22. Amère vérité

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Alken

Je dois y arriver ! Il ne faut pas que j'abandonne maintenant parce que je suis enfin sur le bon chemin ! Je continue à m'appuyer sur mon bras droit, la tête en bas et je cherche le point d'équilibre sans parvenir à le trouver. Une nouvelle fois, je n'ai pas assez de force et je suis obligé de terminer mon geste par une roulade pour ne pas m’effondrer au sol de manière inélégante. Dommage, j'y étais presque.

Je pense qu'il faut que j'arrête avec l'entraînement physique aujourd'hui si je ne veux pas risquer de me froisser un muscle et je me mets donc derrière mon ordinateur. Sur un logiciel spécial, j'indique les pas et enchaînements que j'aimerais réaliser et je peux ainsi voir ce que ça donne au niveau chorégraphie. Le graphisme reste basique, mais c’est plutôt bien fait et ça me donne une idée du rendu. Je suis ambitieux dans ce que je prévois et j'ai hâte de tester avec Joy pour voir si je suis dans le vrai ou complètement en dehors de la plaque. Je ne sais pas du tout si c’est vraiment faisable ou pas, mais si ça l’est, ce sera un programme exigeant.

Depuis que je me suis lancé dans ce projet, je ne vois plus le temps passer et c’est tant mieux parce que, au moins, je revis. J’ai retrouvé l’énergie et l’envie de progresser. Je me suis même remis un peu à la musculation afin de travailler des muscles et des positions plus compliquées ultérieurement. Je suis concentré sur ce travail informatique quand une notification m’interpelle. J’ai reçu un mail de l’ESD et vu le début qui s’est affiché, ça a l’air officiel. Vite, je l’ouvre et je le lis.


Monsieur O’Brien,

Nous vous convions à un entretien ce mercredi à quatorze heures trente dans mon bureau afin d’évoquer l’affaire de votre suspension. Cet entretien sera l’occasion de présenter à Mme Chambly les nouveaux éléments en notre possession et de réévaluer ensemble les suites à donner à la sanction à laquelle vous êtes soumis. Nous nous excusons pour le court délai mais il est important de mettre un terme le plus rapidement possible à cette histoire.

Cordialement,

Elise Martin, Directrice de l’ESD.

Je suis surpris de ce message venant de nulle part. Et des nouveaux éléments, de quoi peut-il s’agir ? Immédiatement, je fais suivre le message à Rafael en lui demandant ce qu’il en pense et si je dois me rendre à cette convocation sans lui, ou pas. Sa réponse ne tarde pas à arriver.


Salut Alken,

Tu y vas oui, pour savoir de quoi il retourne. Mais surtout, tu ne parles pas. Ou juste le minimum. Et au moindre souci, tu te barres et tu leur dis que ton avocat reprendra contact avec eux. C’est quoi leurs nouveaux éléments ? Une idée ?

Rafa.


Je lui réponds que je suis dans la même ignorance que lui et je me prépare rapidement. Le rendez-vous est dans moins de deux heures. J’envoie un petit message à Kenzo et Joy pour les informer de ma venue à l’ESD et savoir s’ils ont eu vent de quelque chose. Comme ils sont en cours, je n’ai pas de réponse, mais peut-être qu’ils verront leur téléphone avant mon arrivée. Je suis tout stressé et me demande bien à quelle sauce je vais être mangé. Peut-être ont-ils décidé de me licencier ? Elle leur a fait un beau témoignage, ou son dépôt de plainte a été acté, et ces nouveaux éléments sont suffisants pour prendre leur décision, sûrement... Je ne vois pas d’autre explication. Bizarrement, l’idée de cette décision éventuelle ne m’atteint pas plus que ça. Peut-être que je me suis déjà fait à l’idée de perdre mon travail à l’ESD ?

Je prends ma voiture et retrouve avec plaisir le chemin de l’école de danse. Ce n’est pas à l’heure habituelle, mais au moins, c’est le même trajet. Je me gare à ma place que personne ne semble avoir pris, ce qui est surprenant, mais au moins, je me sens un peu comme chez moi. Je salue Marie à l’entrée.

— Salut Marie. Tu vas bien ? Tu sais pourquoi je suis convoqué ?

