Chapitre 2 - Rambouillet - Juin 2018

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  Quelques heures étaient déjà passées depuis l'aventure étonnante qui était arrivée au jeune adolescent. Il s'était d'ailleurs enfui de sa chambre pour se réfugier à l'étage du dessous où se trouvait la cuisine. Il avait eu peur. Cela ne lui était jamais arrivé d'avoir autant de frissons. Pourtant il avait l'habitude de lire des livres fantastiques, mais là, il ne se trouvait plus dans l'un de ses comics. Ses parents, surpris de le voir débarquer si tôt de son lit, lui avait demandé si l'orage de la nuit n'avait pas été trop pénible pour trouver le sommeil. Ce à quoi il avait répondu qu'il ne l'avait pas entendu du tout. C'était sans doute vrai.

  Il avait passé toute la matinée en bas, à se poser toutes sortes de questions. Avait-il rêvé ? Devait-il en parler à ses parents, au risque de passer pour un menteur, un affabulateur ? Non, c'était sans doute encore son imagination exacerbée, à trop lire de livres fantasy, qui lui avait joué des tours. Il essaya de s'en persuader, pourtant, c'était bien un phénomène étrange qu'il avait eu à observer. C'était quoi cette chambre bizarre dans le reflet ? Et puis qui était cette fille qui l'avait regardé avec une sorte d'appréhension ?

  Au fond de lui, il savait que ses parents n'auraient pas dû acheter cette grande maison perdue dans la forêt de Rambouillet. Il ne l'aimait pas du tout. C'est ce qu'il leur avait dit, il y a trois mois déjà, au retour de la visite en famille de cette vieille bâtisse à restaurer. Celle qui avait motivé son père, quelques jours auparavant, quand il était rentré de son travail, tout sourire, en annonçant qu'ils iraient tous ensemble visiter une maison ancienne. Mais l'aurait-on écouté, lui, le benjamin des enfants qui n'avait pas encore l'âge d'être pris au sérieux sur un tel sujet ?

  Il avait tant aimé leur appartement cossu dans les hauteurs de Lagny-sur-Marne, où il n'y avait plus rien à faire, rien à réparer. Il regrettait aussi ses copains, ceux du collège, et puis ceux du foot.

  Cela faisait une semaine à peine qu'ils s'étaient installés, et la nouvelle maison était en travaux depuis. Lui, avait pris cette chambre, il la trouvait bien située, au dernier étage. Au-dessus, c'était le grenier.

  Pour le remercier, son père lui avait laissé ce choix, et il avait même été le premier à bénéficier de la rénovation des fenêtres. Aucun bruit ne passait, et c'est sans doute pour cela qu'il n'avait rien entendu de la tempête dont lui parlait ses parents.

***

  Pendant le repas, il resta bien silencieux. Toujours en grande réflexion, avec cette permanence de la trouille au ventre de remonter dans sa chambre.

  Qu'avait-il vu, qu'avait-il ressenti au moment où, écoutant le dernier morceau de son groupe de K-pop préféré sur Youtube, son regard avait été irrésistiblement attiré par la sensation d'une présence dans la même pièce que lui ? Il s'en souvenait avec force précision. Il avait tourné la tête lentement et avait découvert l'image de la jeune femme, sa forte présence, étonnante, comme sortie d'un autre monde. Elle avait le front quasiment appuyé contre le miroir, comme s'il s'agissait de regarder au travers d'une vitre pour observer le contenu d'une pièce. Il avait remarqué son étonnement, ses yeux grand ouverts, sa bouche aux lèvres décollées l'une de l'autre comme dans la mimique un peu forcée d'une mauvaise comédienne qui veut montrer qu'elle ne croit pas ce qu'elle voit. Il s'était alors levé de son fauteuil, délaissant le visionnage de la vidéo, mais laissant le son afin d'apporter une sorte de présence rassurante face à une situation qui ne l'était pas.

