Sur les montagnes sacrées - II

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Les valkyries virevoltaient entre les flancs de la montagne, avant de pénétrer dans une cavité creusée en son sein. Le soleil pénétrait par une immense ouverture naturelle au-dessus, permettant d’observer le déroulement d’une journée et d’éclairer les lieux d’une lueur presque divine. De nombreuses cavités avaient été creusés le long des parois, servant de sorties pour les cavalières à dos de pégase et leur permettant de se rendre plus rapidement aux quatre coins des montagnes. Elles finirent par survoler une immense cité creusée dans la roche. L’architecture des bâtiments était soignée et raffinée, avec un souci du détail digne d’une civilisation avancée. Les plantes et les arbres poussaient étonnamment bien et le centre de la cité en était foisonnant. Juste derrière celle-ci se trouvait un lac situé au pied d’une grande chute d’eau, sortant d’une de ces fameuses cavités, et apportant ainsi l’eau potable. On pouvait néanmoins apercevoir disséminer çà et là sur les toits des collecteurs d’eau de pluie.

Les valkyries firent se poser les pégases sur un carré de dalles, où d’autres guerrières accouraient pour prendre soin des bêtes mais surtout, pour accueillir celles aux cheveux d’argent avec un certain enthousiasme. Mais ces dernières ne restèrent pas longtemps et partirent de leur côté.

-Quel ennui…, se plaignit celle au crâne à moitié rasé. Pas un seul de ces Majins n’a offert une résistance digne de ce nom.

-Cela ne t’a pas empêché de foncer dans la bataille, sans te soucier de qui tu blesses, lui fit remarquer celle à la chevelure carrée tandis qu’on emmenait les blessés.

-Pourquoi prendrais-je la peine de le faire ? Ils n’étaient qu’une gêne.

-N’as-tu donc aucun respect pour la vie d’autrui, Sœur Mjöll ?

-Du respect pour des hommes et des faibles ? Te mêler au bas-peuple t’a-t-il ramolli et fait perdre tout discernement, Sœur Stella ?

-Comment oses-tu ! s’exclama cette dernière en brandissant sa lance.

-Oh, je vois que la vérité blesse ! Approche, je vais t’apprendre comment les vraies Valkyrja démontrent leur…

-Ça suffit !

La voix de celle à la longue chevelure était si forte que tout le monde se tut.

-Sœur Stella, ne te laisse pas emporter si facilement, poursuivit-elle avec calme. C’est indigne de toi.

-Pardonnez-moi, Dame Alicia…

-Quant à toi, Sœur Mjöll, ton attitude sur le champ de bataille était intolérable. Tu as blessée bon nombre de nos sœurs et…

-Nos sœurs ? coupa Mjöll. Ces femmes sont peut-être de redoutables combattantes mais elles ne sont pas mes sœurs ! Elles me sont inférieures et leur sort m’indiffère. Si j’étais cheffe…

-Heureusement pour le peuple de Vanaheim, tu ne l’es pas. Et moi vivante, je veillerai à ce que tu ne le deviennes jamais.

-Prends bien garde, Alicia, prévint Mjöll en pointant son marteau vers elle. Ne te mets pas en travers de mon chemin. Les conséquences pourraient être… fâcheuses.

-Tu me menaces, Mjöll ?

-Ne prends pas tes grands airs, sous prétextes que tes capacités au combat sont légèrement supérieures à celles de ces pitoyables hommes. Tu te rendras vite compte que bon nombre de nos sœurs – les vraies, ne partagent pas l’avis d’une coexistence avec ces faibles et souhaitent un retour aux anciennes traditions.

-Ce temps est révolu. Le peuple n’acceptera pas un changement pareil.

-Quand la prochaine cheffe sera une Valkyrja descendante d’Urd, le peuple n’aura pas le choix. Et vous nous plus.

Sur ces mots, elle s’éloigna, non sans avoir bousculé les deux au passage, et pris son envol. Stella voulut se lancer à sa poursuite pour lui donner une leçon, mais Alicia lui fit comprendre qu’elle n’en valait pas la peine. De plus, elles devaient faire leur rapport.

Les deux femmes marchaient dans la cité, mêlées aux habitants. Essentiellement des femmes de tout âge. Peu d’hommes. Où qu’elles allaient, les deux Valkyrja étaient saluées respectueusement et recevaient parfois des présents, comme de la nourriture.

-Leur générosité est parfois gênante, avoua à mi-voix Stella alors qu’une vieille dame lui offrait une bouteille d’un vin épicé.

