Chapitre 7
Sept semaines s’étaient écoulées depuis cette affreuse soirée. La détective était en train de rassembler tous les papiers liés à l’affaire Andrieux pour en faire une petite boîte d’archives quand elle reçut un message sur son téléphone.
Mélinda n’alla pas tout de suite le consulter car elle repensait à tout ce qu’elle avait dû faire pour assister Lisa dans toutes les démarches. Elle revit aussi chaque instant où sa présence à ses côtés, avait été nécessaire : pour servir de soupape d’échappement ou d’épaule pour pleurer. Lisa avait naturellement beaucoup oscillé entre colère et désespoir. La détective avait contacté son amie avocate et l’avait suppliée de s’occuper du cas de sa cliente. En réalité, elle n’avait pas eu à supplier longtemps car son amie, bien que la situation fût horrible, avait trouvé cela exceptionnel car il était inédit de demander un test de paternité d’un point de vue judiciaire pour démontrer le contraire de ce que l’on tente de faire habituellement. Là, il n’y avait pas viol incestueux en jeu au sens commun du terme. Autant dire qu’il avait fallu quelques longues minutes d’explication pour faire comprendre au juge la logique de la démarche compte tenu des circonstances exceptionnelles du cas.
Pendant ce temps, il avait fallu aussi s’occuper d’emmener Lisa aux Pays-Bas tout en faisant croire à Paul que c’était un séminaire d’études. Mélinda avait joué alternativement, les camarades de classes par téléphone, et les membres de l’équipe pédagogique lorsqu’il avait été question de le faire physiquement. Lisa avait voulu ne rien dire à Paul. Elle ne voulait pas révéler qu’elle avait diligenté une enquête sur son compte. Il avait fallu aussi trouver des excuses plus ou moins fallacieuses pour expliquer que Lisa se tenait à l’écart pendant plusieurs semaines. Celle en cours devait être d’ailleurs, l'une des dernières puisque le résultat du test devait arriver incessamment, sous peu.
Mélinda retourna vers son bureau et attrapa son téléphone. Elle regarda la notification de message et vit que celui-ci provenait de Lisa. Elle en fit afficher le contenu et l’expression de son visage se figea. Elle blêmit. Le message était court, dépourvu de formule de politesse familière comme cela avait fini par s’imposer au fil des jours entre elles deux.
« Test de paternité négatif. »
*
La détective resta interdite durant de longues minutes après avoir lu le message. Comment était-ce possible ? Le résultat de ce test défiait toute logique. À quel endroit, l’engrenage déductif qu’elle avait mis au jour point par point présentait-il une faiblesse suffisante pour aboutir à un tel non-sens.
Elle essaya de se mettre à la place de Lisa mais c’était inimaginable. Elle s’en mordit les lèvres quasiment jusqu’au sang. Où était le détail qui lui avait échappé ? Lisa devait osciller entre une détresse atroce et une colère incommensurable. Et elle, que devait-elle faire par rapport à cela ? À aucun moment, elle ne pouvait se dédouaner des conséquences qu’avaient eues les conclusions de son enquête. Mais le problème n’était même pas là. Le vrai était de trouver le moyen d’assumer la responsabilité de ce qu’il était honnête de considérer comme un désastre. Celle qui en avait payé tout le prix à cet instant, c’était Lisa. Il y avait lui aussi : le bébé. Impossible de remonter le temps.
Mélinda se laissa choir au fond du siège de son bureau. Si seulement Lisa n’avait jamais eu l’idée d’enquêter sur son petit ami. Toute la chaîne d’événements n’aurait jamais eu lieu. C’était horrible de penser ça mais le cerveau de la détective cherchait instinctivement une voie de sortie. Ceci dit, elle n’était pas du genre à fuir et à rentrer dans le déni de sa culpabilité. Elle chercha bien vite des pistes pour participer à une certaine rédemption. Il fallait qu’elle trouve l’élément qui lui avait échappé ou l’avait induit en erreur.
En reposant tout à plat, il était évident que le nombre d’hypothèses qui pouvait expliquer qu’elle était passée à côté, n’était pas énorme. À bien y réfléchir, elle ne voyait que deux options. La première était une bévue administrative. La seconde était un échange physique de deux nouveaux nés à la maternité. La deuxième éventualité ouvrait bien entendu à d’autres questions : qui, comment et pourquoi.
Il fallait qu’elle retrouve le personnel qui avait assisté à l’accouchement : le médecin, la sage-femme et les infirmières. Peut-être que l’un d’eux se souviendrait d’un événement qui serait sorti de l’ordinaire. La détective continua de gamberger et finit par appeler son amie avocate. Elle voulait avoir un éclairage sur le cadre juridique dans lequel elle évoluerait désormais. Pouvait-elle encore se réclamer de celui de l’enquête de sa cliente ? Et sinon, comment pouvait-elle justifier ses nouvelles investigations ?
