Trois
Trois ans auparavant, je démarrais ma saga. Ça m'avait pris du jour au lendemain. Tout d'abord, il y avait eu cette envie irrépressible de coucher sur le papier un synopsis qui tournait en boucle dans ma tête. Cette obsession devint un objet d'étude personnelle. Plus j'en analysais la mécanique, plus cette histoire me semblait évidente, sans faille. Réaliste. Comment un récit aussi parfait pouvait-il me surgir d'un coup ? Aussi, en détaillant le squelette du synopsis, en décrivant chapitre après chapitre et scène après scène cette idée, je compris que toute cette histoire faisait sens, qu'elle dépasserait le volume d'un simple roman pour occuper plusieurs tomes et qu'à travers le caractère des personnages, le lecteur serait facilement embarqué.
Je me trompai sur le dernier point. Mon éditeur aussi, car à la sortie du premier volume, à peine une petite centaine de lecteurs avaient acheté un exemplaire. Sur les conseils de la maison d'édition, je fis paraître le deuxième tome quelques mois après. Celui-ci comportait un revirement total de situation et nous espérions tous qu'il entraînerait un regain d'intérêt pour le lectorat. Mais il n'en fut rien. 50 livres furent écoulés pour le second tome. Le troisième parut l'an dernier dans la douleur et en présence de mon avocat. D'un commun accord, le contrat fut rompu après ce troisième opus. Il en manquait deux pour finir mon histoire que je m'engageai à poursuivre en autoédition.
Les quelques semaines qui suivirent la sortie du tome 4 en ebook sur l'ensemble des plateformes orientaient mon œuvre dans ce qu'on peut appeler pudiquement, un succès d'estime. J'avoue d'ailleurs qu'à cette période, j'hésitai à terminer la saga. Déjà bien entamée, je m'interrogeai sur les raisons de mon obstination. Mon lectorat finirait tôt ou tard par se compter sur les doigts d'une main. Même mes amis les plus proches semblaient se désintéresser de mon écriture. Alors, à quoi bon poursuivre ? me disais-je.
Jusqu'à ce jour et cette rencontre fortuite, en bas de ma rue, avec ce lecteur assidu qui me reconnut immédiatement en tant que son auteur "de prédilection". Après une petite heure de compliments et d'analyses du caractère de chacun de mes personnages - qui, poussés à l'extrême, prouvaient, là, sa totale érudition vis-à-vis de mon œuvre - nous discutâmes un long moment, installé au café du coin, sur la version du monde que je livrai aux lecteurs.
À la fin de nos échanges, l'homme avait su me convaincre de poursuivre mon histoire jusqu'au bout. Sur le moment, j'avoue avoir été bercé de tant de flatteries et de reconnaissance au sujet de mon travail au point d'en oublier de m'intéresser un tant soit peu à ce fan. Sans être très précis sur ses appartenances ou motivations, j'ai cru, au départ, qu'il était membre d'un de ces cercles privés d'intellectuels stratèges et philanthropes, loges maçonniques d'antan ou think tanks du moment.
Puis vint le moment où il se révéla à moi comme il me révéla une autre lecture de mon propre ouvrage.
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