La domestique dans une ville qui jamais ne fût
Quelque part, sur le continent de Chimera, se trouve un ville étrange contrôlée par d'étranges entités...
J'étais encore une enfant, à l'époque, quand ma mère et moi avons quitté notre foyer, après la mort de mon père, emporté par la peste. Elle pensait refaire sa vie dans une ville différente, repartir de zéro et changer sa situation. Vivre dans un bas cloître d'elfes, dans une maison qui tenait à peine debout, ne lui avait jamais convenue.
Contrairement à mon père, qui avait toujours vécu dans cette ville d'humains, ma mère était originaire d'un clan d'elfes sylvestres où ses proches étaient respectés. Désireuse de voir comment était le monde en-dehors de sa forêt, ma mère, lorsqu'elle fut en âge, quitta les siens et arriva peu de temps après en ville. Sans le sou et avec des compétences qui ne lui serviraient guère pour travailler chez les humains, elle ne put se loger que dans un bas cloître réservé aux « elfes des villes », ceux qui n'ont rien connu d'autre que le mode de vie humain. Il trouva finalement un travail comme serveuse dans une taverne non loin du bas cloître, avec une paye médiocre. Il rencontra mon père, un elfe des villes travaillant comme serviteur pour une famille bourgeoise humaine. Il était amical et elle le lui rendait bien, bien que se montrant parfois dédaigneuse et écœuré de savoir qu'un de ses « frères » s'abaissait à servir « des singes imberbes ». Elle ne s'est pas mariée avec lui par amour mais parce qu'il gagnait plus qu'elle. Elle n'eut pas un enfant par envie mais par obligation morale de montrer un semblant d'affection à qui était devenu son époux.
À la mort de mon père, j'étais incapable de dire si ma mère était réellement triste ou si elle jouait la comédie pour tromper ceux qui sont venus présenter leurs condoléances. À peine mon père enterré, elle décida de quitter la ville avec toutes les économies qu'il nous avait laissé. Elle m'a emmené avec elle non pas part plaisir mais comme source potentielle de revenus. Je n'étais pas encore considérée comme adulte, selon les standards humains comme elfes, mais j'étais assez grande pour travailler.
Nous avons un peu erré au début puis, lors d'une halte dans une auberge, nous avons entendu parler, par l'intermédiaire d'un voyageur, d'une ville où tout était possible ; qu'un simple mendiant avait la possibilité de devenir propriétaire de son domaine, par exemple. Une idée presque trop belle, mais pour ma mère, cela semblait être un endroit parfait. Le voyageur lui expliqua cependant que cette ville n'était pas simple à trouver et qu'il fallait passer par un passeur pour s'y rendre. Et par un étrange hasard, il savait où en trouver un.
Toutefois, cette information n'était pas gratuite...
Cette nuit-là, je n'ai pas trouvé le sommeil à cause de ce que ma mère et ce voyageur firent toute la nuit dans sa chambre, juste à côté de la mienne...
Le lendemain, ma mère n'a pas dit un mot de ce qu'elle avait dû faire la veille. Je ne la vis nullement dégoûtée ou autre. Elle semblait même ravie d'avoir chauffé la couche d'un inconnu. Peut-être était-ce le fait qu'elle n'était pas loin d'atteindre son but.
Nous nous sommes rendus à l'endroit indiqué par le voyageur, une rivière s'écoulant dans une forêt sombre où même les rayons du soleil peinaient à passer à travers les feuilles des arbres. Comme on lui avait indiqué, nous avons attendu la tombée de la nuit, non sans avoir allumé une lanterne sur le bord de la rivière pour indiquer notre présence.
Dire que j'étais morte de peur dans ces bois sombres, en pleine nuit noire, était un bel euphémisme...
Vers la moitié de cette nuit qui fut terrifiante dans mes souvenirs, entre les hululements des chouettes et autres étranges bruits, nous vîmes sur la rivière... une barque avec une lanterne attaché à son bout et conduite un homme drapé d'un manteau sombre approcher. La barque s'arrêta à notre niveau et je pus voir que l'homme caché son visage, en plus de sa capuche, derrière un masque en forme de crâne humain. Du moins, j'espérais qu'il s'agissait d'un masque...
Ma mère lui demanda s'il était le passeur qui devait nous emmener dans la ville dont nous avait parlé le voyageur. L'homme masqué ne dit pas un mot et se contenta de hocher la tête, avant de pointer la barque du doigt pour que nous montions. Ma mère m'y a presque poussé et une fois le peu d'affaires que nous possédions chargé, la barque se mit à suivre le courant la rivière.
L'homme ne dit pas un mot durant tout voyage. Ma mère s'endormit bien vite mais pour ma part, j'avais bien trop peur pour m'assoupir dans ces ténèbres nocturnes et avec cet individu sinistre si près de moi. Et pourtant, après ce qui me parut une bonne heure, je sentis le sommeil avoir raison de moi et sans pouvoir résister, j'ai fermé les yeux...
Lorsque je les ai rouverts, nous n'étions plus sur la rivière mais sur une grande étendue d'eau. La nuit ne s'était pas entièrement dissipée et la brume régnait tout autour de nous.
