L'expédition Delgarde - Deuxième partie

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Les érudits passèrent les trois jours suivants à étudier ces pierres, sans parvenir à se mettre d'accord sur leur origine ni sur l'époque où elles auraient pu être dressées. Mais qu'importait les hypothèses de ces hommes savants. La prochaine étape pour Delgarde, c'était atteindre Lovham et pour cela, selon ses dires et sans daigner donner une once d'explication à personne, il fallait passer par cette forêt qui apparaissait des plus lugubre aux yeux des plus futés.

Shylvia et ses compagnons, comme toute l'escorte, s'affairaient à préparer la suite du voyage. Il n'y avait ni chemin ni passage assez large pour faire passer les chariots. Il fallut donc désatteler les chevaux pour les faire transporter quelques affaires, charger les bœufs un peu plus avec le matériel et les bouviers durent transporter sur leur dos ce qu'on ne pouvait pas mettre sur le dos des bêtes. Et même ainsi, il y avait encore trop de chose à transporter. Certains vétérans suggèrent à Delgarde de laisser le matériel non essentiel sur place car sans véhicule, le poids des charges allait fortement les ralentir et comme cette forêt semblait touffue, juste avancer allait déjà être un défi en soi. Bien entendu, Delgarde refusa dans un premier temps mais même son second lui affirma que c'était la meilleure solution s'il voulait mener son projet à bien. Delgarde céda donc, non sans pester contre tous.

-Un vrai enfant gâté, commenta Evran en finissant de charger un bœuf. Si je deviens riche, je refuse de finir comme lui. Pareil pour ma progéniture.

Karloff éclata un rire, sans doute après avoir imaginé Evran ayant des petits, juste avant de se faire réprimander d'un coup de poing à l'épaule par Shylvia.

Cette dernière n'arrivait pas s'enlever l'impression qu'elle a eu en regardant l'orée ces bois. Une petite voix au fond d'elle lui murmurait qu'il y avait quelque chose d'anormal qui se tapissait au-delà des pierres dressées.

-Tes tripes te hurlent toujours la même chose ?

Ward, le vétéran l'avait approché et fixait lui aussi les bois.

-Elles n'en démordent pas... Mais c'est normal de ressentir ça, en tant qu'aventurier. On risque nos vies chaque jour et avec le temps, on arrive à sentir le danger.

-C'est sûr, oui... C'est sûr...

Ses mots étaient vides de conviction. Voulait-il la rassurer ? Ou se rassurer lui-même ? Toujours était-il que l'inquiétude demeurait sur son visage, alors qu'il retournait à ses occupations.

Les préparatifs durèrent jusqu'au soir. Le dîner de déroula dans un silence presque religieux, jusqu'à ce que des cris ne s'échappent de la tente de Delgarde. De ce qui en sortait, celui-ci se disputait avec son bras droit sur le fait qu'il allait devoir abandonner sa tente et une bonne partie de ses affaires ici.

-On sait pas ce qui nous attends dans ces bois et tout ce qui intéresse la princesse, c'est son confort ! cracha à mi-voix Karloff.

-Les riches ont leurs soucis que la plèbe ignore..., commenta Shylvia en ajoutant du bois dans le feu.

-Tu parles en connaissance de cause ?

-Si j'étais riche, je ne serais pas ici, à risquer ma vie pour un salaire dont je ne suis pas sûre de pouvoir en profiter...

-Ouais, vu comme ça...

Personne ne souhaitait parler. Tous voulaient dormir après une journée éreintante mais le sommeil fuyait ceux qui sentait l'étrangeté flottante dans l'air environnant.

Et ce fut sans grande surprise que, au petit matin, plusieurs personnes de l'expédition avaient pris la poudre d'escampette. Aussi bien des aventuriers, des mercenaires et même des bouviers avec leurs bêtes. En ayant emporté une partie du matériel qu'on leur avait confié. Sans doute une forme de dédommagement à leurs yeux. Dire que Delgarde était furieux était un doux euphémisme : il s'en était donné à cœur joie en matière d'insultes colorées. Avait-il pour autant renoncé à poursuivre ? Ses ordres pour se mettre en route disaient le contraire.

