14. Le test du rugbyman
Alken
En arrivant en Gare du Nord, je me demande si je ne vais pas chercher un magasin qui vend des perruques. Cela me ferait rire de me présenter devant Joy déguisé en Mélissa. Et puis, ça détendrait peut-être l’atmosphère avec son frère. Angel. Quel nom ! Joy m’en a souvent parlé et elle l’aime bien. Je ne le connais qu’à travers elle, mais il a l’air sympathique. Il faut juste qu’il accepte la différence d’âge et que le courant passe entre nous. Cela ne devrait pas me stresser, ce n’est pas comme si c’était la première fois que je rencontrais ma future belle famille, mais cette fois, c’est différent. J’ai tellement envie que ça se passe bien, je sais que Joy est la femme avec qui je veux finir mes jours, alors si je foire cette rencontre, ça pourrait faire réfléchir la jeune et jolie sirène qui partage ma vie. Et ça, je ne le veux pas du tout.
Dans le métro, je me retrouve coincé entre deux femmes africaines habillées en boubou. Elles discutent dans leur langue au-dessus de mon épaule. Je ne sais pas trop ce qu’elles racontent, mais j’ai l’impression qu’elles parlent de moi. Elles n’arrêtent pas de me regarder et elles se pressent contre moi à chaque mouvement de cette rame de la ligne quatre qui m’emmène dans le sud de la capitale, où je vais enfin pouvoir retrouver mon amour. Tout à coup, l’une d’entre elle se penche et s’adresse à moi, en Français.
— Tu sais, beau brun, si tu es intéressé, on peut te donner notre numéro et on se retrouve où tu veux et quand tu veux !
— Non, ça ira, merci, souris-je. Là, je vais retrouver la femme de ma vie. Vous êtes jolies, hein ? Mais je ne suis pas intéressé, je n’ai que ma Chérie en tête. Bonne chance à vous dans vos recherches !
Et pour couper court à la conversation, je sors de la rame alors que je ne suis pas encore arrivé à destination. Cela vaut mieux que de rester à côté d’elles encore plusieurs arrêts. Après un changement, j’arrive enfin à l’arrêt Vaugirard et je sors sur le grand boulevard où j’ai la chance de découvrir qu’il ne pleut plus. Il fait toujours gris et froid, mais au moins, c’est sec. Je regarde autour de moi et constate que Joy n’est pas encore arrivée et je m’adosse à une grille pour l’attendre. J’essaie de ne pas trop penser à Angel et lui envoie juste un petit message pour lui dire que je l’attends.
— On arrive mon Chou. A tout de suite !
Et effectivement, moins de cinq minutes après, je vois sa tête apparaître en haut des escalators. Sa belle chevelure brune entoure son visage rayonnant et, pendant un instant, je ne vois qu’elle. Nos regards se trouvent immédiatement, comme si elle savait exactement où j’allais me mettre et la joie que j’y lis me réchauffe le cœur. Elle se met à courir et me saute dans les bras. Je l’accueille en la soulevant contre moi et en écrasant ses lèvres des miennes dans une étreinte passionnée. Lorsqu’enfin, je la repose au sol, je rougis légèrement en voyant le regard amusé de son géant de frère qui est au bras d’une jeune blonde timide. Je lui tends immédiatement la main.
— Je suis Alken, mais je pense que tu l’avais deviné. Enchanté, c’est un plaisir d’enfin te rencontrer !
Je choisis immédiatement le tutoiement afin de créer un rapprochement. Je ne sais pas si c’est la bonne chose à faire, mais dans ces instants-là, on agit à l’instinct.
— Enchanté également. Je te dirais bien la même chose, mais je ne connais ton existence que depuis deux heures, rit-il. Je te tutoie, ou… Je dois vous vouvoyer ? Joy m’a dit qu’on n’était pas de la même génération, je ne voudrais pas vous froisser.
— Oh Angel, arrête tes conneries, soupire Joy, c’est pas drôle. Alken, bon courage avec mon petit frère. Et je te présente Ylona, sa pauvre petite amie. Je la plains, mais bon, elle semble sous le charme de son humour lourd.
— Enchanté Ylona. Et donc, Petit Jeune, non seulement, tu peux me tutoyer, mais je te dispense de m’appeler Monsieur, dans ma grande mansuétude. Et, pour info, j’apprécie ton sens de l’humour. J’espère que ça veut dire que tu ne me rejettes pas d’office, souris-je alors qu’au lieu de se contenter de me serrer la main, il me donne une étreinte virile, digne d’un rugbyman. Tu sais que ce n’est pas parce qu’elle n’avait pas confiance qu’elle ne t’a pas parlé ? Moi-même, je ne l’ai dit à mon fils que lorsqu’il nous a captés ou presque. Ce n’est… Pas toujours facile à vivre, notre situation.