— Bonjour Alken. Ça va, merci, et toi ? Je n’ai aucune information à ton sujet, tu sais, Elise ne me dit rien, désolée. Mais ça doit avoir un rapport avec la venue de Kenzo et Joy ce matin, j’imagine.

— Ils sont venus ce matin ? Vraiment ? Tu peux dire à Elise que je suis là ?

Mais qu’ont-ils fait tous les deux ? Pourquoi est-ce que ça a provoqué cette convocation ? Là, je suis perdu. J’espère que Joy n’a pas dit qu’elle était en couple avec moi, sinon je vais à cet entretien pour être disculpé d’un crime juste le temps d’être accusé d’un autre. Elise elle-même vient me chercher alors que je suis plongé dans une nuée d’idées toutes plus folles les unes que les autres.

— Bonjour Elise, tu voulais me voir ?

— Bonjour, Alken. Marie, je ne veux pas être dérangée, merci. Effectivement je voulais te voir, je ne t’aurais pas convoqué sinon. Montons dans mon bureau, tu veux ? me dit-elle sans même m’attendre.

Je la suis en jetant un regard à Marie qui hausse les épaules, aussi ignorante de ce qu’il se passe que moi. Quand j’entre dans le bureau, il y a le Président du Conseil d’Administration qui est là, à nouveau, et Charline est assise à ses côtés. Elle a l’air effrayée et semble craindre le regard d’Elise qui l’ignore royalement. Je m’assois en face du Président et Elise s’installe à mes côtés. Il semblerait que le rapport de forces ait changé depuis la dernière fois.

— Bien, merci à tous. Je vous ai convoqués ici car de nouveaux éléments ont été portés à ma connaissance ce matin et cela remet en cause la version de Charline. J’espère que cette rencontre va permettre d’éclaircir les choses. Je continue, Monsieur le Président, ou vous avez un mot à dire ?

— Non, enfin vous savez ce que j’en pense, tout cela est très fouillis et je déteste ça.

— C’est quoi ces nouveaux éléments ? demandé-je, curieux. Tu as eu une révélation ?

— Monsieur O’Brien, continue le président en fronçant les sourcils, je n’apprécie pas vraiment la façon dont vous parlez à votre supérieure. Et, pour répondre à votre question, il semblerait que nous ayons la preuve que vous ne pouviez pas être très insistant avec mademoiselle Chambly, étant donné que vous étiez en visio durant une bonne partie de la soirée, à vous dévergonder avec votre petite amie.

— Me dévergonder avec… Enfin, oui, c’est toujours ce que j’ai dit, j’étais en lien avec elle, oui. Mais comment savez-vous ça ? Quelle preuve avez-vous eue ?

Je suis inquiet. C’est quand le moment où ils vont me virer en me disant qu’ils se sont trompés de jeune fille ?

— Alken, j’ai vu le téléphone de ton amie qui a souhaité rester anonyme. Tu étais en visio toute la soirée, aucune seconde d’arrêt. Et ça m’étonnerait que tu ailles en voir une autre alors que tu étais bien occupé par ailleurs, ne peut-elle s’empêcher de me dire en souriant légèrement. Ce qui nous ramène à vous, Mademoiselle Chambly. Qu’avez-vous à répondre à ça ? Vous maintenez votre version ?

— Bien sûr que je maintiens ma version ! Je sais ce que j’ai vécu ! Ça prouve quoi ça, au juste ? Rien pour moi ! Il peut très bien avoir fait ça justement pour se couvrir ? Vous vous rendez compte de la pression que vous me mettez pour me faire dire autre chose que ce que j’ai vécu ? C’est presque du harcèlement, dit Charline, un trémolo dans la voix.

— Et toi, tu te rends compte de ce que tu me fais subir, Charline, l’attaqué-je immédiatement, juste parce que je n’ai pas voulu coucher avec toi ? Je suis suspendu, tout le monde me prend pour un pervers. Tu es en train de ruiner ma vie juste pour une histoire de sexe.

— Et le téléphone ne ment pas, Charline. Comment tu expliques qu’il puisse être en train de discuter avec sa copine et qu’il te harcèle en même temps ? reprend Elise.