Une fois tout le monde prêt, ce fut sans grand enthousiasme que l'expédition passa les pierres dressées et qu'ils pénétrèrent dans ces bois que la majorité trouvaient sinistre...

Avancer dans une forêt touffue était d'ordinaire un calvaire, même avec le bon équipement. Le faire en étant chargé comme une mule et ce, pendant ce qui paraissait des heures, c'était sans doute l'une des pires choses qui pouvait arriver.

Shylvia se mit à penser à ces hommes qui déchargeait les cargaisons des navires, dans les ports. On disait qu'ils ne vivaient pas vieux, à force d'user leur corps en portant des charges plus lourdes qu'eux. Elle se jura de ne plus dénigrer ce genre de métier, à l'avenir. Et d'avoir une pensée pour les animaux qu'on utilisait pour transporter de lourdes charges.

Elle aida Karloff à avancer, en voyant qu'il avait l'air de mourir.

-Je vais mourir... Je vais mourir..., répétait-il en haletant bruyamment et en suant à grosses gouttes.

-On dirait un bœuf exploité..., ricana Evran très bas pour ne pas se faire entendre.

Malheureusement pour son postérieur, Shylvia l'avait entendu.

Tout le monde avançait dans un silence relatif. L'homme de main de Delgarde ouvrait la voix avec quelques hommes, dont Ward. Delgarde lui-même suivait juste derrière, avec les érudits, avec le moins d'affaires possible.

-N'empêche, c'est vraiment un beau salopard..., dit Evran tout en évitant de se prendre les pieds dans une racine.

-Comment ça ? demanda Shylvia.

-À ton avis, s'il arrive quelque chose, qu'est-ce qui se passera ? Chargé comme on est, ce sera difficile de nous sauver. Par contre, lui et ses petits copains...

Shylvia pensa au début que c'était du délire, mais en y réfléchissant plus, c'était tout à fait possible.

Mais cela était le dernier de ses soucis.

À présent qu'elle marchait au sein de ce bois, son sentiment de malaise n'avait fait que croître et les petits bruits qu'elle semblait entendre le premier jour ne la quittaient plus. Pour ne rien arranger à ses angoisses en pleine croissance, elle avait l'impression que d'être épiée.

Cela lui rappela cette mission, à l'époque des Lions Écarlates, où, pour capturer un loup-garou qui terrorisait un petit village, elle avait dû jouer l'appât en déambulant en pleine nuit de pleine lune, moment où la créature pouvait transmettre son mal plus aisément. Elle se rappelait avoir en permanence cette désagréable sensation que la bête la fixait et la suivait, alors qu'elle était incapable de savoir si elle était réellement là ou non. Sa peur s'était démultipliée, du fait qu'ils n'avaient compris que quelques heures plutôt à quel genre de créature ils avaient affaire et que malheureusement, en dehors de leurs armes conventuelles, ils n'avaient rien abattre rapidement un loup-garou. Heureusement que tout s'était bien terminé...

Ici, lieux différents mais même sensations. Shylvia pria tous les dieux qu'elle connaissait, espérant de tout son cœur que ce qu'elle ressentait à cet instant ne soit que le fruit de son imagination.

Des heures semblaient s'être écoulées. À moins qu'il ne s'agissait que de quelques dizaines de minutes...

Difficile à dire, quand on avait l'impression de mourir à transporter presque le double de son poids sur le dos. Sans parler du fait qu'il semblait impossible d'estimer l'heure de la journée à l'aide du soleil : cette forêt était si touffue que les rayons peinaient à passer, donnant l'impression que les couleurs avaient laissé place à du gris morne.

-Je ne souhaite à personne de se perdre ici..., marmonna Karloff avec un air peu rassuré peint sur son visage.

Evran et Shylvia hochèrent la tête à l'unisson pour approuver.

Delgarde, en tête, sommait les autres à l'arrière de se bouger un peu plus vite. Beaucoup grognèrent pour manifester leur mécontentement. Ceux plus en arrière ne se génèrent pas de lancer une belle insulte bien vulgaire, sans risque d'éventuelles représailles de la cible puisqu'elle était trop loin pour entendre distinctement. De toute façon, il y avait de fortes chances que l'intéressé se fichait bien de l'opinion et des pensées des autres.