Dans la panique d'être au milieu de nulle part, j'ai réveillé ma mère promptement. Quand elle daigna ouvrir les yeux, nous aperçûmes les remparts de la fameuse ville : imposants et intimidants, comme si elle cherchait à se dissimuler aux yeux du monde.
L'homme fit passer sa barque par un tunnel fluvial, navigua jusqu'à un débarcadère éclairé par des torches, pour que nous puissions descendre, et sans demander son reste ni argent, il s'éloigna pour disparaître dans les ténèbres.
L'endroit ne me paraissait guère rassurant mais ma mère, aveuglée par son nouveau départ, emprunta sans m'attendre le tunnel éclairé menant vers la sortie, avant que je ne la rattrape.
Après quelques minutes de marches, nous tombâmes sur un autre homme à la cape noire portant un masque en forme de crâne. La différence avec l'autre était que celui était plus grand, plus imposant, en armure sous son manteau et armée d'une lance. Il était planté devant une grande porte et nous regardait fixement. Il m'effrayait bien plus que l'autre mais ma mère, impatiente, lui demanda sans une once de politesse de la laisser passer. Mais l'homme ne bougea pas et continuait de nous fixer. Ou plutôt... il me fixait. Je n'arrivais pas à apercevoir ses yeux à travers son masque et à cause de l'endroit mal éclairé, mais j'avais l'horrible impression qu'il scrutait en moi.
Fasse à son désintérêt des paroles de ma mère, cette dernière commença à lui crier dessus et à l'insulter. L'homme se mit alors à pousser un grognement sonore tout sauf humain et s'avança de manière menaçante dans notre direction. Ma mère, terrorisée, se servit de moi comme bouclier, espérant sans doute que cet homme aurait des scrupules à s'attaquer à une enfant, chose dont je doutais alors que la pointe de sa lance pointait à présent vers ma poitrine. Je sentis alors ma mère me pousser et je fus à un doigt de me faire empaler. Elle était sur le point de fuir, m'abandonnant ici, lorsqu'elle poussa un cri avant de tomber sur ses fesses, sur le sol humide et sale.
Un autre homme était là, sortant de nulle part. Lui aussi portait un manteau sombre et un sinistre masque. Moins grand que l'autre mais tout aussi intimidant de par sa carrure large.
Ma mère supplia pour avoir la vie sauve et se confondit d'excuse. Elle ne se souciait même pas de moi, comme si je n'existais pas. Cela ne me blessa pas, mais une colère envers jusqu'ici inexistant s'éveilla en moi...
L'homme à la carrure large posa son index là où devait se trouver sa bouche, pour réclamer le silence. Ma mère se tut aussitôt. De son manteau, il sortit un parchemin enroulé et le lui tendit. Toujours au sol, elle n'osa pas se relever ni prendre ce qu'on lui tendait, préférant trembler. Ce fut moi qui pris le parchemin et le déroula. Futile, avais-je pensé, puisque moi et ma mère ne savions pas lire. Mais, alors que mes yeux s'étaient posés sur ces mots, une voix résonna dans ma tête. Nos cris, à ma mère et moi, m'indiquèrent que nous l'avions toutes les deux entendus. L'homme à forte carrure tapa du pied avec impatience, tout en indiquant le parchemin. Mon intuition m'encouragea à regarder de nouveau ce dernier. La voix s'éleva de nouveau et nous entendîmes ceci :
Vous qui pénétrez dans la ville d'Ankou, respectez ces règles :
1) Ankou appartient aux Marchemorts. Vous autres n'êtes que tolérés.
2) Vivez comme bon vous semble mais n'importunez pas les Marchemorts.
3) La loi et l'ordre entre les habitants ne dépends nullement des Marchemorts. Réglez vos conflits vous-même.
4) Vous êtes libres d'aller où bon vous semble en ville, sauf dans les lieux réservés aux Marchemorts, indiqué par leur symbole. Bravez cet interdit et vous en paierez le prix.
5) Vous ne pouvez pénétrer un lieu saint sans la permission d'un Marchemort.
6) Ne manquez JAMAIS de respect aux Marchemorts.
7) Les Marchemorts observent mais interviennent peu.
8) Un Marchemort peut se montrer serviable, à condition de respecter la politesse, mais rien ne l'oblige à vous aider de quelque manière qu'il soit.
9) Les Marchemorts circulent librement dans tout Ankou et chez vous, c'est avant tout chez eux.
10) Vous ne pouvez quitter, définitivement ou non, Ankou sans la permission d'au moins un Marchemort.
11) Vous avez besoin d'un Marchemort pour entrer et sortir d'Ankou.
12) Si, par miracle, vous quittez Ankou en vie, vous ne devrez jamais nommer la ville dans le monde extérieur, sous peine de représailles.
13) Qui meurt à Ankou demeure à Ankou et devra marcher avec la Mort, jusqu'à être définitivement remercié...
Signez ici et pénétrez en votre âme et conscience...
La voix se tut aussitôt.