— J’ai pas trop le choix, Joy m’a menacé de me couper les bijoux de famille si je la jouais frère protecteur. Mais je n’hésiterai pas à être beaucoup moins gentil si tu lui fais du mal, tu es prévenu, au moins.
Et vu la taille de ses mains et sa carrure, s’il se décide à faire du mal, ça peut vite dégénérer. Heureusement que tout ce que je souhaite, c’est rendre sa sœur heureuse.
— Tu as bien raison. Quand on a un joyau comme ça près de soi, il faut tout faire pour le préserver. Je vous inviterais bien à prendre un verre, mais tout est fermé aujourd’hui. Vous voulez venir au bar de l’hôtel où je passe la nuit ? demandé-je en leur montrant le café à côté.
Joy ne répond pas et se love tout contre moi. Je me penche vers elle et l’embrasse à nouveau, sans me préoccuper de la présence de son frère à côté.
— Pourquoi pas, mais on ne voudrait surtout pas déranger ? sourit Angel.
— Ben vous pouvez venir, mais je vous préviens, la chambre d’hôtel n’est réservée que pour deux !
Les trois jeunes éclatent de rire et je leur indique le chemin. Avec Joy, on ne se quitte pas. Elle se serre contre moi, son bras dans mon dos alors que le mien est directement sur ses fesses. Nous marchons à l’unisson et je rétrécis un peu mes pas pour qu’elle n’ait aucun mal à me suivre. J’ai l’impression d’être à nouveau un adolescent avec son premier amour. Comme si nos lèvres ne pouvaient se séparer plus de cinq minutes sans avoir un besoin frénétique de se retrouver. Comme si nos peaux étaient faites pour ne plus jamais se séparer. Depuis que je l’ai retrouvée, je me sens à nouveau entier, et ça me fait un bien fou. Ces trois derniers jours ont semblé durer une éternité.
A l’hôtel, je m’adresse à l’accueil et la réceptionniste nous sourit en grand. Elle a l’habitude de nous recevoir, à chaque fois que je viens pour le spectacle auquel elle est même venue une fois.
— Votre chambre est prête, Monsieur et Madame O’Brien. Mais je ne savais pas que vous auriez des invités. Je leur prépare une chambre aussi ?
— Non, Solène, ils sont juste venus prendre un verre avec nous. Le bar est bien ouvert, malgré les fêtes ?
— Bien entendu, Monsieur O’Brien. Et Joe est sur le pont pour vous préparer tout ce que vous voudrez ! Bon séjour chez nous ! conclut-elle en me remettant le pass pour notre chambre.
Je me tourne vers Joy et lui fais un clin d’œil.
— Madame O’Brien, vous me suivez ? C’est par là, indiqué-je.
— Mais bien sûr, Monsieur O’Brien, sourit-elle avant de faire la moue en levant sa main devant mon nez. Mince, il me manque la pierre plus grosse que mon doigt, quand même.
Ah oui, son rêve, c’est d’avoir une grosse bague ? Il faudra que j’y pense, le jour venu, mais bon, là je m’emballe. Si je finis la soirée entier et en bons termes avec son frère, ce sera déjà bien pour aujourd’hui. Nous nous installons à une petite table près du bar et Joe fait le service. Un silence s’installe alors que nous sirotons chacun notre boisson. Je me demande comment le rompre, mais c’est Joy qui reprend la conversation.
— Ylona et Angel se sont rencontrés en fac de médecine, t’imagine un peu les têtes ? Mais les écoles réunissent, sourit-elle. Enfin, techniquement ce n’était pas vraiment l’école pour nous.
— Ah oui, pour nous, c’est plutôt l’école qui nous empêche de vivre ce qu’on aimerait. Et vous voulez tous les deux devenir médecins ? Ou vous avez une spécialité en tête ?
— Je vise la pédiatrie, me répond Ylona.
— Ouais, elle adore les enfants, sourit Angel en la regardant tendrement. Moi, médecin tout court, ça me va. Y en a déjà pour un moment.
— La fierté de la famille, ce grand dadais. Un médecin, tu te rends compte ? continue Joy.
— Vos parents vont être fiers, non seulement ils auront un médecin mais aussi une grande danseuse à la renommée internationale, ils ont bien réussi leur travail ! rétorqué-je.
