C'est une femme qui s'appelle Marguerite. Plus qu'une femme, c'est ma petite déesse. Elle est timide, mais gentille. Banale, mais également spéciale. Elle s'appelle Marguerite, et je l'aime à mourir.
Je l'ai rencontré alors que je me promenais, loin des sentiers battus qu'offrait le village à mes petits souliers. J'étais encore jeune ; je ne devais pas dépasser la douzaine d'années, et le goût de l'aventure dansait dans mes veines au côté de l'adrénaline. Ce jour-là - un soir d'été, je me souviens même m'être délicieusement surpris de la splendeur du coucher de soleil - comme je le disais donc, je m'étais égaré lors de mes excapades acharnées dans la forêt, celle en amont du miniscule hameau. Le brouillard de verdure qui m'entourait ne m'aidait pas dans mon ascension vers l'inconnu, et l'obscurité grandissante me gênait pour percevoir mes alentours, aussi m'étais-je complètement perdu et je ne trouvais moyen de retrouver mon chemin.
Cela faisait déjà un bon bout de temps - peut-être une éternité, peut-être étais-je devenu une divinité perdu dans l'espace-temps au cours de ma quête héroïque, celle qui m'amenait sans tarder à ma dulcinée - que je tournais en rond parmi les arbres tordus et les branchages obstruant ma route. Je ne sais plus exactement comment j'ai réussi, mais je suis sorti de la forêt ; et au lieu de me retrouver au bord de la route, je suis arrivé dans une clairière. Une toute petite, vous savez, avec le vent qui coure et qui chatouille l'herbe sous vos pieds, sans oublier la lune - et quelle lune ! magistrale, royale, divine - qui éclairait faiblement les environs et me permettait tout de même de distinguer ce petit coin de paradis dans son entièreté. Ereinté après tant de marche et de temps passé à m'inquiéter pour ma si frêle carcasse, je m'écroulai de tout mon long sur l'herbe fraîche, celle qui me murmura à l'oreille les délices et les espoirs d'un sommeil bien mérité.
Nuit noire dans la clairière. Aucune âme ne peut y entrer, aucun vivant ne peut trouver sa lisière.
Et pourtant, quand je me suis réveillé, elle était là. C'est elle que j'ai vu en premier : avant même de ressentir la lumière chaude du soleil, avant même de peser le poids de la vie et la responsabilité du soi, c'est elle que j'ai vu. Elle se tenait là, et elle me souriait. À moi. Ce n'est pas comme si elle pouvait sourire à quelqu'un d'autre, surtout que c'était bien moi qu'elle regardait. Avec ses grands yeux bleus ; ou jaune ou vert, ce ne sont pas ses yeux qui m'ont marqués le plus à vrai dire ; non pas qu'ils furent grands, d'ailleurs. Non, ce qui m'a marqué, ce sont ses cheveux : eux ils étaient blancs, et plus blancs que la neige et plus blancs que le blanc, et d'une douceur que les nuages même se surprendraient à envier.
Je me souviens également m'être senti apaisé. Par sa présence, sa tranquilité et surtout, cette harmonie dans sa personne. Mais bon, ce n'était pas le moment de rester béat devant sa beauté. Je me suis rapidement relevé, conscient du silence gênant qui s'installait entre nous deux, et je lui ai demandé. Pas son nom, bien sûr : je lui ai demandé si elle voulait rester avec moi. Elle m'a regardé timidement et son sourire innocent s'est étalé de chaque côté de son visage. Et puis elle a hoché la tête, et nous avons regardé le soleil se levait tranquillement dans le ciel au-dessus de nos têtes. On est resté comme ça longtemps, aussi longtemps qu'on le pouvait. Jusqu'à ce que cela fasse trop longtemps ; je décidais alors de mettre fin à cette rencontre.
***
Avez-vous déjà essayer de retirer les pétales d'une fleur une à une ? Auqel cas, vous devriez savoir que les fleurs ne crient pas, ne pleurent pas, ne disent rien et vous laissent faire. Et pourtant, je suis sûre qu'elles souffrent, elles aussi.
C'est bizarre. C'est étrange et bizarre. Les fleurs ne peuvent pas crier, pas vrai ? Elles ne peuvent pas vous supplier de les laisser partir et d'arrêter le massacre, n'est-ce pas ? Mais est-ce qu'elles peuvent également saigner et perdre la vie ? Je veux dire, trouver la mort. Bah, c'est la même chose, non ?
C'est ce que je me suis dit quand j'ai quitté la clairière. À ce moment-là, le soleil colorait de son éclat divin l'herbe en rouge, maculé par les pétales de marguerite. Les pétales étaient blanches, et l'herbe rouge et du coup les cheveux aussi. C'est bizarre et étrange une fleur. Enfin, surtout les marguerites, parce que je n'ai pas encore essayé avec les autres. Il me tarde déjà, me disais-je en souriant paisiblement.