me raisonne : un voleur ne claquerait pas la porte, j’imagine. Je l’entrouve et pousse un soupir de soulagement en apercevant Alken. Ce n’est que lui. Mais, qu’est-ce qu’il fait là ?

Je m’enroule dans une serviette et sors de la pièce, le trouvant dans la cuisine, le nez dans le réfrigérateur.

— Chéri ? Qu’est-ce que tu fais là ?

— J’ai été viré de l’ESD à cause de cette petite traînée de Charline, me répond-il sans lever la tête. On n’a plus de bière ? Il me faut un truc là pour me calmer ou alors je défonce tout.

— Pardon ? Heu… Non, on n’a pas de bière, non, et je ne suis pas sûre que ça te permette de te calmer, de toute façon. Tu veux bien m’expliquer ?

Il a l’air de prendre tout à coup conscience de ce qu’il est en train de faire car il se stoppe en regardant le frigo ouvert avant de le refermer lentement.

— Désolé, Joy, je… commence-t-il avant de s'effondrer au sol, en pleurs, le dos contre la porte du frigo, sa tête entre ses mains.

J’ai la gorge serrée en le voyant dans cet état et j’avoue ne pas trop savoir quoi faire. Alken semble totalement abattu, et le voir comme ça me fait mal au cœur. J’ai bien peur de comprendre que Charline a foutu la merde et mis ses menaces à exécution en un tour de main.

Je soupire et m’approche doucement, comme si j’avais affaire à un ours blessé. Je ne suis pas sûre d’être très douée pour réconforter les gens et j’ai peur d’être gauche, mais je ne peux pas le laisser dans cet état sans rien tenter. Je m’assieds donc à ses côtés et passe mes bras autour de lui pour l’inciter à se reposer sur moi.

— Respire, Chéri, ça va aller… Je suis sûre que ça va s’arranger.

— Non, ça ne va pas s’arranger, Joy, sanglote-t-il en se collant à moi. Tu as vu ce qui est arrivé à Markus ? Eh bien, ça va être pareil pour moi. Elise me croit déjà coupable, tu veux que je fasse quoi ?

— De quoi est-ce qu’Elise te croit coupable au juste ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

Je viens m’installer à califourchon sur ses cuisses en grimaçant avant de repositionner ma cheville qui n’apprécie pas trop d’être étendue, et repousse doucement ses mains en l’incitant à me regarder. Mon dieu que je déteste le voir dans cet état ! Il semble au bord du gouffre.

— Charline est allée voir Elise pour lui dire que je la harcelais sexuellement, que ça fait des mois que je lui mets la pression et que je lui fais des avances, tu vois le tableau ? Et moi, je fais comment pour me défendre alors que c’est vrai que je me suis retrouvé nu devant elle, couvert de sperme en plus ? Elle a raison, Elise, je suis coupable et c’est fini. Jamais plus je ne danserai sur scène…

Je fais ce que je peux pour masquer les émotions qui me traversent. D’abord la surprise, parce qu’elle est culottée, la Charline. Et puis la colère. Comment est-ce qu’elle ose faire ça ? Est-ce qu’elle se rend compte de ce que cela implique pour Alken ? Est-ce qu’elle a conscience de ce qu’elle vient de faire ?

— Alken… Tu n’es pas coupable, je suis sûre qu’on peut le prouver. Il faut juste qu’on réfléchisse à comment faire, dis-je en essuyant ses joues humides avec mes pouces.

— C’est gentil, Joy, mais c’est mort. Vu comment elle a maté mon sexe, elle doit être capable de le décrire dans ses moindres détails. Et si elle se plante, elle dira que c’est l’émotion. Quoi qu’elle dise, ils vont la croire. C’est foutu, Joy. Aux yeux du monde, je suis devenu un pervers. Et d’ailleurs, tu devrais rentrer chez toi avant que le scandale ne t’éclabousse aussi…

— Je ne bouge pas de là, ne dis pas de bêtises voyons.

— Papa ? T’es là ?

La porte de l’appartement se referme et j’entends Kenzo jurer.

— Nom de dieu, un peu de tenue tous les deux ! grimace-t-il en nous tournant le dos.

— C’est pas du tout ce que tu crois, marmonné-je.

Il se tourne à nouveau vers nous et fronce les sourcils en observant son père. Kenzo approche rapidement et s’accroupit à nos côtés.

— Ça va pas ? Qu’est-ce qu’il t’arrive, P’pa ? Elise est venue nous voir à la fin du cours de Maman pour nous dire qu’on était libre pour l’après-midi. J’ai pas compris. T’es malade ? Qu’est-ce que tu as ? Et… Pourquoi t’es étalé dans la cuisine ?

— Je suis accusé de harcèlement sexuel, Kenzo. C’est terrible. Ma carrière est foutue. Je crois que je vais devoir penser à l’exil si je ne finis pas en prison, se lamente-t-il, complètement abattu par la nouvelle.

Je vois le visage du fils d'Alken se décomposer, puis ses sourcils se froncer alors qu'il semble totalement perdu. Je prends quelques secondes pour lui expliquer plus en détails les choses alors que mon amoureux est encore dans tous ses états. Je ne sais absolument pas quoi faire et j'ai l'impression de ne servir à rien. Il ne réagit même pas quand je le touche, c'est tellement à l'opposé de l'homme que j'ai l'habitude de côtoyer que j'en suis déstabilisée.