-AAAAAAAAAAAAAAH !!!

Un cri aussi déchirant que lointain fit sursauter tout le monde. Cela semblait provenir de l'endroit où se trouvaient les retardataires.

-AaaAAaaaaaAAH !!

-C'EST QUOI, CE TRUC !?

-TIREZ-VOUS !

-Me laissez pas là ! Ne... Non ! NON !!!

Des cris identiques, remplis de terreur, s'élevèrent et se multiplièrent. Mais pire que tout, ils se rapprochaient...

D'autres cris se mirent à résonner mais cette fois, plus à l'avant. C'était les érudits, qui criaient à Delgarde de revenir. Ce lâche avait déjà pris ses jambes à son cou, pour s'enfoncer dans les bois et abandonner tout le monde. Son second ordonna à son groupe de le suivre mais à présent, en plus des cris, on entendait... des grognements inhumains venant de toute part se rapprocher. Il n'en fallut pas plus pour que la panique s'installe : les bouviers prirent leurs jambes à leur cou, abandonnant leurs bêtes, et les hommes qui composaient l'escorte, ceux qui n'avaient pas fuis alors qu'on entendait déjà les autres implorer pour leur vie, se préparaient à se défendre jusqu'au bout.

-Qu'est-ce que c'est ? QU'EST-CE QUE C'EST !? cria Karloff alors qu'il tirait son énorme bouclier aussi grand qu'une porte.

Les grognements se rapprochaient tandis que les trois anciens Lions Écarlates reculaient. Plus ils reculaient, plus les grognements étaient distincts. Les hautes herbes gesticulaient tandis que ces choses se montrèrent enfin à eux.

D'apparence, ils étaient proches des canidés mais leurs gueules monstrueuses semblaient sortir des pires cauchemars. Elles étaient d'une maigreur effrayante et les voir baver abondamment donnait l'impression qu'elles n'avaient pas mangé depuis des lustres.

-Par la Déesse..., marmonna Evran.

Les créatures grognèrent de plus belle puis se mirent à aboyer comme de vrais chiens, avant que l'un d'eux ne bondisse sur Shylvia, la gueule grande ouverte. Karloff eut le temps de s'interposer et de repousser cette chose en lui donnant le plus violent coup de bouclier de sa vie, dans un mélange de peur et de volonté de protéger. D'autres créatures se jetèrent sur eux. Pendant que Karloff faisait de son mieux pour protéger, Shylvia et Evran les frappaient avec leurs épées. Mais ces choses étaient vives et donc difficiles à toucher, si bien que lorsqu'ils y parvenaient, le coup n'était jamais assez profond ou mortel pour les abattre. Qui plus est, le fait qu'elles étaient blessés les enrageaient et les rendaient plus violentes.

-Ça n'en finit pas ! hurla Shylvia alors qu'elle venait d'entailler profondément une autre de ces choses.

Mais elle ne vit pas celui qui lui sauta dessus par son flanc.

Quand elle s'en rendit compte, elle savait qu'il était trop tard pour se protéger. Evran était occupé avec un autre et Karloff n'arriverait pas un temps. En moins d'une seconde, Shylvia vit sa vie défiler devant ses yeux...

Un sifflement passa près de son oreille. La créature fut prise d'un soubresaut et quelque chose de chaud gicla sur le visage de Shylvia. Une seconde plus tard, elle vit la chose qui lui sautait dessus au sol, une flèche plantée entre les deux yeux.

-Par ici ! Vite ! On vous couvre !

C'était la voix de Ward, qui venait de plus loin. Juste après, des flèches et des carreaux volèrent pour tenir à distance ces choses ou les abattre. Les trois aperçurent Ward, en compagnie de quelques personnes, et accoururent dans sa direction, Karloff fermant la marche pour dissuader les bêtes de les suivre.

Tout d'un coup, une série de sifflements résonna dans les bois. Étrangement, on aurait dit ceux d'un homme qui rappelait ses chiens.