— Oui, enfin pour ça il faudrait que Joy évite de zapper des possibilités de spectacle à l’étranger. Les parents ne vont pas s’en remettre, ricane Angel.
Je regarde Joy, surpris, et elle rougit sous mes yeux, ce qui a le mérite de me faire craquer et je l’embrasse tendrement avant de reprendre la parole.
— Ah oui ? Tu t’es décidée pour ne pas faire le concours ? C’est une vraie opportunité manquée, ça, tu le sais ? Mohamed Benkali ne fait pas tout le temps des auditions comme ça.
— Ma décision est prise, dit-elle en haussant les épaules. On verra après le diplôme. Ce n’est pas le moment, je crois.
— De toute façon, je crois que c’est moi qui vais finir par lui écrire un spectacle sur mesure, à cette jeune danseuse, confié-je à son frère et sa petite amie. Elle mérite un show monté autour d’elle pour la mettre en valeur et lancer sa carrière de la meilleure des façons. Je n’ai jamais vu une telle grâce et une telle beauté chez une danseuse !
— Alken, tu es officiellement adopté, s’exclame Angel en levant son verre. Joy a un talent fou, moi qui ne connais rien à la danse, j’adore la regarder danser. J’ai hâte que tu voies ça, Ylo, je te jure que ça vaut le détour, même si tu risques de te foutre de moi qui n’ai même pas le sens du rythme.
— Arrêtez, je vais finir par prendre la grosse tête, rit Joy, gênée.
Nous continuons ainsi à discuter de tout et de rien jusqu’à ce que Angel et Ylona nous quittent en promettant d’excuser l’absence de Joy, retenue par une Mélissa dépressive et qui a besoin de compagnie pour affronter son premier Noël seule, suite à la mort de ses parents et à l’abandon de son compagnon. J’espère qu’ils vont y aller un peu moins fort dans l’histoire qu’ils vont raconter aux parents de Joy, mais nous ne serons pas là pour assister à la scène. Il faut leur faire confiance.
Nous montons dans notre chambre sans nous éloigner de plus de quelques centimètres. A peine la porte de la chambre franchie, Joy se jette sur moi et nous nous déshabillons avec encore plus de frénésie et de désir qu’habituellement. En quelques secondes, elle s’agrippe à mon cou et se positionne sur mon sexe tendu pour que je la pénètre. Je lui fais l’amour, debout contre la porte et ses gémissements ravissent mon cœur. C’est tellement beau de la voir ainsi me chevaucher, de la sentir ainsi me désirer, que notre union est passionnelle et rapide. Intense et forte.
— Wow, on voit qu’on était en manque, ma Chérie. Tu sais que je t’aime et que je ne veux plus que tu t’éloignes de moi aussi longtemps que ça désormais ?
— J’ai bien fait de renoncer à ce concours, alors, sourit-elle avant de m’embrasser.
— Ouais, par contre, demain, hors de question que tu retournes chez tes parents ! Ou alors, juste pour la journée, mais j’ai trop besoin de toi pour te laisser t’échapper à nouveau !
— Comptez-vous me kidnapper, Monsieur O’Brien ?
— Peut-être bien, dis-je en réfléchissant à ce que je pourrais faire. Oh ! Tu aimes le ski ?
— Le ski ? Heu…. J’en ai fait quand j’étais gamine, mais ma mère a vite refusé qu’on y aille. Tu imagines, la danseuse qui se casse une jambe sur les pistes ? Comment j’aurais pu faire ses concours de classique après ça ? soupire-t-elle. Pourquoi ?
— Eh bien, tu pourrais dire que Kenzo et Théo ont une opportunité en or et qu’ils t’invitent dans leur chalet ? Comme ça, on part demain, on va les retrouver dans le Vercors, et promis, on passe tout le temps possible dans le chalet pour éviter les risques de chute ! Que penses-tu de ce programme ?
— Je pense que l’idée me tente bien, j’avoue, dit-elle en réfléchissant. Surtout celle de choquer ma mère. Vilaine fille.
— Bon, j’arrange ça avec Kenzo, et demain, tu passes chez toi prendre tes affaires et on fonce à la montagne !
Je n’ai pas réfléchi plus que ça à tous les détails de cette aventure, mais je me dis que parfois, il faut savoir improviser. Il faudra sûrement qu’on fasse des courses, qu’on s’achète des équipements, mais ça a du bon de mettre un peu de folie dans une relation, non ?
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