  S'étant approché prudemment, il avait observé lui aussi l'entièreté de l'image dans le cadre vitré, avant de se positionner face à la jeune femme. S'il n'avait pas l'assurance qu'il s'agissait d'un vrai miroir, celui-là même qui meublait déjà cette pièce lors de son emménagement, il aurait pu penser qu'il s'agissait d'une porte pour entrer dans une autre pièce. « Mais qui pouvait-elle être ? » se demanda-t-il.

  Quand elle porta ses yeux sur lui, les battements de son cœur devinrent plus forts, plus rapides. Son instinct primaire repris le dessus. Un coup de chaleur, puis une fièvre froide se glissèrent dans son corps, le peu de poils duveteux qu'il avait sur les bras se dressèrent, et il s'enfuit en courant vers le palier.

***

  Le garçon avait longuement hésité à remonter dans sa chambre, et c'est seulement en fin de soirée, au grand étonnement de ses parents qui n'avaient pas l'habitude de le voir rester avec eux si longtemps, qu'il décida de rejoindre sa base, comme il aimait appeler l'endroit où se trouvait sa chambre et son bureau pourvu de deux ordinateurs portables.

  Il était entré prudemment, regardant le miroir du coin de l'œil à son premier passage, puis un peu plus intensément lorsqu'il comprit encore une fois que son propre reflet était inexistant. S'arrêtant alors, il se mit de côté et observa. Il remarqua que la pièce, identique et différente à la fois par le manque de lumière, apparaissait toujours dans l'encadrement. Il y avait bien une sorte de mirage, de prodige incroyable. Il lui semblait que c'était les ampoules LED de sa propre chambre qui éclairaient les minces détails de sa jumelle. En détaillant les meubles, il remarqua qu'il possédait exactement les mêmes, disposés différemment, à la nuance près que ceux dans le miroir semblaient neufs, comme s'ils avaient été fabriqués ou achetés récemment.

  L'image du miroir était tellement claire, sans aucun reflet, qu'on aurait pu croire qu'il s'agissait d'un simple passage. Le réflexe fit qu'il regarda derrière puis se moquant de lui-même, il tendit à plat sa main pour ressentir la matière froide de la vitre.

  La peur n'était pas partie, mais elle s'était un peu atténuée. Par précaution, il décida de placer un linge sur le miroir. Debout sur une chaise, il s'attacha à faire tenir du mieux qu'il put un grand drap blanc, pioché dans la vieille armoire, et l'accrocha au revers de la psyché grâce à des pinces à linge. Il se sentit tout à coup plus rassuré. Il ne pouvait voir la pièce de l'autre côté, personne ne pourrait plus se voir entre les deux pièces.

  La lumière éteinte, allongé dans son grand lit Premier Empire – vestige des meubles qui avaient été vendus comme tous les autres avec la demeure – il écouta le silence pesant et presque lugubre de la nuit tombante. Tout était beaucoup plus calme qu'à Lagny. Aucune voiture, aucun bruit de trains ou d'avions dans le ciel ne venait perturber la paix intérieure des lieux. Tout juste quelques craquements de bois, dus à la constriction naturelle du matériau qui se rafraîchissait dans les meubles et le plancher, apportaient quelques notes mystérieuses.

  Le sommeil gagna lentement le garçon. Ses pensées et ses réflexions s'estompèrent petit à petit jusqu'à ce qu'il atteigne enfin la mince frontière entre réalité et songes.

  Ouvrant tout à coup en grand les yeux, recroquevillant son frêle corps, la tête recouverte par la fine couverture, tous ses sens se mirent soudainement en alerte. Du fond de la chambre, derrière le drap blanc, il ne pouvait pas le voir mais une petite lumière comme celle de la flamme d'une chandelle se déplaçait lentement.

— Hé ?! Petit garçon ?... Petit garçon ?! ... Tu es là ?

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