Les créatures réagirent à ces sifflements en hurlant en chœur avant de se disperser, sans se soucier de ceux et celles qu'ils semblaient avoir pris pour proies.

-Pourquoi ils s'en vont ? demanda Shylvia.

-Je ne sais pas et je m'en fiche, lança Ward. Pour l'instant, on doit quitter cette forêt.

-Et pour aller où ? répliqua l'un des membres de l'escorte. On sait pas où on est et rien ne nous dit qu'on ne retombera sur ces trucs en rebroussant chemin !

-Ce sera toujours mieux que de rester planté là, à attendre qu'ils reviennent nous bouffer !

-Et d'abord, d'où tu te fais chef, le vieux ! T'imagine qu'on va t'écouter comme l'autre toutou de Delgarde ?

-C'est vraiment le moment de comparer la taille de nos queues ?! Ils peuvent revenir à tout moment ! Je ne fais...

Brusquement, un brouillard se leva de manière surnaturelle. Un tel phénomène ne pouvait se manifester si vite !

De nouveau, les sifflements résonnèrent et bien vite, les grognements revinrent et se rapprochèrent lentement.

-On se tire !

Personne ne sut qui avait prononcé ces mots, mais personne ne le contredit et ils se mirent tous à courir à travers bois et dans la brume. Ils entendaient ces choses se rapprocher dangereusement et commencer à les encercler, les halètements des poursuivis se mêlant aux grognements des poursuivants. Certains crièrent de panique et se séparent du groupe, sans doute dans l'espoir que ce dernier serve d'appât tandis qu'ils sauvaient leur peau.

-Abrutis ! Ne vous éloignez pas !

Les hurlements de Ward arrivèrent trop tard. Ceux qui s'étaient éloignés du troupeau furent les premiers à tomber, leurs cris d'agonie déchirant la brume avant de s'évanouir comme s'ils n'avaient jamais existé.

Mais le malheur des uns faisait le bonheur des autres. Pendant que ceux qui s'étaient écarté se faisaient dévorer et accaparaient l'attention de leurs chasseurs, les autres en profitèrent pour mettre le plus de distance possible entre eux.

Shylvia commença à souffler alors que le bruit de la chair arrachée s'éloignait d'elle.

Mais son inquiétude ne se dissipa totalement, voire ne fit que croître, lorsqu'elle se rendit compte que la brume tout autour d'elle s'épaissit de plus en plus, à mesure qu'ils s'enfonçait dans ces bois.

-Evran ? Karloff ! Ward !

-Je t'entends, Shyl ! Mais je te vois pas !

C'était la voix d'Evran mais elle ne le voyait pas non plus. Tout ce qu'elle percevait était des formes dans la brume, sans parvenir à identifier qui était qui.

-Je viens vers toi ! Fais attention avec ton épée !

-D'accord !

L'une des formes s'avança lentement vers elle et Shylvia put enfin entrevoir le visage de son compagnon une fois qu'il fut à un mètre d'elle.

-Tu vas bien ? lui demanda Evran.

-Oui. Où est Karloff ? KARLOFF !! WARD !!!

-Crie pas si fort ! Tu vas faire rappliquer ces trucs !

-Navrée...

D'autres voix s'élevaient mais la brume s'épaissit encore, jusqu'à ce que ne soit visible que ce voile gris.

-On avait bien besoin de ça, commenta Evran en serrant fermement la poignée de son épée.

-Evran ? Shylvia !

C'était la voix de Karloff, qui venait d'un peu plus loin !

-Karloff ! s'écria-t-elle. Tu vas bien ?

-Oh oui, si on met de côté que je me chie dessus, en ce moment !

-Ne bouge pas ! On vient à ta rencontre !

-Aucun risque ! Je vois rien du tout, de toute façon ! Pas question que je bouge !

-Quel courage..., commenta encore Evran.

-Tu réagirais mieux, à sa place ? lui demanda Shylvia.

Evran choisit le silence comme seule réponse.

À tâtons, les deux avancèrent à travers la brume pour rejoindre Karloff. Shylvia estima qu'il était à une centaine de mètres, environ, mais ils prenaient tant de précautions pour avancer avec la plus grande prudence que cela leur paraissait le triple.