Alicia, elle, appréciait de rester proche du peuple et ce dernier le lui rendait bien. Elle suscitait beaucoup d’admiration de la part des jeunes filles, dont la plupart lui avouèrent qu’elles souhaitaient devenir des valkyries pour pouvoir un jour combattre à ses côtés. Mais si les femmes l’admiraient, les hommes la craignaient. Comme ils craignaient la plupart des membres du clan Valkyrja. Malgré le fait qu’elle les traitait avec respect, ce n’était pas le cas de bon nombre de ses Sœurs, qui prenaient parfois un malin plaisir à les persécuter. Elles affichaient un mépris sans bornes envers ceux qu’elles considéraient comme inférieurs. À leurs yeux, ils ne servaient qu’à des fins reproductives afin de préserver leur lignée. Car le clan Valkyrja n’avait aucun homme en son sein.

Depuis toujours, une Valkyrja devait choisir un homme dans l’unique but de procréer. Si elle donnait naissance à une fille, cette dernière intégrait le clan et était éduquée dans l’art de la guerre et, si on décelait des prédispositions, aux peu d’arcanes magiques connus du clan.

En revanche, si elle donnait naissance à un fils, ce dernier était soit confié à son géniteur soit donné à une femme du peuple. Bien que rien n’interdisait à une Valkyrja d’entretenir une relation normale mère-fils, de mémoire, aucune n’avait souhaité savoir ce que devenait sa progéniture mâle, prétextant le plus souvent qu’ils n’avaient aucune valeur pour le clan.

-Qu’y a-t-il, Sœur Alicia ?

Alicia se tint la tête. Elle ne pensait jamais aux traditions du clan, habituellement.

-Rien, dit-elle. J’étais juste perdue dans mes pensées.

-À quoi pensais-tu ?

-Rien de vraiment intéressant, mentit Alicia.

Se frayant un chemin dans la foule, elles se rendirent au cœur de la cité, où se trouvait une grande tour. Lieu de résidence des Valkyrja et interdit à toute personne étrangère au clan. Ici, que des femmes et filles à la chevelure argentée y vivaient et régnaient sur Vanaheim.

Dans cette tour, on éduquait les plus jeunes. On les soumettait à un entraînement au combat si intense qu’il n’était pas rare d’en voir certaines s’évanouir d’épuisement ou vomir le contenu de leur estomac, provoquant alors les remontrances des aînées, suivis de coups. Les plus âgées, celles qui ne pouvaient plus se rendre sur un champ de bataille, avaient l’habitude de s’isoler au sommet de la tour pour rendre hommage aux fondatrices du clan, celles qu’on surnommait les Trois Sœurs, les toutes premières Valkyrja, et prier la déesse qui leur avait permis de devenir ce qu’elles étaient aujourd’hui. C’était aussi au sommet que la cheffe de clan, et par extension celle qui dirigeait la cité, siégeait.

Les deux Valkyrja s’y dirigèrent. Elles allèrent à la salle du trône, où celle qui dirigeait les attendaient tout en essayant de calmer une assemblée chaotique de ses sœurs, sous trois immenses statues représentant les Trois Sœurs.

-Cette situation ne peut plus durer, s’exclama l’une d’elles. Les Majins sont de plus en plus nombreux dans les montagnes et les humains qui y habitent peinent à contenir les attaques.

-Au lieu de te soucier des humains, tu devrais songer à notre peuple, qu’on envoie combattre pour des inférieurs ! rétorqua une autre. Au lieu de perdre du temps pour eux, nous devrions débusquer ces créatures et les exterminer jusqu’au dernier !

Si plusieurs approuvaient cette proposition, dont Mjöll, un bon nombre était contre et les disputes ne faisaient que s’intensifier. Et de ce que voyait Alicia, certaines étaient prêtes à aller jusqu’aux armes pour faire vouloir leur point de vue.

-ASSEZ !

C’était la cheffe de clan, une femme d’un âge avancé vêtue d’une toge et coiffée d’une tiare, assise sur son trône, qui venait d’élever sa voix puissante pour réclamer le calme.

-Je suis lasse de voir les guerrières de notre clan se disputer comme des enfants, lança-t-elle avec mécontentement. Ne comprenez-vous pas que c’est justement dans ce genre de situation que nous devons être unies ? Nous devons montrer l’exemple au peuple de la cité !