L'homme fouilla dans son manteau et me tendit une plume puis me pointa le bas du parchemin. Sans doute là où je devais signer. Je lui dis alors que je ne savais pas écrire. Il me fixa, grogna puis fit glisser son doigt sur le parchemin comme pour dessiner une croix. Je ne mis pas longtemps à comprendre que ceci pouvait faire office de signature. De ma plume, je fis donc une croix, non sans ressentir des picotements dans ma main. Après avoir signé, j'ai alors constaté que j'avais une petite plaie sur ma main et que malgré l'absence d'encre, on pouvait voir une croix rouge sombre à l'endroit où j'avais signé. Je ne compris que quelques années plus tard que j'avais signé avec mon sang...
Ma mère fut la même chose puis l'homme à la forte carrure, sans doute l'un de ces fameux Marchemort, fit signe à son collègue près de la porte. Le Marchemort à la lance nous ouvrit alors la porte, qui grinça fortement, qui donnait vers un escalier montant. Nous partîmes de suite et je remerciais le Marchemort, alors que ma mère me pressait pour grimper quatre par quatre les marches.
En haut, nous trouvâmes une ville plongée dans le brouillard, où le soleil passait à peine et par chance. Pendant que nous errions, nous croisions des habitants aux origines diverses : humains, elfes, nains et d'autres que nous n'avions jamais vu auparavant. Mais surtout, nous apercevions des Marchemorts aux silhouettes diverses errer dans les rues, ignorant les passants et ignorés autant que possible de ces derniers.
Les jours suivants, nous avons trouvé un endroit où loger, une petite maison abandonnée dont personne ne voulait, dans ce qui avait été désigné comme étant le quartier rouge d'Ankou. De jour comme de nuit, je pouvais entendre des gémissements d'hommes comme de femmes en train de profiter des plaisirs charnels. Que ce fut dans les habitations alentours que dans la ruelle qui donnait sous ma chambre.
Ma mère, ne trouvant pas d'emploi mieux payé que ce qu'elle faisait avant, se tourna vers la prostitution. Par chance, elle fut vite remarquée par des membres importants de la pègre local qui, en plus de la payer pour ses services, la couvraient de cadeaux. À peine trois mois après notre arrivée, nous avons déménagé dans une maison plus luxueuse, offerte par l'un de ses nombreux clients. Ma mère ne manquait plus de rien et commença à faire payer cher ses services dans un lit, à l'image de ces courtisanes que l'on pouvait trouver en Auditore.
Pour moi, les choses ne changèrent guère. Étant en âge de travailler, ma mère me fit comprendre qu'elle consentait à m'héberger mais que pour le reste, je n'avais qu'à me débrouiller. Ce fut ainsi que j'ai commencé jeune à gagner ma vie, en faisant de menus travaux çà et là dans cette ville que je compris vite pourrie. Je ne me suis pas abaissé à me vendre, bien qu'on dît que beaucoup payaient cher pour prendre la fleur de petites filles, surtout des petites elfes.
Quand je fus suffisamment grande, ma mère, pensant sans doute être débarrassé d'un poids moral, me chassa de chez elle, pour enfin vivre avec l'un de ses vieux clients fortunés qui l'entretenait depuis des années.
J'avais seize ans. Adulte, selon les valeurs humaines. Encore une enfant, selon les valeurs elfes...
À vingt-et-un ans, je vivais et travaillais à présent dans une maison non loin du centre-ville, en tant que domestique. En échange de mes services et d'une paye plus ou moins correcte, j'étais logé et nourris gratuitement. Je m'estimais chanceuse d'avoir trouvé un tel emploi, honnête qui plus est, dans cette ville où crime et corruption régnaient au-dessus de tout. Il ne se passait jamais un jour sans que l'on trouve un corps en décomposition dans une rue. Pourtant, avec tous ces cadavres, on pourrait penser que cette ville était facilement en proie aux maladies. Il n'en était rien. Un corps traînait au mieux une journée sans que personne n'ose y toucher, jusqu'à qu'un ou plusieurs Marchemorts viennent le récupérer. En fait, ils récupéraient tous les morts. La ville ne possédait pas de cimetière. Du moins, personne n'en avait vu dans les endroits où le commun des mortels avait le droit de circuler. Personne ne savait ce qu'ils faisaient des morts. Bon nombre de rumeurs circulaient, toutefois, comme le fait que les Marchemorts étaient des nécrophages et qu'un cadavre était un met de choix, entre autres. Mais en vérité, personne ne voulait savoir. On apprenait bien qu'à force de trop fourrer son nez dans cette ville, on ne faisait pas de vieux os. Surtout si cela concernait les Marchemorts.
Ce matin-là, pour ne pas changer en cette saison, la brume était dense au point qu'on ne voyait rien à plus de deux mètres. J'ai commencé ma journée en ouvrant les rideaux, bien que voir à l'extérieur était futile, et en allumant des bougies dans toute la maison, histoire que les maîtres y voient quelque chose, au réveil.