-...ue quelqu'un m'entend ?

C'était la voix de Ward, qui semblait encore plus éloignée que celle de Karloff.

-Ward ! Vous allez bien ? cria Shylvia.

-C'est toi, petite ? Ouais, je vais bien ! J'ai trouvé une grotte ! On peut se mettre à l'abri le temps que le brouillard se dissipe !

-Je suis en train de me réunir avec mes compagnons ! On vous rejoint après ! Mais on va avoir du mal à vous trouver avec seulement votre voix !

-Je vais allumer un feu ! La lumière vous guidera ! Si quelqu'un d'autre m'entend, suivez la lumière quand vous la verrez !

Des voix s'élevèrent et approuvèrent.

Quand ils rejoignirent enfin Karloff, Shylvia lui sauta dans le bras, en respirant fort. Difficile de dire si c'était parce qu'elle était inquiète pour lui ou parce qu'elle était heureuse de trouver un visage apaisant.

-Tu n'es pas blessé ? demanda-t-elle avec un soupçon d'inquiétude dans la voix.

-Non, j'ai rien. T'inquiète pas.

-J'ai pas eu droit à la scène d'inquiétude, moi..., commenta à voix basse Evran en dévisageant Karloff.

Ils attendirent ensuite que Ward allume son feu. Comme si cette purée de pois ne suffisait pas, un vent glacial se mit à souffler.

Après ce qui parut une éternité, ils aperçurent une lueur orangé flou au loin puis entendirent la voix de Ward les appeler :

-Par ici, tout le monde ! Avancez prudemment !

Shylvia poussa un petit soupir de soulagement et fit le premier pas, lorsqu'une voix s'éleva de la brume :

-Eh, le vieux ! Si c'est toi là-bas, qui...

Un bruit sourd éclata subitement, semblable à un coup de tonnerre. Par réflexe, les trois Lions Écarlates se baissèrent.

-C'est quoi, ce bordel ! s'écria une voix féminine un peu plus loin.

Le bruit sourd résonna de nouveau dans la brume, suivit de celui de quelque chose de lourd tombant sur le sol.

-Merde !

-Je reste pas ici, moi !

-C'est quoi, ça, encore ?

Dans la brume, derrière eux, Shylvia aperçut une lueur blanchâtre se déplacer. Si la lueur orangée était Ward, qui était-ce, derrière eux ?

À peine avait-elle pensé cela qu'ils entendirent de nouveau résonner le sifflement. Sifflement qui venait de la nouvelle lueur ! Les grognements et les aboiements se firent entendre de nouveau autour d'eux. Les cris s'élevèrent, d'abord d'effrois puis de douleurs. Il n'en fallut pas plus pour stimuler l'imagination, malheureusement...

-Courez !

La voix de Karloff avait porté comme elle n'avait jamais porté. Les trois compagnons coururent en direction de la lueur orangé sans se préoccuper de savoir où ils mettaient les pieds. Encore une fois, un bruit semblable au tonnerre résonna, suivit de cris de douleurs et de complaintes qui se transformèrent en supplications :

-Pitié ! Pitié !! Non !!! NOOOON !!!

À nouveau, ce bruit assourdissant. Puis un court silence, avant qu'on entende les créatures approcher.

Les trois compagnons rejoignirent enfin Ward, qui tenait une torche dans sa main et son épée à deux mains dans l'autre. Il les fit entrer dans la grotte, qui s'enfonçait encore. À l'intérieur, deux autres personnes étaient aussi présentes : une archère d'origine elfe et un humain en armure de cuir portant nombres d'outils en tout genre sur lui.

-Ne me laissez pas ! NE ME LAISSEZ PAS !!

Une voix d'homme se rapprochait. Ward lui cria de se dépêcher. Shylvia vit une forme de dessiner et accourir. Quand elle put enfin voir la peur et la détresse se dessiner sur ce visage anonyme enfin visible, un nouveau « coup de tonnerre » retentit, juste avant que le pauvre bougre ne soit projeté en avant, avant un trou de la taille d'une grosse orange dans le dos.