-Justement, lui lança une Valkyrja âgée portant une cape sombre. Comme tu le vois, bon nombre d’entre nous estiment que tes décisions sont mauvaises, face à la crise des Majins, et que tu déshonores notre sang en privilégiant la protection des inférieurs. Passe encore si tu souhaitais protéger les femmes, pour leur proposer par la suite de rejoindre nos forces armées. Mais les hommes ! Il y a des limites à l’idiotie…

-Dois-je te rappeler, Sœur Severa, que c’est en partie grâce aux hommes qui vivent sur nos montagnes que nous pouvons faire perdurer le clan ?

-Ils ne sont en rien indispensables. Nous n’aurons qu’à nous servir parmi ceux qui viennent d’ailleurs. Les hommes ne valent pas mieux que du bétail. À la différence que le bétail est comestible…

-Vous allez trop loin, Sœur Severa, intervint une Valkyrja plus jeune ressemblant beaucoup à Alicia. Vous avez beau les mépriser mais sans les hommes, notre clan va disparaître, tout simplement !

-Comment oses-tu m’adresser la parole, sale petite traîtresse à ton sang ! s’enflamma Severa, soutenue par bon nombre de ses sœurs. Personne ici n’est dupe ! Tout le monde sait que tu sympathises avec les hommes de la cité, en leur mettant dans la tête qu’ils valent quelque chose !

-Ce sont des êtres vivants, tout comme vous et moi, et ils ont…

-Ne me compare pas à ces inférieurs ! Tu vois ce qui arrive, Sigrùn, quand on n’éduque pas ses filles dans le respect des traditions ! Pour peu, je serais prête à penser que, si elle aime tellement la compagnie des hommes, ta petite Hildr n’hésite pas à écarter les cuisses pour…

Avant qu’elle ne finisse sa phrase, Alicia bouscula celles qui se trouvaient en travers de sa route, dégaina son glaive et le mit sous la gorge de la vieille Severa. Aussitôt, un tier des Valkyrja présente dégainèrent leurs armes, pour porter secours à leur aînée, mais un autre tier fit de même, pour protéger Alicia, pendant que le dernier tier restait spectateur, ne voulant pas prendre parti. Elles étaient toutes là, à se regarder en chiens de faïences, attendant que l’une intervienne pour tout ceci se transforme en bain de sang.

-Vas-y, fini ta phrase ! lança Alicia avec rage à l’attention de Severa. Donne-moi une bonne raison de te trancher la gorge.

-Tu n’auras pas le cran, lui dit Severa en la défiant du regard. Tu es peut-être une bonne guerrière, Alicia, mais tu n’as pas ce qu’il faut pour prendre d’importantes décisions…

-Tu es prête à jouer ta vie dessus ?

-Moi, en tout cas, je suis prêt à parier la tienne que tu vas vite le regretter si tu ne t’éloignes pas de ma mère, lança Mjöll en tenant fermement son marteau.

-Tu ne seras pas assez rapide pour m’empêcher de l’égorger comme une truie, lui fit remarquer Alicia avec froideur.

-Mais je le serais assez pour fracasser ton crâne de chienne…

-IL SUFFIT !

La cheffe Sigrùn avait de nouveau haussé le ton et ordonna que tout le monde baisse son arme. Toutes hésitèrent longuement mais obéirent, à l’exception d’Alicia et de Mjöll.

-Alicia, baisse ton arme, lui ordonna de nouveau la cheffe.

-Pas question, Mère. Je ne vais pas laisser cette vieille carne insulter ma sœur sans réagir…

-Alicia, la tuer n’arrangera rien.

-Sur ce point, je suis pas entièrement d’accord…

-ALICIA !

La voix de Sigrùn résonnait dans toute la salle lorsqu’elle hurla le nom de sa fille aînée. Cette dernière, à contrecœur, consentit à abaisser son arme et Mjöll, sur la demande de sa propre mère, fit de même.

-Nous réglerons ce différent un autre moment…, continua Sigrùn.

-Je ne pense pas qu’on puisse régler ça à l’amiable, Mère, fit remarquer Alicia.

-Pour une fois, l’une de tes filles dit quelque chose de sensée, ajouta Severa. Je pense, et je suis sûr de ne pas être la seule, qu’il est temps de choisir une nouvelle cheffe de clan, comme le veut la tradition ! Une qui, contrairement à Sigrùn ou à ses filles, saura remettre les choses dans le droit chemin !

La moitié des Valkyrja présente approuvèrent d’une même voix forte, tandis que l’autre attendait la réaction du chef.

Alicia bouillait de rage.