Sans trop tarder, je leur ai préparer le petit-déjeuner. Ils ne roulaient pas sur l'or, bien qu'ils étaient souvent sollicités dans leur travail, mais de manière générale, ils mangeaient à leur faim. Des œufs et un peu de lard, accompagnés de pain, de beurre et de reste de confiture. Mademoiselle allait encore râler qu'on soit encore à court de confiture de fraises...
Une fois le petit-déjeuner prêt et servis, je vais réveiller les locataires.
D'abord, le maître des lieux.
Un jeune humain charmant, de deux ans mon aîné. Il était un aventurier parcourant monts et plaines en quête de gloire et de fortune, avant qu'il ne soit ramenés à Ankou. Il m'a raconté qu'après une attaque de pirate en mer, il était passé dessus bord et avait manqué de se noyer. Quand il a repris conscience, par il ne sait quel coût du sort, il était sur une barque et un Marchemort le fit entrer à Ankou. Il avait tenté maintes et maintes fois de quitter la ville, mais sans l'approbation d'un Marchemort, cela était impossible. Je l'ai réveillé en douceur, comme une sœur réveillant son petit frère. Il se leva péniblement. Son corps porte la trace de ses aventures passées, comme des plus récentes : il avait mal fixé son bandage autour du bras, que j'ai resserré aussitôt. Il se mit à chercher son cache-œil à tâtons sur sa table de nuit, jusqu'à ce que je le voie posé sur le sol. Je me suis désolé une nouvelle fois qu'une balafre si affreuse lui ait ôté son œil droit, tout en scrutant un instant son magnifique œil gauche d'un bleu ciel qui me manquait.
-Leefe, un souci ? me demanda-t-il quand il se rendit compte que je le regardais intensément.
-Aucun, Maître Klein, lui ai-je dit avec calme. Voulez-vous que je vous aide à vous habiller ?
-Non, ce n'est pas nécessaire.
-Dans ce cas, je vais réveiller les autres pour le petit-déjeuner.
-Très bien. Je descendrai quand j'aurais enfilé quelque chose.
Je suis alors sorti de sa chambre, pour ensuite me diriger vers celle de Maître Iñigio.
Un jeune humain aussi, originaire d'un pays qui n'existe plus, de ce que j'ai compris. Il aimait le vin et les femmes. Ce soir encore, il avait encore trop bu et finit dans son lit avec une inconnue. Par contre, je n'étais pas sûre qu'il s'agissait d'une prostituée, cette fois. J'espérais au fond de moi que ce n'était pas la fille d'un baron de la pègre. Ou pire, l'épouse d'un de ces barons. Je l'ai secoué légèrement pour le réveiller et il a de suite ouvert les yeux en me souriant.
-Douce Leefe... Te voir à mon réveil dissiperait n'importe quelle gueule de bois.
-Votre partenaire de la veille risque de mal le prendre, si vous me faîtes la cour devant elle.
-Elle dort encore... Tu ne serais pas jalouse ?
-Jamais de la vie. Le petit-déjeuner est prêt. Veuillez mettre un pantalon, cette fois.
-Je n'ai rien à cacher.
-Vous devriez. L'air se rafraichit. Vous ne voudriez pas que vos attributs en souffrent.
-Han, j'aime quand tu es si froide avec moi. Ça te donne une valeur... inestimable.
J'ai soupiré avant de prendre congé, au moment où l'inconnue s'est à son tour éveillée et avait commencé à le bécoter. À l'écoute des bruits qu'ils faisaient lorsque j'ai refermé la porte et me suis éloigné de trois pas, Maître Iñigio n'allait pas prendre son petit-déjeuner de suite...
Ne restait plus que Mademoiselle Séraphina.
Une elfe aussi. Une Haute-elfe, pour être plus précise. D'habitude, ces derniers restent dans leurs cités cachées des yeux des autres races, mais Mademoiselle Séraphina, pour des raisons sur lesquelles elle ne s'est jamais étendue, fut banni de son foyer et à force d'errance, s'est retrouvé dans cette ville. Bien évidemment, « Séraphina » n'était pas son vrai nom. Son nom elfique, elle y avait renoncé en commençant cette nouvelle vie. Ce fut elle qui se mit en tête, à ma prise de fonction, de m'éduquer pour que je sois une « domestique digne de ce nom ». Elle m'apprit à mieux écrire, mieux parler, avoir une gestuelle plus fluide et élégante...
En somme, elle voulait transformer la petite elfe des villes issue d'un bas cloître en une domestique digne de servir au pire le plus pauvre des bourgeois, au mieux, un noble de rang satisfaisant. Cela lui prit du temps mais je ne m'avançais pas en disant qu'elle n'était pas peu fière du résultat.
Cette nuit encore, elle s'est endormie sur le grimoire qu'elle lisait, souvenir de son voyage, en laissant sa bougie allumée jusqu'à ce qu'elle se consume.
-C'est dangereux..., avais-je marmonné en songeant qu'elle aurait mis le feu à la maison comme ça.
Je l'ai secouée avec douceur pour la réveillée. Ses longues oreilles typiques de Haute-elfe, plus longue que les miennes, tressaillirent avant que ses yeux ne daignent s'ouvrir.
-Hmmm...
