Rencontre en chemin

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Danovan

Ma moto vrombit sur l’asphalte. Le paysage défile à toute vitesse. Ce n’est pas sur cette route que je vais rencontrer la police alors je me laisse aller à accélérer. Malgré le soleil qui tape fort, je n’ai pas chaud grâce au déplacement d’air.

J’ai quitté la ville, il y a peu et mon trajet ne fait que commencer. J’avoue que j’en profite. Ça fait un petit moment que j’ai plus voyagé comme ça dans les grands espaces. Depuis que j’ai mon commerce, je passe plus de temps dedans qu’à respirer l’air pur du dehors. Le bonheur d’être son propre patron.

C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai sauté sur l’occasion d’aller signer les papiers du notaire moi-même, plutôt que d’y envoyer mon frère. Après j’avoue que laisser Dylan y aller seul aurait été une très mauvaise idée. Niveau force, il est à la hauteur, mais pour l’intelligence, on peut repasser. Je l’imagine bien s’énerver parce qu’il ne comprend pas ce qu’on lui dit, et finir par taper tout le monde. L’envie de venir le chercher à la police et de changer de notaire ne m’habitait pas.

Bref, j’ai pris l’affaire en main. Je lui ai demandé de me signer un papier pour me déléguer ses droits et je suis parti m’occuper de tout, en lui laissant la boutique. Maintenant, mon plus gros problème, c’est qu’il n’est pas fait de trou dans la caisse. Le connaissant, il en serait parfaitement capable. Ça, c’est s’il n’a pas trouvé quelque chose de plus important à faire que d’ouvrir le magasin. C’est que je sais comment il fonctionne, mon frère si on n’est pas derrière son cul en permanence, soit il ne fait que des conneries, soit il ne fait rien. Dans un sens, s’il laisse l’armurerie fermée, j’aurais peut-être moins de problèmes à régler en arrivant. Je me prends trois jours de fermeture non souhaités, mais j’ai connu pire.

Je me concentre sur le positif, on aura bientôt un héritage. Même si c’est peu de chose, c’est bon à prendre. Il sera toujours temps de penser à quoi en faire, plus tard. En vérité, je me verrais bien faire un petit voyage, histoire de me détendre un peu. Les vacances, ça fait longtemps que je n’en ai pas pris. Après je ne sais pas à qui confier la boutique en mon absence, à part Dylan. Il faudrait que je recrute un vendeur. Un pas trop con, ça me changerait pour une fois. Quel doux rêve !

Mon chemin continue sur la longue route en ligne droite. Ici, je suis seul. Pour peu, je pourrais me prendre pour le maître du monde. Le seul humain ayant survécu à la bombe parcourt un vaste désert sur sa moto.

Je reviens à la réalité en avisant une silhouette qui avance sur le bord de la route. Inconsciemment, je fais ralentir mon véhicule pour en savoir plus sur l’individu qui ne craint pas de se balader dans un coin paumé. J’y vois un adolescent qui marche avec un grand sac bleu pendu sur l’épaule. Chacun de ses pas provoque l’envolée de nuées de poussières.

La vision est fugace. Il lève les yeux vers moi. Ses cheveux bruns s’agitent sur mon passage. J’espère ne pas l’avoir ensevelie sous le sable. Cela ne serait pas du meilleur effet. Je peux être une vraie brute quand je veux, mais je n’ai pas pour habitude de m’en prendre à ceux que je ne connais pas.

Je poursuis ma route, mais j’avoue que je pense beaucoup à cette rencontre incongrue. Qui est ce gamin ? Où va-t-il ? Qu’est-ce qu’il faut dans le désert ? Qu’y a-t-il dans cette direction ? Je n’ai pas le souvenir que la prochaine ville ne soit pas à plusieurs jours de marche. Est-ce qu’il va rester camper sur le bord de la route ? A-t-il seulement assez d’eau ?

Voilà que mon esprit tourne à toute allure. Évidemment, je finis par freiner et faire faire demi-tour à ma moto. J’ai trop de questions sans réponses en tête, il faut que j’en apprenne plus sur ce garçon mystérieux.

Il paraît surpris en me voyant revenir vers lui. L’espace d’un instant, j’ai même l’impression qu’il a peur de moi. Forcement, il doit se demander pourquoi je suis de retour.

– Salut !

Je remonte ma visière afin qu’il puisse apercevoir mes yeux.

– Qu’est-ce que tu fous sur la route comme ça ?

– Je quitte la ville.

Je ne sais pas pourquoi je pressentais déjà ce genre de réponse.

– Tu vas faire tout le trajet à pied ?

Il hausse les épaules.

– Je me débrouillerai.

– J’espère juste que tu as pris assez de bouteilles d’eau.

Sa bouche s’étire en une grimace et je comprends que ce n’est pas le cas. Cette route n’est pourtant pas faite pour qu’on la parcoure à pied.

– J’aviserai…

Une réponse qui n’en est pas une.

– Si tu veux, je t’avance un peu. Comme ça, tu serais plus proche de la prochaine ville.

Nouvelle hésitation.

– Ça me coûtera quoi ?

Ses yeux se plissent. Il est méfiant. Je peux le comprendre.

– Rien. Je te déposerais où je peux et on continuera notre chemin chacun de notre côté.

– D’accord.

Il n’est pas idiot, il sait que ça va l’aider. De même, la route du désert promet d’être longue.

– Je n’ai pas de second casque, mais monte derrière moi.

L’adolescent s’installe. Mais parais chercher où se tenir. Il ne faudra pas que j’aille trop vite. Le but n’est pas de le tuer pendant le trajet.

– C’est quoi ton prénom ?

– Oscar.

Je hausse les sourcils. Qu’est-ce que c’est que ce prénom ?

– Moi, c’est Danovan. Je suis le gérant d’une armurerie et j’y retourne actuellement.

J’attends une réponse qui ne me parvient pas. Il va sûrement falloir que je lui pose encore des questions.

– Tu as une idée de où aller ?

– Où le destin me portera.

Une façon comme une autre d’avouer qu’il n’en sait rien. Est-ce que ce serait un de ces jeunes qui fuguent de chez eux pour manifester leur mécontentement ? Ses vêtements sont simples : un jean bleu qui commence à être élimé et un t-shirt noir trop grand sans aucune marque apparente. Aux pieds, il porte des chaussures de randonnées. Pas le genre que tu choisis pour leur esthétisme, mais plutôt pour leur confort.

Ses cheveux trop longs paraissent ne pas avoir vu un coiffeur depuis un moment. Si ça tombe, il traîne dans la rue depuis plus longtemps que je ne l’aurais pensé. Après, je ne peux pas faire grand-chose pour lui. Je ne suis pas assistante sociale.

– Bon, je t’emmène aussi loin que je peux et ensuite, il faudra que tu te démerdes seul. D’accord ?

– Ça marche.

Et nous revoilà partis à travers le désert. Je me demande pourquoi j’ai fait ça : je n’ai pas franchement de raison de m’embarrasser d’un gosse presque muet. Mon bon cœur me perdra.

– Merci, déclare brusquement Oscar, derrière moi.

Un petit sourire se dessine sur mon visage. Je crois que je fais ça pour ça.

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