Tout le monde fut choqué par sa mort fulgurante. Tout le monde ne savait que dire... Ward le premier. Tous étaient comme paralysé.

Soudainement, comme invoqué par la brume, l'une des créatures canidé sauta sur le cadavre encore chaud et commença à le dévorer. Ward se mit à bouger de nouveau et dit aux autres qu'ils devaient s'en aller et tout de suite.

Il ouvrit la voie, torche en main, et guida les autres vers l'intérieur de la grotte au pas de course, alors qu'ils entendaient de plus en plus de ces choses arriver. Avant que l'entrée de la grotte ne disparaisse derrière eux, Shylvia se retourna une dernière fois... et elle jura avoir aperçu une silhouette humaine accompagner ces créatures.

Ils coururent autant qu'ils le purent, pour le plus de distance possible. La destination importait peu pour l'instant. Alors qu'ils se perdaient dans ce tunnel qui n'en terminait pas, la seul chose qui importait était se mettre à l'abri.

Après ce qui parut des heures d'errance, Ward proposa de faire une pause. Une chose bienvenue car ils étaient tous épuisés, spécialement Karloff qui semblait sur le point de tourner de l'œil après toutes ces péripéties. Pendant qu'ils soufflaient, Ward et l'archère elfe cherchèrent un bâton pour remplacer celui de leur torche, qui n'était pas loin de se consumer entièrement.

-Vous pensez que cette foutue caverne mène où ? demanda Evran.

-Loin de cette putain de forêt, dit l'homme à l'armure de cuir. C'est tout ce que je demande...

-...Vous vous appelez comment ?

-Korban. Pourquoi ?

-Evran. Pour savoir, sans arrière-pensée.

Le dénommé Korban se contenta de hocher la tête. Les autres se présentèrent à tour de rôle, avant de finir à l'archère elfe. Elle resta silencieuse, au début, puis voyant l'insistance des regards, elle parla :

-Ekatie'l, dit-elle alors qu'elle conservait une certaine distance avec ce groupe d'humain.

-Pourquoi tu te tiens loin de nous ? lui demanda Karloff.

Elle ne répondit pas.

-Laisse, lui conseilla Ward. Elle doit avoir ses raisons. Pour l'instant, trouvons une sortie et tâchons ensuite de quitter cette foutue forêt.

-Attends ! Tu veux partir sans ta paye ! s'insurgea Korban.

-Nom de la Déesse ! On se fait poursuivre par des chiens monstrueux et si on se fie à ce que la petite Shylvia a vu, ils ont un maître ! Sans parler du fait qu'il possède une arme ou une magie mortelle qu'il utilise pour nous chasser comme des lapins ! Et toi, tu ne penses qu'à ta foutue paye !?

-J'ai une bouche à nourrir, vieux croulant ! La mienne !

-Et comment tu vas profiter de ton or, si tu bouffes les pissenlits par la racine !

Korban voulut répliquer mais il se ravisa.

Shylvia vit que Karloff claquait des dents, sans doute de peur, et lui caressa affectueusement le dos pour tenter le calmer :

-Courage. On va s'en tirer.

-Vous, peut-être. Moi, j'en doute. Tu as vu comment ces trucs courent vite ? Tu m'as bien regardé ? Je suis un petit cochon en passe de finir de l'estomac de chiens enragés. Si tenté qu'on puisse appeler ça des chiens...

Evran s'apprêtait à partager un commentaire que Shylvia devinait déplaisant, si bien qu'elle lui lança un regard meurtrier pour lui faire signe de se taire, alors qu'elle tentait de rassurer Karloff du mieux qu'elle pouvait. Ce dernier n'en n'était pas à sa première crise de panique durant le travail et elle se le jura, ce ne serait pas sa dernière !

-Silence ! souffla subitement Ekatie'l alors que son regard se perdait sur l'endroit d'où ils venaient.

Ils la virent fixer les ténèbres et tendre ses oreilles pointues, son arc et une flèche en main.

Shylvia et les aurez n'entendaient rien, mais tous savaient que les elfes avaient une ouïe plus fine que les humains.

-Ils arrivent... Ils arrivent !