-Mademoiselle, c'est le matin. Le petit-déjeuner vous attend en bas.
-Hmmm... de la confiture ?
-Il en reste, oui. Hâtez-vous ou vous ne pourrez pas en manger.
-Hmmm... Cinq minutes.
Mademoiselle était du genre à traîner au réveil. Je suis donc ressorti pour le lui laisser le temps.
Ce n'est qu'une demi-heure plus tard que mes trois maîtres prirent le petit-déjeuner ensemble, ressassant le travail de la veille. Aventuriers autrefois, ils offraient à présent de l'aide aux nécessiteux d'Ankou contre un peu d'argent ou quelques présents utiles. Ankou ne possédaient pas de système monétaire propre, si bien que les couronnes, les lauriers et les écus, monnaie courante de Pendragon, s'imposèrent bien vite.
Après avoir veillé qu'ils ne manquent de rien pour leur repas, je suis parti m'isoler dans la cuisine prendre le mien, tout en repensant à ce qu'il y avait à faire dans la journée : nettoyer les chambres, faire la poussière, faire les courses...
Soudain, des coups contre la porte de derrière me sortirent de mes pensées. Qui cela pouvait-il être ? Il n'y avait qu'une ruelle derrière cette porte. À moins que...
Oui, ça ne pouvait être que cela...
Je me suis dirigé vers la porte et ai lentement ouvert le loquet à bascule, avant de l'ouvrir.
Mes craintes furent justifiées : je me suis retrouvé nez à nez avec un Marchemort. Il était là, planté devant la porte ouverte, me dépassant d'une tête. Sous son long manteau sombre, il portait une armure ma foi fort usée par le temps. Sa capuche était relevée et sur son crâne était vissé un casque cabossé. À sa ceinture, je frémis en apercevant son épée et redoutait qu'il s'en serve.
Pour peu, je l'aurai pris pour un spectre revenant d'un champ de bataille, incapable d'accepter sa mort.
-Me...Messire Marchemort... puis-je... faire quelque chose pour vous ?
Il ne répondit pas. Ils ne répondaient jamais. On disait qu'il existait des Marchemorts capables de parler mais depuis mon arrivée ici, je n'en avais vu aucun. Ils s'obstinaient tous à conserver un silence de mort quand on s'adressait à eux. Enfin, si on excluait les grognements...
Le Marchemort pénétra dans la cuisine. Par prudence, j'ai préféré le laisser passer et j'ai refermé la porte, sans le quitter des yeux.
Que voulait-il ? Était-il là pour mes maîtres ? Mes maîtres ! Devais-je les appeler ? Mais si le Marchemort s'en prenait à moi avant...
Le Marchemort balaya la pièce de son regard avant de se figer. Moi-même, je n'osais plus bouger. Il se mit soudainement à... renifler. Il tourna la tête vers la cheminée qui me servait à cuisiner au feu de bois. Il remarqua la poêle encore pleine de graisse du lard que j'avais cuit plutôt. Sa tête par-dessus, il renifla une nouvelle fois, avant de se tourner vers moi. Il se mit à pousser de courts grognements en me montrait la poêle du doigt.
-Heu... Oui, messire... Je l'ai utilisé pour cuir du lard...
Il grogna de plus belle, plus fort, en continuant de pointer la poêle.
-Vous...souhaitez que je vous en fasse ? ai-je demandé sans grande assurance. Du lard.
Le Marchemort hocha la tête pour confirmer. Tout en gardant un œil sur lui, j'ai pris le nécessaire pour cuisiner, mais je fus forcé de lui tourner le dos pour lui préparer son lard. J'entendis quelque chose racler sur le sol, puis quelque chose de lourd se poser. En tournant la tête, je vis le Marchemort, assis sur une chaise, fixant la table de la cuisine, comme s'il attendait patiemment d'être servis.
Alors que la viande commençait à cuir, j'entendis des bruits de pas provenant de la porte menant à la salle à manger.
-Leefe ! Nous sortons ! N'oublie pas de...
Maître Klein entra dans la cuisine, sans doute pour me donner des tâches supplémentaires pour la journée. Je le vis se figer de suite en voyant le Marchemort dans la cuisine, en ma présence. Je vis l'inquiétude envahir son visage mêlé à la peur.
-Leefe... Ne t'inquiète pas... Je va...
Je devinais les intentions de mon maître et il fallait que je l'arrête.
-Maître !
Il se figea aussitôt.
-Je vais sortir pour faire quelques courses, tout à l'heure. Avez-vous besoin de quelque chose ?
Je lui ai sourit tout en secouant la tête, pour lui indiquer de ne rien faire qui pourrait énerver le Marchemort.
-Je... Non, je ne pense pas, m'a-t-il répondu en essayant de paraître le plus naturel possible.
-Je vois. Dans ce cas, vous ne devriez pas vous attarder davantage, Maître Klein. Je vous apporte je vous apporte de quoi manger pour midi avant que vous ne partiez. Allez donc vous préparer.