Elle ne comprit que maintenant que Severa n’avait fait cela que pour avoir un prétexte pour choisir une nouvelle tête qui dirigerait et qu’elle n’avait fait que jouer son jeu, sans le vouloir. De toute façon, au vu des évènements de ces derniers temps, il paraissait clair que de plus en plus de ses sœurs d’armes perdaient confiance en leur cheffe actuelle et que le sujet d’en choisir une nouvelle allait tomber tôt ou tard. Mais que cela arrive maintenant et dans ces circonstances la répugnait.

-Soit, fit Sigrùn. Nous débuterons bientôt les préparatifs pour savoir qui deviendra la nouvelle cheffe de clan…

-Mère ! s’exclamèrent Alicia et Hildr en chœur.

-Néanmoins, nous ferons cela dans les règles quand la situation avec les Majins sera…

-Pourquoi attendre ? Les Valkyrja descendantes de Skuld auraient peur de perdre de suite le pouvoir ? demanda Mjöll avec une arrogance.

Certaines ricanaient en entendant cela, renforçant l’envie d’Alicia de venir leur arracher la langue, surtout celle de Mjöll.

-Je ne fais qu’écouter vos demandes, continua Sigrùn avec calme. Après tout, vous souhaitez, tout comme moi, mettre à un terme à cette invasion sur nos terres le plus vite possible. Ai-je tort ?

-Non, bien sûr. Mais cela n’enlève rien au fait que les descendantes de Skulde ont aussi la couardise dans le sang.

Cette fois, la majorité des Valkyrja présentes furent choqués par les propos de Mjöll, même si certaines, dont sa mère, semblaient approuver.

-Mesure bien tes paroles, lui lança Sigrùn avec fermeté. Jusqu’à nouvel ordre, je suis encore cheffe de clan. Et en tant que tel, indépendamment d’être aussi une descendante de Skulde, je ne tolérerais de tels propos ! Surtout ici, dans la salle du trône, devant les statues des Trois Sœurs ! Me suis-je bien fait comprendre, Mjöll, descendante d’Urd !

-Évidemment, dit-elle avec une animosité à peine dissimulée.

-Bien. Maintenant, mes sœurs, au rapport ! Où en est la situation ?

-Nous avons repoussée des Majins venant par la mer, qui pensaient escalader les falaises avant d’entamer l’ascension de la montagne, rapporta une Valkyrja. Une bien piètre idée qu’ils ont appris à leurs dépens…

-Nous avons débusqué un bataillon Majin, non loin du flanc donnant sur le Royaume d’Yggdra, en dit une autre. Ils ont creusé des tunnels un peu partout, pour faciliter leurs déplacements. Nous avons provoqué l’éboulement de la plupart mais nous ignorons combien il y en a en tout et jusqu’où ils s’étendent.

-Détruisez le plus de tunnels possibles et allez trouver des guerriers dans la montagne pour en explorer quelques-uns, ordonna Sigrùn. Avec de la chance, nous trouverons leur repère et nous les exterminerons. Qu’en est-il des Majins qui ont lancé des attaques sur les habitations ?

-Nous les avons repoussés et ils se sont terrés dans les montagnes via justement plusieurs de ces tunnels, répondit Alicia. Nous avons également identifié ce qui semble être l’un de leur chef. Je pense que si nous l’éliminons, au moins une partie de leurs forces sera en déroute.

-Une raison de plus pour dénicher rapidement leur repère.

-Nous avons établis un camp à l’entrée de l’un de ces tunnels, au cas où ils reviendraient, informa une autre Valkyrja.

-Très bien. Alicia, je veux que tu t’y rendes et que tu découvres où débouche ce tunnel. Si la chance nous sourit, nous débusquerons peut-être la tanière de ces envahisseurs.

-Bien, Mère, lui dit Alicia en s’inclinant légèrement.

-Emmène Hildr avec toi, en plus d’autres sœurs d’armes. Il serait temps que ta petite sœur apprenne à mieux manier son arme que sa langue dans des discussions stériles.

-À tes ordres !

Sur ces mots, Sigrùn mit fin à l’assemblée.

Alors que toutes allèrent se préparer à accomplir leur tâche, la cheffe de clan se retira. Alicia remarqua une certaine fatigue sur son visage, quand elle alla parler avec sa petite sœur.

-Nous partons dans moins d’une heure, lui dit-elle en posant sa main sur son épaule. Prends tes affaires et n’oublie pas ton arme.

-Pardon, ma Sœur, pour tout à l’heure. C’est ma faute si…

-Va te préparer et ne me fais pas attendre.

Alicia s’en alla à son tour, non sans avoir croisé le regard noir de Mjöll, qui discutait avec sa mère.

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