7/10/2050

5 minutes de lecture

Lucas Baranski

150, via Giuseppe Cimbali

90100 PALERMO

ITALIA

Louis Crétenet

dans un train intercités qui va aussi vite qu'une anémone de mer hors de l'eau

Centre de la France, dans des coins laids

07/10/2050

Lucas,

Je n'ai jamais écrit dans un train. Mes pensées viennent souvent me titiller quand je suis seul à un bureau, au sein d'un appartement vide et à l'heure où les autres profitent du soleil. Je n'aime pas être entouré quand je suis triste, pensif, soucieux ou nostalgique. Mais ça, tu le sais mieux que quiconque.

Les paysages qui défilent sont d'un pauvre, mon ami. Le centre de la France n'a décidément aucune merveille. Même le train semble vouloir déguerpir le plus vite possible de ces endroits vides. Les plaines n'ont même pas une once de charme et les villages par où les rails m'emmènent sont si ternes qu'ils me rappellent ma jeunesse dans les rues vieillotes de Villefranche quand j'étais entouré de quelques Aindinois imbéciles, aussi inintéressants que leurs principes et aussi malsains que leurs visions du monde. Cette pensée d'un passé lointain me ramène vers un souvenir plus récent qui, lui, me brise actuellement le cœur.

Nantes est une belle ville à ce qu'on m'a rapporté. Les journées y seraient sublimes tandis que les nuits, elles, libéreraient les pires crapules. C'est bien cela que je cherche, car la nuit j'écris. Et puisque j'écris souvent à la première personne, je dépeins, parfois malgré moi, toute ma personnalité. Et puisque (!) ce qui m'est propre agace ceux qui osent m'approcher, je me sentirai, avec ces hommes et femmes qui vivent la nuit, dans mon élément.

L'inspiration a disparu ces derniers temps alors dans un environnement tel que celui-ci, j'espère bien la retrouver sur une de ces grandes plages de l'Atlantique.


Auriane m'a quitté après quinze ans de vie conjugale. Plus d'atomes crochus selon ses dires. Je veux bien la croire. Ces derniers mois, je ne la voyais presque jamais. Plus elle était distante avec moi, plus elle était proche des autres. D'après elle, j'avais tout fait pour. Je resterai cloîtré dans mon bureau toute la journée, aurait coupé les ponts de près ou de loin avec tout ceux qui avaient une once de bon sentiment à mon égard, serait devenu ronchon, me négligerait, … La liste est longue. Et douloureuse. Un tissu d'ânerie. Je me suis toujours négligé et je n'ai jamais apprécié la compagnie de ces amitiés de comptoir qui ne savent que parler d'eux mêmes ! Je n'ai jamais changé, je suis toujours resté le Louis qu'elle a toujours connu. Auriane a évolué, elle n'est plus la même, ça c'est certain. Elle mûrit ! On dit souvent que certains reprochent aux autres ce qu'ils se reprochent à eux-mêmes ou qu'ils font subir à leurs proches ce qu'ils aiment s'infliger et maintenant, eh bien, ça prend tout son sens. Pourquoi me reprendre sur une évolution qu'elle entreprend de son plein gré ? Quel égoïsme. Si elle veut partir, découvrir, profiter ou que ce soit, grand bien lui fasse mais qu'elle ne rejette pas la faute sur un mode de vie auquel elle s'est adaptée pendant plus d'une dizaine d'année !

Voilà un mois maintenant qu'Auriane a demandé le divorce. Voilà deux semaines que je bafouille au milieu de cette paperasse, me perdant dans ces lignes incompréhensibles. J'ai le nez dessus à longueur de journée. C'est à me dégoûter de l'écriture.


Emma et Lucie veulent vivre chez leur mère la semaine et passer me voir quelques week-ends. Elle est plus marrante mon ex-femme, plus dynamique. Ah mais je ne dis pas que j'ai été un mari incroyable, loin de là. Il est vrai que je suis vite emmerdant. Plus mes blagues sont redondantes, plus elle sont lourdes et grasses. Je n'aime pas beaucoup sortir, je préfère la beauté de la nature surtout quand elle est accompagnée de ces couches de nuages gris et de ces pluies diluviennes que mon imagination apprécie tant. Et puis, je ne suis pas un auteur optimiste comme ces adultes au cœur d'adolescents qui décrivent aussi bien leur environnement que les joueurs de foot parlent de physique quantique … Je ne suis plus le gars qui pondait des scénarios originaux et loufoques. Je ne suis plus ce type qui arrive à parler de deux jeunes personnages complètement barrés en incorporant un humour à la fois salace et novateur.


Et c'est bien pour ça que je pense à toi Lucas Baranski.

Voilà cinq ans que nous nous sommes perdus de vue. Le temps passe vite quand on se fait chier et comme j'aime me faire chier, j'ai beaucoup pensé à toi. Ne m'en veut pas si je t'écris seulement maintenant mais, sincèrement, tu ne m'aurais pas répondu si je t'avais envoyé cette lettre plus tôt. Si je me lance aujourd'hui, c'est pour tout ce que j'ai pu te narrer ci-dessus. Bien que la fin de notre amitié n'ai été que quiproquos et disputes, je retiens aujourd'hui tous les bienfaits qu'elle a su m'apporter.
J'ai eu trois personnalités dans ma vie. Celle que j'avais avant de te rencontrer, celle de quand je t'ai rencontré et puis, celle d'aujourd'hui, depuis que je t'ai perdu. Pour la première et la dernière, elles sont, en somme, très similaires. Tu te souviens ; j'étais introverti, bancal, paumé, ronchon, peureux, pas bien malin, fainéant et tu complèteras la liste sûrement aussi bien que mon ex l'a fait récemment lors de notre rutpure. Eh bien, me revoilà au point de départ mais en pire, puisque plus vieux, et donc plus nostalgique et plus aigri. Les premières rides émergent sur mon visage mais je suis aussi complexé qu'un gosse qui rentre en sixième.

Et toi ... Depuis le premier jour, tu ne jouissais pas de la vie, c'est la vie qui jouissait sur toi. Toujours de bonnes idées et de nouveaux projets passionnants, tu rencontrais tous types de personnes, allant du bobo parisien mangeur de graines au boucher bedonnant nationaliste qui mettait des mains aux culs de sa femme, tu étais de partout, sur tous les bords, prêt à bouffer la vie des autres et à la transformer en fables calligraphiées qui ne laissaient planer aucun doute sur tes qualités artistiques et sur ton plaisir de l'existence … Puis, voilà. La sous-merde putride que j'étais s'est transformé grâce à toutes tes qualités. Qualités que je chie aujourd'hui comme on évacue une diarhée.

Il a fallu qu'on fasse cette connerie.

J'ai regretté. Très longtemps. Maintenant, je t'écris.

Et, je t'en prie, ne me fais pas regretter de l'avoir fait.

J'ai besoin de vivre, Lucas. Et, donc, besoin de toi.

Louis Crétenet

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