Je fis de mon mieux pour qu'il comprenne que tout irait bien pour moi. Mon maître était bon mais aussi impulsif, du genre à foncer tête baissée pour sauver quelqu'un qu'il pensait en danger. Non ravi de la situation, je le vis se retirer de la cuisine en me disant qu'ils attendraient à l'entrée.
Une fois le lard cuit, je l'ai servi dans une assiette, avec un peu de pain. Le Marchemort fixait la viande cuite luisant à cause de l'huile chaude comme s'il voyait de la nourriture pour la première fois de sa vie... Sa vie de Marchemort.
-Voulez-vous boire quelque chose avec ? lui ai-je demandé en lui donnant des couverts.
Le Marchemort leva sa tête et ses orbites vides me fixèrent. Un frisson désagréable me parcourut l'échine et j'essayais de rester le plus impassible possible, mais je craignais que cela se voyait à mille lieux que j'étais morte de peur.
Le Marchemort hocha la tête. Pendant que je lui servais ce qui restait de thé, il planta sa fourchette dans le morceau de lard et l'approcha de son nez. Il semblait renifler la chose. Comptait-il enlever son masque pour manger ?
J'aurais aimé continuer à croire qu'il s'agissait d'un masque...
Sa mâchoire s'ouvrit en grand, laissant échapper une sorte de légère fumée sombre, et il mordit à pleine dents son morceau de viande frit. J'ai planqué ma main devant ma bouche pour étouffer mon cri. Je craignais de le vexer en agissant ainsi mais je pensais que cela aurait été pire si j'avais crié.
Ce fut la première fois que je vis un Marchemort manger. C'était même la première fois que je voyais un Marchemort se servir de sa mâchoire. Maintenant que je savais que cela n'avait rien d'un masque, non seulement je regrettais d'avoir acquis ce savoir mais de plus, cette inquiétude que je ressentais pour ces créatures ne fit que s'accroître.
En dehors des bruits de mastication, il était silencieux comme une tombe jusqu'à la dernière bouchée. Quant au thé, il ne se contenta pas de vider la tasse mais la théière entière.
Dès qu'il eut terminé, il se leva. J'aurai aimé qu'il quitte les yeux et d'une certaine manière, il le fit. Il quitta la cuisine pour passer la porte menant à la salle à manger. Je lui ai emboîté le pas, la boule au ventre, en me demandant ce qu'il voulait à présent. Il donnait l'impression de visiter les lieux, comme un potentiel locataire faisant l'état des lieux avant d'emménager. Ses pas le menèrent ensuite au salon, plus précisément devant la cheminée. Les bûches de la veille portaient encore les traces d'un feu et les cendres étaient encore chaudes. Je comptais nettoyer la cheminée plus tard mais, en faisant comme il était chez lui, il ajouta une ou deux bûches, un peu de bois et je pus jurer que je l'entendis souffler avant que des flammes n'apparaissent dans le foyer. Une fois les flammes suffisamment hautes, il détacha l'épée à sa ceinture et s'installa confortablement dans le fauteuil le plus près de la cheminée.
J'étais stupéfaite par ce spectacle mais plus que la stupéfaction, c'était mon inquiétude qui s'en retrouvait nourris de voir cette chose à présent installé comme s'il était chez lui. J'avais entendu ces rumeurs sur des Marchemorts qui élisaient parfois domicile chez certaines personnes, jusqu'à ce que, ayant trop peur de vivre sous le même toit que ces choses, les propriétaires désertent les yeux. Je pensais qu'il était improbable que ces rumeurs soient fondées.
Non. Je ne voulais pas croire qu'il y ait un fond de vérité dans tout cela.
Le Marchemort semblait avoir le regard dans le vide. Le voir ainsi me fit penser à une gargouille que l'on pouvait apercevoir sur les lieux saints de la ville.
Dans le doute, je l'ai laissé tranquille ici, suis retourné en cuisine prendre les paniers repas de mes maîtres et me suis rendu à l'entrée, où attendait Maître Klein, Maître Iñigio et Mademoiselle Séraphina.
-Il est encore là ? me demanda Maître Klein.
-Oui.
-Un Marchemort dans la maison... C'est un signe de malheur, ça, souffla Maître Iñigio qui était devenu pâle comme un drap blanc.
-Cesse avec tes superstitions, lui ordonna Mademoiselle. Bien que je doive avouer que l'idée qu'un Marchemort se trouve sous notre toit ne me plaît guère... Que fait-on ?
-Malheureusement, on ne peut rien faire sans enfreindre une règle de la ville, avait dit Maître Klein. Tout ce qu'on peut faire, c'est espérer qu'il quitte la maison de lui-même.
-Et s'il décide de s'y installer.
-On avisera. Mais si ça arrive... J'imagine que nous devrons apprendre à vivre avec ou déménager.
-Grande joie...
-Leefe. Fais en sorte de ne pas le contrarier durant notre absence. Nous risquons de rentrer tard, ce soir.
Je lui ai fait un signe de tête pour lui signifier que j'ai compris et juste après, ils ont quitté la maison pour disparaître dans les brumes. Et cette peur qu'ils ne reviennent pas, comme chaque jour, formait de nouveau une boule dans mon estomac. Au point où je pourrais en tomber malade...
