La fille-liquide

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Mais au moment de franchir la porte, je tombe nez à nez avec une minette blonde aux yeux-flaques et au nez-fontaine. Je recule pour protéger mon espace vital et elle en profite pour prétendre prendre ça comme une invitation.

"Scuse…"

Son menton est atteint de Parkinson et sa voix suit le rythme. Un peu plus et elle va me dégouliner dessus, se répandre en sanglots et en lamentations sur mon pull blanc tout neuf et je ne pourrais même pas l’enlever car je ne porte absolument rien dessous.

Mais au lieu ça, elle fixe Yoann en reniflant quelques secondes, puis braque sur moi un regard vert bambou plus solide que je ne l’aurais espéré de la part d’une glace à l’eau en plein réchauffement climatique.

"T’as pas des mouchoirs ? me demande-t-elle."

Sans réfléchir, je fouille à l’aveuglette dans mon sac à main et lui temps le paquet.

" Ah cool, ils sont à l’eucalyptus."

Un instant, je la visualise en train de mordre avec gourmandise dans un mouchoir et ne peux m’empêcher de sourire. Elle y répond. Par mimétisme ? Des mèches raides d’un blond paille coupées n’importe comment encadrent son visage un peu trop carré. Son nez, minuscule, est tout rouge de sa rencontre avec le mouchoir. Qu’ont-ils bien pu faire, ces deux-là ? Il domine une petite bouche à la lèvre inférieure gonflée. Je l’embrasserais bien, cette lèvre.

" C’est ton mec ? me demande-t-elle en froissant le mouchoir dans son poing."

Je secoue la tête, sur la défensive, muette.

"Ton frère ?"

Je nie à nouveau. Elle me dévisage, puis c’est de nouveau le tour de Yoann.

" Le mien est mort."

Je garde le silence. Ce n’est pas à moi qu’elle a confié ça, c’est à Leblanc. Sa voix est atone, contrastant avec les restes de désespoir qui lui collent aux cils. Je l’inviterai bien à prendre un café, mais elle me prendrait pour une psychopathe. Elle me regarde de nouveau. Elle attend que je dise quelque chose. Si on était dans une série à la con ou un James Bond, je la collerais au mur dans un baiser enflammé. Mais on est toujours dans cette foutue réalité alors je dis :

"Je-je le connais pas en fait."

Elle me fixe et je reprends avec un demi-sourire stupide :

"Heu pas ton frère, lui."

J’indique Leblanc de l’index.

" Qu’est ce que tu fous là alors ? T’as vu de la lumière ou t’abuse des mecs dans le coma ?"

Et là, je lui raconte tout. Du coup de file à mon post sur Facebook, sans trop savoir pourquoi. J’ai l’impression de baver mon histoire, en remuant beaucoup trop les mains. Elle finit par s’asseoir sur le bord du lit en m’écoutant, l’air de se demander si je me fous pas de sa gueule. C’est d’ailleurs ce qu’elle demande. Je lui montre mon post comme preuve ultime et me laisse choir à côté d’elle. Elle porte un parfum au jasmin qui sent bon mais qui ne lui va pas du tout. Trop délicat.

"Pourquoi il a donné ton nom, questionne-t-elle après un silence songeur ? C’est quoi d’ailleurs ?

_Flore. Aucune idée. Je l’ai jamais vu de ma vie. L’infirmier m’a dit qu’il avait eu un accident de voiture et qu’il était tombé dans le coma après son opération. Franchement…il a l’air d’un clodo. Si y avait pas cette photo…"

Elle tourne entre ses doigts le petit carré coloré.

" C’était peut-être sa vie avant. Moi c’est Faune.

_Hilarant."

Mais je souris quand même. Elle aussi. Ce serait assez romantique si un presque macchabé ne dormait pas derrière nous. Elle tapote la fille sur la photo.

" Mignonne, commente-t-elle.

_Ou pas, marmonne-je, agacée qu’en plus de mon fiancé, la petite grosse attire aussi la jolie blonde."

Laquelle soupire et se lève.

"Bon, je vais te laisser veiller Yoann Leblanc.

_Non, j’allais partir."

Je me lève mais elle m’arrête d’un coup d’œil un peu outré.

"Tu ne vas quand même pas le laisser tout seul.

_Ben heu…

_Il a donné ton nom.

_Oui, mais c’est quand même pas ma faute !"

Mon portable vibre et je glisse le pouce. Messenger s’illumine d’un rouge triomphant. La photo de profil montre un chat à chapeau melon style Magritte. Je suis sûre que c’est la fille de la photo. Encore une glissade de pouce…gagné !

"C’est elle ! je m’écris sans relever le visage. Elle dit que c’est un ami à elle et demande à quel hôpital on est."

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