— Y a rien de définitif encore. Tu es suspendu, pas renvoyé. Et Charline n'a pas déposé de plainte, Chéri…

— Ce n’est qu’une question de temps. Et je vais avoir tous les médias contre moi, c’est sûr… Je ne sais pas comment j’ai fait pour me retrouver là. J’aurais jamais dû accepter de faire ce concours…

— Ce qui est fait est fait, Alken, ça ne sert à rien de ressasser ça, soupiré-je en le serrant contre moi. Il faut réfléchir à une solution, surtout.

— Tu penses qu’il y a une autre solution ? me demande-t-il, ses yeux retrouvant un peu de leur éclat normal.

Honnêtement, je ne sais pas, mais je ne peux pas lui dire ça. Je ne peux pas lui trouver une solution comme ça en un claquement de doigts, mais il a besoin d'un peu d'espoir, mon Chéri.

— Tu n'as qu'à dire à Elise que tu sors avec Joy, intervient Kenzo.

Je me tourne vers Kenzo, surprise par son intervention. L’idée n’est pas stupide, mais ça risque d’avoir un impact tout aussi lourd sur la carrière d’Alken. Non, pas aussi lourd, je suis pleinement consentante. Mais je ne vois pas en quoi cela le rendrait innocent pour ce dont l’accuse Charline-la-mytho.

Perdue dans mes pensées, je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit qu’Alken répond à son fils.

— Ah non, Kenzo ! Jamais de la vie. Tu veux quoi avec ça ? Faire plonger Joy avec moi ? Confirmer que je cours après toutes les jeunes femmes de l’ESD avec qui je danse ? En quoi tu veux que ça m’aide ?

— Ne dis pas non aussi vite, Alken. Il faut réfléchir et envisager toutes les options, soupiré-je en me levant avant de lui tendre la main. Allez, debout, ressaisis-toi, beau brun.

— Oui, désolé, ça fait pas très viril de craquer comme ça, soupire-t-il en saisissant ma main pour se relever. Je suis désolé que vous m’ayez vu comme ça, les jeunes. Mais hors de question que je mouille Joy dans cette histoire. Ma carrière est faite, ce n’est pas grave. Mais celle de Joy commence ! Ce serait horrible de la mêler à un tel scandale. Et je le répète, ça prouverait quoi ?

— Rien, sans doute, je ne sais pas, P’pa, je cherche une solution, lui répond Kenzo en s’asseyant sur le canapé. Peut-être que… Je vais aller la voir, moi, cette connasse. J’arrive pas à croire qu’elle ose t’accuser de harcèlement, sérieux.

— Non, Kenzo, si tu y vas, elle va encore plus m’accuser de harcèlement. Et je ne veux pas vous mêler à mes histoires. Vous avez votre vie devant vous, n’allez pas la gâcher pour moi… Et peut-être que je devrais faire ce que j’ai dit à Elise que j’allais mettre en œuvre…

— C’est-à-dire ? demandons-nous d’une seule et même voix.

— Eh bien, pour la faire sortir de sa tanière et l’obliger à assumer ses accusations, j’ai menacé Elise de porter plainte pour diffamation et de demander des dommages et intérêts, non seulement à Charline, mais aussi à l’ESD qui me juge sans preuve. J’ai dit ça dans la colère, mais ce n’est peut-être finalement pas une aussi mauvaise idée que ça…

— Alken… J’imagine que ce n’est qu’une mesure conservatoire, non ? Enfin, Elise va faire en sorte d’apaiser les choses et de savoir le fin mot de l’histoire, tu ne crois pas ? lui demandé-je presque timidement, marchant clairement sur des œufs.

— Une mesure conservatoire de même pas m’écouter ? s’emporte-t-il, véhément. De même pas chercher à savoir ce que j’ai à dire ? Pour moi, c’est un manque de justice criant ! Et son manque de confiance a cassé un truc chez moi, je peux te le dire.

— Tu devrais demander un rendez-vous avec le Conseil d’Administration, non ? Et puis, te faire assister ? Je n’y connais pas grand-chose, mais j’imagine que tu as des recours quand même… Tu sais, sans vouloir défendre Elise, je crois qu’avec le scandale Markus en début d’année, elle a dû partir en vrille et ne pas réfléchir plus loin que le bout de son nez…

— Oui, mais la différence, c’est que Markus est coupable et qu’il l’a reconnu. Moi, je n’ai rien fait à part résister encore et encore à cette conne de Charline. C’est ça qui m’horripile le plus. Elle m’aurait mis à pied pour notre relation à tous les deux, j’aurais compris, mais là, c’est clairement de la merde qu’elle a devant les yeux.

— Je crois qu’il faut qu’on réfléchisse à tout ça à tête reposée, P’pa, soupire Kenzo. Et se renseigner aussi. Tu veux qu’on sorte cet après-midi ? Un bowling, ça te tente ? Histoire de se changer les idées.

— Un bowling ? Non, hors de question que je sorte ! Si je croise quelqu’un qui me regarde bizarrement, je vais me faire des films et je risquerais de lui en mettre une.

— Bien, alors je vais aller m’habiller, et on va commencer par se cuisiner un bon petit plat pour ce midi, souris-je en l’enlaçant. Ça vous convient, Monsieur O’Brien ?

— Non, Mademoiselle Santorini. Restez comme vous êtes, et là, ce sera parfait, sourit-il enfin en me regardant.

Ce regard qu’il me porte me redonne espoir car il a retrouvé tout son côté aimant et passionné. Nous ne sommes qu’au début d’une galère monumentale, mais nous sommes tous les deux. Tous les trois, même. Et c’est l’essentiel. Je suis sûre qu’on va réussir à le sortir de ce bourbier. Et si Alken ne veut pas nous mêler à ça, moi, je compte bien aller la voir, cette foutue garce.

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