Je devais me changer les idées et pour cela, rien ne valait mes tâches ménagères. Je me suis occupé de la maison une bonne partie de la cheminée, oubliant presque qu'un Marchemort trônait dans le salon devant un bon feu de cheminée. Enfin, pas toujours. Par moment, en finissant de nettoyer une pièce, je l'apercevais du coin de l'œil en train de me fixer, avant de repartir. À chaque fois, je me pétrifiais et mon sang se glaçait.
Un peu avant midi, après que je me sois préparé pour faire les courses, je l'ai vu, planté à côté de la porte d'entrée. Au début, je pensais qu'il allait m'empêcher de sortir mais il se contentait de me fixer sans bruits. En fait, il n'a bougé qu'au moment où j'ai franchi le seuil de la porte pour sortir à son tour. Au lieu de partir, comme je l'espérais, il semblait attendre que je referme la porte puis il m'a suivi en ville. Je n'aimais pas cela mais que pouvais-je faire, au fond, à part prendre sur moi ?
La brume était moins épaisse qu'au petit matin. Je pouvais plus ou moins voir les personnes marchant dans les rues, bien que j'aperçusse quelques ombres furtives çà et là. Je croisai aussi le chemin de quelques Marchemorts, qui me dévisageaient si je passais trop près d'eux et grognaient quand le « mien » passait à côté.
Le marché de Ankou différait un peu des marchés normaux. Là où régnait une ambiance joviale, ici, le ton tendait plus vers le morose ou la méfiance. Les commerçants ne souriaient jamais et affichaient un visage fermé pour vendre ce qu'ils avaient. Beaucoup fixaient le Marchemort qui m'accompagnait et je pouvais les comprendre : les gens étaient nerveux quand un Marchemort était dans les environs, alors en voir un qui se baladait entre les étals...
Mais je savais aussi qu'ils préféraient les voir eux que ces malfrats associés aux différentes organisations criminelles, qui faisaient régner leurs lois au sein d'Ankou. Vol, extorsion, intimidation, agression, meurtre...
Face à cette force imposante, les honnêtes gens vivaient dans la peur ou ne le restaient pas longtemps. Nous espérions tous une nouvelle vie. Nombreux l'eurent mais pas nécessairement celle qu'ils espéraient...
Mes courses faîtes, j'ai repris le chemin de la maison. « Mon » Marchemort me suivait toujours, à deux enjambées derrière moi. Il n'avait rien fait d'autre que m'observer tout du long, fixant de temps en temps ce que j'achetais. Allait-il exiger une nouvelle fois que je cuisine pour lui ?
En pensant devant une ruelle, une main vint couvrir ma bouche et une autre me tira à l'intérieur. J'eus à peine le temps de paniquer qu'on me plaquât contre un mur. Un homme à la mine patibulaire, puant la sueur et l'alcool.
-Tu bouges, je te saigne, longues-oreilles !
Il se collait à moi alors que la lame de son couteau se collait à ma gorge. Sa main libre glissait sous ma robe pour arracher ma culotte. Je voulais me débattre, hurler, le mordre. Mais le menace de son arme me tétanisait. Je ne pouvais que pleurer pour mon impuissance et prier pour qu'il ne me tue pas une fois qu'il aurait terminé. De nombreuses femmes dans cette ville était passée par là et passait encore. Jusqu'ici, je m'estimais chanceuse mais il fallait croire que la chance tournait un jour ou l'autre...
Ma culotte tomba sur le sol sale, il me força à écarter les cuisses pour s'installer... J'espèrais qu'il fasse ça vite...
Un grognement sonore résonna dans cette ruelle, un poing d'acier s'écrasa contre sa joue, j'entendis des os se briser et je le vis voler un peu plus loin.
Le Marchemort venait de me sauver la vie.
Mon agresseur gémissait de douleur et essayait de parler sans succès. Difficile à faire, effectivement, quand on avait la mâchoire brisée.
Le Marchemort a grogné fortement en regardant l'homme puis il m'a fixé, avant de pointer le sol puis l'entrée de la ruelle qui donnait sur la route que j'empruntais. J'ai hoché la tête puis le Marchemort s'est approché de l'homme qui tentait vainement de hurler.
Je n'ai pas regardé mais j'imaginais bien ce qui allait lui arriver et je souhaitais qu'il souffre autant que possible. J'ai ramassé les provisions que j'avais fait tomber en me faisant attaquer et j'ai couru sans me retourner jusqu'à la maison. Je n'ai pas ramassé ma culotte... Pour moi, elle était souillée à jamais...
Une fois rentrée, la première chose que j'ai faîtes, c'était de prendre un bain. Un long bain pour retirer l'odeur de cet homme abominable qui, je l'espérais, ne respirait plus l'air de ce monde, à présent. J'ai aussi un peu pleuré mais j'ai surtout remercié les dieux qu'il ne me soit rien arrivé. Je les remerciais d'être revenu ici vivante.
Mes pensées se tournèrent ensuite vers ce Marchemort... Je me demandais où il était, à présent ? J'aurai peut-être dû le remercier...