« C’est simple, ma grande, en fait quand je lis le contrat, ta formulation est tellement générique que c’est impossible de te répondre. En fait, si jamais il y a litige, vu comment tu as rédigé tout cela, il faudra t’en remettre à l’intime conviction du ou des juges.
— Donc là, pour l’instant, je fais ce que je veux ?
— En quelque sorte. Mais embauche-moi un ou deux jours dès que tu peux. Il faut absolument que je te corrige ton modèle de contrat avant qu’il ne t’arrive des carabistouilles. »
Mélinda ne répondit rien. Elle savait que son amie lui disait cela de toute bonne foi mais à cet instant précis, c’était bien la première partie de la réponse qui l’intéressait. Son objectif était désormais clair : elle devait élucider le mystère Andrieux définitivement.
Cela ne changeait rien à ce qui s’était passé. Mais elle était convaincue qu’établir la vérité des faits ne pouvait qu’apporter des éléments pour comprendre, expliquer pourquoi et comment les choses s’étaient déroulées ainsi et pas autrement. Là où d’aucuns pensaient que les drames trouvaient nécessairement une raison dans une intention de nuire, Mélinda concevait que les choses pouvaient se dérouler avec une logique propre et que les nuisances n’étaient que dégâts collatéraux involontaires. Cela ne consolait personne car un drame restait un drame, peu importe l’explication, mais comprendre la fatalité et l’accepter devait ouvrir les yeux et ramener l’être humain à une certaine humilité dans sa croyance de pouvoir influer sur son destin.
Et puis, de toute manière, elle ne pouvait pas en rester là. C’est ainsi que dès le lendemain, elle se rendit à la maternité pour tenter de rencontrer le maximum des personnels.
*
« Oula, ma petite dame, c’est délicat et compliqué ce que vous demandez là, fit Astride, la plus âgée des sages-femmes de l’établissement. C’est que des accouchements, je ne saurais dire combien j’en ai assisté. Alors, m’en souvenir d’un en particulier…
— Les accouchements sous X sont si fréquents que cela ? s’étonna la détective.
— Ah non… Maintenant que vous le dites. Rappelez-moi le nom ? »
Mélinda lui répondit et la femme réfléchit longuement.
« Oui… Ça commence un peu à me revenir. Elle était jeune, la gamine, seize piges, un truc comme ça. Elle était venue avec ses parents. Pardonnez-moi l’expression mais le père était un vrai con, à l’opposé de la mère qui était une vraie flippée de la vie. Pauvre enfant, elle n’était pas aidée avec des parents comme ça et ce n'est pas très étonnant qu’elle ait choisi d’accoucher sous X. Je pense qu’elle aurait pu la garder si elle avait été mieux entourée. Bon, elle raisonnait comme une fille de seize ans mais ce n’était pas pour autant qu’elle aurait fait n’importe quoi… »
La femme se tut un instant et tout en gardant son regard dans le vide, elle leva un doigt.
« Oui, ça me revient, petit à petit… C’était l’accouchement sous X, le plus étrange que j’ai eu à faire. Parce qu’accoucher sous X après avoir déposé plainte pour viol et la retirer ensuite, attirer l’attention par la même occasion de la presse régionale, c’était assez saugrenu. Même si plusieurs mois s’étaient passés entre les deux événements et que la plupart des gens avaient sûrement oublié, il reste que parfois certaines personnes ont un peu de mémoire… Et moi, j’en faisais partie. Aujourd’hui je suis un peu moins vivace mais à l’époque…
— Et vous pourriez me dire si quelque chose de plus inhabituel que ça, s’est passé ? »
La femme lança à la détective un regard en coin. Elle sembla hésiter avant de répondre.
« C’est possible. »
Mélinda arqua un sourcil.
« Et ?
— Et c’est tout. Vous êtes au courant qu’il y a un truc qui s’appelle le secret médical, non ? Là, je vous ai dit des choses qui relèvent de la discussion de couloir mais c’est là, la limite de l’exercice.
— Je comprends, fit la détective en hochant la tête. Une dernière question : au moment de l’accouchement de la jeune fille, il y avait d’autres mères dans l’établissement ? D’autres accouchements, je veux dire.
— Jeune fille… Ma mémoire est bonne mais elle a ses limites. Cela dit, dans une maternité comme la nôtre, nous accueillons bien entendu plusieurs mères à la fois. Des accouchements en parallèle, ça arrive mais on n’est pas à Paris. Là-bas, il peut y en avoir plus de cinq mille par an. Ici, si vous en avez trois le même jour, c’est exceptionnel. »
Mélinda sourit. Elle remercia la femme. Elle connaissait désormais son prochain objectif : trouver un moyen d’accéder aux archives de l’établissement.
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