Patricia
Je me plonge dans mes souvenirs, ceux de mon enfance. J'avais six ans, c'était ma première rentrée des classes. Je revois ma mère vêtue de sa robe bleue, celle des grandes occasions, celle qu'elle portait à l'enterrement…, non, je ne dois pas penser à ça. Une larme roule le long de ma joue. C'est le plus beau jour, pas le plus triste que je dois trouver !
Ce n'est pas le bon souvenir, la rentrée s'est plutôt mal passée, il pleuvait, j’ai rencontré Patricia, quelle garce celle-là. Je revois son visage antipathique, sous ses cheveux mouillés, un vrai garçon manqué. J'ai passé des mois à ronger mon frein, supportant ses insultes et ses moqueries chaque jour plus insolentes. Je n'ai rien dit à personne, surtout pas à ma mère qui jonglait entre son travail de serveuse, le soir et ses cours à la fac le jour. Elle voulait devenir avocate ma mère. Si elle avait su…
J'ai passé des mois à m'entraîner dans un seul objectif, attendant le moment propice.
Je revois Patricia, le jour de la photo de classe, un vrai petit ange avec son chemisier de soie blanche et sa jupe plissée. C'est ce jour là que j'ai choisi, faisant exploser la colère qui couvait au fond de moi comme un volcan bouillonnant. Je lui ai cassé deux dents, celles de devant, celles que l'on voit le plus quand on sourit. Son sang gouttait sur le sol en perlant sur son chemisier de soie. Elle criait ou plutôt, elle hurlait et je ne pouvais détacher mon regard de ce visage défiguré par la douleur. Je me sentais bien, libre, même si j'avais un peu honte de ce sentiment de plénitude qui m'envahissait.
Patricia avait été entourée, choyée, soignée alors que moi, je fus renvoyée de l'école car personne ne savait ce que j'avais enduré pendant tous ces mois. Les paroles acérées sont des blessures profondes dont on ne guérit jamais.
Le mois suivant nous avons déménagé, maman a dit que ce n'était pas grave car elle n'aimait pas cette maison. Et même si nous n'en avons jamais reparlé, je sentais bien que plus rien n'était comme avant.
Ma soupe est froide et l'épisode à la télé est terminé, j'ai été absente pendant plus d'une heure sans même m'en apercevoir et j'ai envie de pleurer. À mon âge, je me sens un peu bête de me comporter comme une enfant. Quel vieil imbécile ce Raymond !
Je devrais peut-être rechercher Patricia pour m'excuser, il paraît que des gens qui se sont perdus de vue peuvent se retrouver sur les réseaux sociaux. Sauf que je ne sais pas comment ça marche tous ces trucs modernes.
Et maintenant voilà que je n'ai plus qu'une idée en tête, je dois retrouver Patricia. Quel programme, me voilà comblée.
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