Une fois propre, j'ai enfilé de nouveaux vêtements et me suis attelé au reste de mes tâches de la journée, pour ne plus penser à ce qui m'était arrivé. Du moins, plus que nécessaire.
Le Marchemort, lui, n'était pas revenu...
L'extérieur s'assombrissait. La nuit serait bientôt installée.
Après avoir allumé quelques bougies pour illuminer un minimum la maison, j'ai commencé à cuisiner le dîner. Maître Klein m'avait dit qu'ils rentreraient sans doute tard mais on ne sait jamais... Et puis, un repas était meilleur chaud.
Il faisait à présent nuit noir et j'avais déjà dîné. Alors que j'entretenais le feu allumé dans la cheminée, j'entendis frapper à la porte.
Cela ne pouvait pas être les maîtres. Ces derniers possédaient les clés de la maison et pouvaient entrer et sortir comme bon leur semblait. Qui pouvait bien frapper à cette heure ? L'image de mon agresseur de la journée me vint en tête. Comment ? Le Marchemort ne s'était-il pas occupé de lui ? S'était-il enfui et m'avait-il retrouvé ? Mille questions tourbillonnaient dans ma tête et la peur m'envahissait.
Les coups se répétèrent, plus nombreux et plus bruyants. Je ne voulais pas ouvrir mais une curiosité mal placée en moi me poussa à le faire. Par précaution, j'ai pris l'un des couteaux sur la table. Cette fois, je ne serais pas sans défense.
J'étais face à la porte, qui, à présent, tremblait sous les coups.
-Un instant, je vous prie !
Une voix en moi me criait de ne pas ouvrir, une autre m'y encourageait. Peut-être étais-je stupide mais j'ai écouté celle qui m'encourageait. J'ai tourné la clef dans sa serrure puis lé poignée, lentement. J'ai doucement entrouvert, voir ce curieux visiteur nocturne, non sans être prêtre à l'attaquer au couteau s'il le fallait. Puis, sans comprendre pourquoi je le faisais, j'ai ouvert la porte entièrement et d'un coup.
Je me suis figé quand je me suis retrouvé face à face avec le Marchemort. Pas n'importe lequel. « Mon » Marchemort, celui qui avait réclamé du lard. Celui qui avait passé du temps près de la cheminée. Celui qui m'avait suivi au marché. Celui qui m'avait sauvé dans cette ruelle...
J'ignorais pourquoi mais le voir me procura une certaine joie, comme lorsqu'un de mes maîtres rentrait sain et sauf à la maison.
Sans dire un mot, il est rentré et s'est directement installé dans le fauteuil près de la cheminée. Silencieux comme toujours.
Je savais qu'il ne dirait pas un mot. J'ignorais même s'il en était capable. Malgré moi, je souriais un peu. Je suis allé dans la cuisine lui préparer du thé et une assiette remplie de bonnes choses à manger. J'ai déposé le tout sur la petite table de chevet que j'ai installé à côté de lui, en silence. Il n'eut aucune réaction, se contentant de fixer le vide. Je me suis dit qu'il mangerait sans doute plus tard.
En attendant le retour des autres, je me suis permise de m'installer dans un autre fauteuil et de reprendre le tricotage de mon écharpe. L'hiver n'allait pas tarder et il fallait que nous nous tenions tous chaud.
Le Marchemort a tout engloutit quelques minutes plus tard. J'ai souri.
Mes maîtres sont rentrés, sains et saufs. Je leur ai raconté tout ce qui s'était passé. Maître Klein était soulagé que je sois revenue saine et sauve. Maître Iñigio se jura que s'il retrouvait mon agresseur, il l'émasculerait. Mademoiselle Séraphina m'a serré fort dans ses bras.
J'avais une chance inouïe d'avoir des gens qui se souciaient autant de moi. Une chance inouïe...
Les jours passèrent.
Rien ne changeait à Ankou. Rien dans l'ensemble. Dans le détail, le Marchemort ne quittait plus la maison, sauf quand je sortais. Il semblait s'être attaché à moi, mais dans quel sens du terme, je l'ignorais. Mademoiselle avait de nombreuses hypothèses mais la seule qu'elle parvint à vérifier était que ce Marchemort était là pour moi et uniquement moi.
La raison ? Inconnue. Y en avait-il une, d'abord ? Je l'ignorais.
Pour l'instant, moi comme mes maîtres devions vivre avec l'une des entités à qui appartenait cette ville, en priant les dieux que cette chose ne décide un jour qu'il en avait assez de nous et ne nous quittes. À moins qu'il ne décide de se débarrasser de nous comme il s'était débarrassé de cet homme.
À quoi pouvait bien penser ce Marchemort ?
À quoi pensait un Marchemort ?
Je l'ignorais et, pour être honnête avec vous, je ne tenais pas à le savoir, à l'époque.
Tout ce qui m'importait était que la vie que je menais continue, avec mes maîtres. Le Marchemort pouvait rester, cela ne me dérangeait pas tant que ça. De toute façon, ce n'était pas comme si j'avais le choix.
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