Juste après qu'elle ait prononcé ces mots, tous entendirent ce sifflement déjà devenu trop familier.

-Courez ! cria Ward.

Il n'eut pas à le répéter deux fois. Tout le monde se remit à courir et à peine avaient-ils fait quelques mètres qu'ils entendirent les grognements. Pour peu, ils sentaient presque leur haleine fétide les talonner. Korban jura et se mit à courir plus vite, distançant le reste du groupe pour disparaître dans la pénombre.

Karloff se mit à ralentir, n'ayant vraisemblablement pas entièrement de sa dernière course, avant de tomber à genoux sur le sol, essayant tant bien que mal de reprendre son souffle.

-Karloff !!

Shylvia retourna l'aider, contre l'avis d'Evran et de Ward qui lui crièrent de revenir. Hors de question, pensa-t-elle. Elle n'avait jamais abandonné son partenaire auparavant et ce n'était pas aujourd'hui qu'elle le ferait. Sa lame dégainée, elle se mit entre lui et les monstres qui ne tardèrent pas à arriver.

Le premier tenta de lui sauter au cou, avant qu'elle ne le rabatte d'un coup d'entaille. Le second tenta une attaque par le flanc mais Karloff, ayant repris en partie son souffle, le bloqua avec son bouclier et Shylvia en profita pour décapiter le monstre. Le troisième et le quatrième arrivèrent bien vite mais l'un tomba d'une flèche d'Ekatie'l décoché entre les deux yeux et l'autre se fit fendre le crâne en deux par un Ward venu à la rescousse.

-Allez, debout, Monsieur J'aime-manger-gras ! T'es encore trop jeune pour mourir !

Evran, contre l'attente de ses compagnons Lions Écarlates, vint aider Karloff à se relever et l'obliger à courir, alors que de nouveaux grognements lointains parvenaient à leurs oreilles.

Après de longues minutes de course et plusieurs tunnels empruntés pour semer leurs poursuivants, ils se mirent à errer dans ces boyaux terrestres, espérant apercevoir après chaque pas une possible sortie.

-La pire journée de ma vie..., commenta Evran.

-La pire de ta vie, pour l'instant, ajouta Ward.

Malgré toute la distance parcourue, ils ne trouvèrent pas la moindre trace de Korban, qui les avait abandonnés lâchement. Avait-il trouvé une sortie ?

Finalement, après une marche interminable et sans moyen de mesurer le temps, ils aperçurent une lueur au bout du tunnel. Littéralement.

Une sortie !

En quittant la pénombre de cette grotte, ils pensaient qu'ils devraient d'abord attendre un instant que leurs yeux s'habituent à la lumière éblouissante. Mais ils ne ressentirent qu'une légère gêne, du fait que la nuit régnait, illuminée par les rayons de la pleine lune.

Quelles étaient les chances que ces tunnels les conduisent vers un semblant de civilisation ?

Quelles étaient les chances qu'ils trouvent, comme perdu dans ce monde, une ville ?

Une ville semblant déserte de toute vie depuis fort longtemps mais dont les bâtisses n'avaient que peu soufferts des affres du temps. Leur taille n'avait rien à envier aux villes modernes de cette époque. Leur architecture semblait sortir d'un autre monde, ne trouvant nulles comparaisons avec ce qui existaient dans tout le royaume de Pendragon. Mais s'il fallait faire absolument un parallèle, Shylvia eut une pensée pour les rumeurs qu'elle avait perçu durant ses aventures, à propos de l'architecture de l'Empire du Nibel et de ses fameuses tours qui donnaient l'impression qu'elles grattaient le ciel.

-C'est... ce qu'ils cherchaient ? demanda Ekatie'l sans parvenir à quitter des yeux ces édifices à en donner le vertige.

-Je crois..., lui dit Ward, faisant de même.

Ils y étaient. Leur destination. Lovham.

La ville était là, dressée devant eux et semblant les accueillir à bras ouverts. Une impression étrange que Shylvia ne put s'ôter de l'esprit, comme ces murmures à l'orée de la forêt qui, à présent, devenaient des voix audibles et suppliantes...

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