— Je ne l’explique pas, poursuit Charline. Mais il me semble vous avoir dit et redit ce qu’il m’a fait, en revanche.

— Elise, je vous en prie, allez-y doucement, intervient le Président. Regardez dans quel état cela met Mademoiselle Chambly, enfin. Pourquoi donc aurait-elle menti ? Qu’est-ce qu’elle y gagne ? La plupart des élèves ne lui parlent même plus depuis cette affaire et la traitent de menteuse, voyons !

— Non, mais là, vous abusez, vous fermez les yeux, vous ne réfléchissez pas, j’en ai assez ! m’emporté-je en me levant. Vous savez ce que je vais faire ? Je vais aller porter cet élément à mon avocat et on verra ce que les juges en feront. Non mais c’est vrai, quand même ! J’en ai marre de me faire traiter de menteur par cette gamine et cette institution qui n’ont aucun respect pour moi, même quand des preuves m’innocentent ! Et je ne dis pas ça pour toi, Elise, tu as fait ce que tu pouvais. Mais là, ça dépasse les bornes. On se retrouve en justice.

Alors que je me dirige vers la porte dans un silence assourdissant, Charline reprend la parole, d’une toute petite voix timide.

— Ne fais pas ça, je t’en prie… Je… Je n’ai pas porté plainte, moi.

— Eh bien, moi, je vais le faire. La diffamation a ses limites et là, elles sont franchies. Tu mens, Charline, tu le sais aussi bien que moi. Et maintenant, avec cette preuve, mon avocat va se faire un plaisir de le prouver, ce sera connu publiquement et l’ESD sera aussi condamné pour préjudice moral. Un point, c’est tout !

Je me retourne et ouvre la porte mais Elise me retient.

— Attends, Alken, tu ne peux pas aller porter plainte contre l’école après tout ce que nous t’avons apporté et tout ce que tu nous as donné, quand même ?

— Si, je le peux. C’est quoi cette école qui me suspend pendant des semaines, qui ne se préoccupe pas de mon état mental ? Et qui croit cette gamine qui ment comme elle respire. Mon avocat a parlé de mépris de justice si elle répète ses mensonges devant la cour, et ça peut lui amener de la prison, je crois. Je n’ai pas envie d’en arriver là, mais c’est le seul moyen de laver mon honneur. C’est fini, le Alken qui se résigne et fait ce que vous lui demandez !

— Ne fais pas ça, Alken, sanglote Charline. Je… Non, ne fais pas ça, j'avoue, j'ai menti ! Tu avais la tête ailleurs quand tu dansais avec moi, tu… Je voulais qu'on soit proches, qu'on danse en communion et tu me traitais comme une élève. Je pensais que si… Si on devenait plus que ça, on pourrait mieux danser ! J'ai vu la vidéo de ton concours avec Joy, je comprenais pas pourquoi avec moi tu n'étais pas comme ça ! Tu te rends compte comme c'était dur pour moi ?

— C’est ça la vie, Charline, répliqué-je sèchement. Parfois, entre deux danseurs, il y a une connexion qui se fait et le résultat est magique. D’autres fois, il n’y a pas cette connexion. Ça n'empêche pas de bien danser ensemble. Et ça ne justifie pas les mensonges et tout le mal que tu m’as fait. Je vous laisse gérer ce problème, désormais ce n’est plus le mien, ajouté-je en direction d’Elise et du Président. Je peux reprendre dès demain, si vous voulez. Mais par correction pour mon remplaçant, je peux attendre lundi et lui laisser ces deux jours pour qu’il dise au revoir à ses élèves. Ou si vous ne voulez plus de moi, vous me le direz aussi et on négociera quelque chose.

Mon ton est un peu amer d’avoir dû en arriver là pour me faire entendre, mais je ne fais rien pour le cacher.

— J’attends votre appel, continué-je. Charline, une fois que tu auras discuté avec les responsables de l’ESD, je reste à ta disposition pour échanger sur ce qu’il s’est passé. Entre adultes, on doit pouvoir discuter. Au revoir, tout le monde.

Je sors vraiment cette fois-ci et referme la porte derrière moi sans attendre leurs réponses. J’ai gagné, la vérité a éclaté. Mais pourquoi cette victoire a-t-elle un goût aussi amer ?

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