Sur les montagnes sacrées - III

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Alicia volait en direction du fameux camp, accompagnée d’un détachement de valkyries sur leurs pégases mais aussi de Stella, Hildr et, bien qu’elle s’en serait passée, de Mjöll. De menaçants nuages commençaient à s’accumuler, annonce d’une tempête imminente. Il fallait se hâter, car Alicia savait que sa petite sœur n’était pas habituée à voler avec son équipement sur le dos et que le mauvais temps n’arrangerait pas les choses.

Des vents violents se mirent à souffler et un épais rideau de pluie s’abattu. Se déplacer dans les airs devenait dangereux et se poser rapidement devenait une nécessité. Fort heureusement, elles arrivèrent au dit camp quelques minutes plus tard.

Tandis que les valkyries se posaient et emmenaient leurs bêtes s’abriter, Alicia et les autres Valkyrja se rendirent directement à l’entrée du tunnel. Selon les valkyries en poste, ce tunnel n’était pas encore là, il y a quelques jours, et il était impossible que les Majins aient pu creuser cela, même avec des outils, en si peu de temps.

-On devrait y aller et débusquer ces ordures, suggéra Mjöll.

-Pas ce soir, fit Alicia. Nous attendons d’autres sœurs qui doivent nous rejoindre, après avoir inspecté un autre tunnel. De plus, nous ignorons ce qui nous attend à l’intérieur et au cas où nous devrions nous battre, nous aurons besoin de toutes nos forces.

-Dis plutôt que tu as peur de descendre au cœur de la montagne.

-Fais attention à ne pas trop jouer avec le feu, Mjöll. À force, on s’y brûle…

-Tu crois que tes menaces m’impressionnent ? Même un homme serait plus effrayant que toi…

Mjöll s’en alla, en bousculant Alicia au passage, pour se reposer. L’exploration du tunnel allait donc attendre demain, mais Alicia ordonna que l’on surveille l’entrée. Au cas où.

Le camp était calme, ce soir-là. Seule la pluie tombant du ciel et le crépitement des feux rompaient le silence. Les valkyries se réchauffaient comme elles le pouvaient, toujours sur le qui-vive en cas d’attaque mais se relayant pour se reposer un peu. Les Valkyrjas, elles, s’étaient mises un peu plus à l’écart. Pendant qu’Alicia, Stella et Hildr étaient autour d’un feu, Mjöll avait préférée dormir après son repas, sans prendre la peine de connaître à quel moment était son tour de garde.

Hildr fixait les flammes qui dansaient tout en diffusant leur douce chaleur, sa tête dodelinant à l’occasion.

-Ne t’endors pas, lui dit subitement Stella alors que cette dernière ravivait le feu.

-Je ne dors pas, assura Hildr d’une manière peu convaincante.

Alicia, pour sa part, avait les yeux fermés. En la regardant, Hildr se rendit compte qu’à ce moment-là, sa sœur aînée était plus détendue, plus calme et étrangement, plus belle que jamais, malgré qu’elle ait conservé son armure sur elle, tout en laissant son glaive et son bouclier étaient à portée de main.

-À quoi penses-tu ? demanda Stella.

-Rien. Je me disais juste que ma sœur ne laissait rien au hasard, même quand elle se repose…

-C’est une redoutable guerrière expérimentée, en effet. Si je pouvais choisir ma mort, je souhaiterais que ce soit en combattant à ses côtés. Et si je devais choisir une cheffe à qui j’obéirais sans condition, ce serait elle.

-En comparaison, je suis une véritable honte…

-Tu n’as juste pas encore eu l’occasion de briller sur le champ de bataille. Ton heure viendra tôt ou tard.

-Mais en attendant, je couvre ma sœur et ma propre mère de honte. Je dois devenir plus forte, me montrer digne d’elles !

-Ne te précipite pas, petite. L’impatience n’amène à rien de bon. Regarde Mjöll.

-Mais…

-Crois-moi, aucunes des grandes Valkyrja ne sont devenues ce qu’elles sont sans s’être armés de la plus puissante des armes : la patience.

-De belles paroles. Mais je doute qu’elles me seront d’une grande aide.

-Ne sois pas insolente, Hildr, fit Alicia, réveillée, faisant sursauter sa petite sœur. Stella est ton aînée et ses paroles sont emplies de sagesse.

-Oh, vous ne disiez pas ça, quand nous étions plus jeunes, Dame Alicia, fit remarquer Stella en ricanant légèrement.

-Sauf que quand tu étais plus jeune, tu te comportais comme une sale gosse.

-C’est vrai. Heureusement que je suis devenue adulte.

-À ce propos, c’est pour bientôt, non ?

-Ah, la fécondation. Oui, j’ai atteint l’âge où on ne peut plus reculer pour procréer. Bien que vous et moi n’avons pas envie d’abandonner le champ de bataille pour porter un enfant dans notre ventre.

-Tout en sachant que c’est inévitable, si le clan veut se perpétuer dans le temps.

-Mais est-ce vraiment si terrible ? demanda Hildr.

Ces paroles prononcées eurent l’effet d’un coup au visage pour Stella, presque scandalisée. Elle s’empressa alors de dire :

-Qu’est-ce que tu racontes !? Tu imagines, une Valkyrja, un être dont la guerre coule dans son sang, se voir obligée d’abandonner le champ de bataille, tout ça pour préserver l’être qui grandit en elle ?

-Mais cet être en question serait l’avenir du clan.

-Cela ne change rien ! Nous, les Valkyrja, vivons par et pour le combat. Si nous sommes plus capables de lever nos armes pour abattre nos ennemis, que ce soit pour des raisons plus nobles. Comme une blessure grave ou une mort glorieuse. Pas pour enfanter !

-Pourtant, quand je vois les humains, notamment les femmes, ces dernières sont heureuses d’enfanter…

-Parce qu’elles ne vivent pas dans le même monde que le nôtre. Chaque femme de notre cité peut choisir, si elle le souhaite, de devenir une de nos guerrières, une valkyrie. Nous, nous n’avons pas le choix. La raison de notre existence est le combat, la guerre. Sans elle, nous n’avons plus de but.

-Le conflit est notre seul but parce que nous n’en cherchons pas d’autres. Pourtant, je suis sûr que nous pourrions faire bien des choses. J’ai parlé avec des hommes de la cité, qui vivaient autrefois à l’extérieur, et…

-Silence, inconsciente ! lui ordonna subitement Stella tout en regardant dans la direction de la tente de Mjöll. Tu veux qu’on t’entende ? Tu veux rajouter du discrédit aux descendantes de Skulde, ma parole !

-Stella, tu partages mes opinions sur le traitement des hommes, à Vanaheim !

-Je les partage, oui. Mais je pense aussi au clan et à ses valeurs. Tes intentions sont louables, selon moi, mais te mettre à dos nos sœurs en chamboulant l’ordre établi n’amènera rien de bon !

-Rien que le fait d’avoir ces idées est un chamboulement, fit remarquer Hildr, plus assurée. Jusqu’à présent, il n’est venu à aucune Valkyrja de vouloir que les choses changent vraiment. Personne n’a remis en question notre façon de vivre. Jusqu’à ce que des Sœurs comme moi ou toi fassions bouger les choses.

-Nous ne ferons rien bouger car si nous le faisons, nous n’en seront que plus divisées. Crois-moi, les Majins ne sont pas les premiers et ne seront sans doute pas les derniers à nous envahir. Et c’est uni que nous sommes plus fortes !

-Alors au lieu d’attendre qu’un éventuel ennemi vienne, allons à l’extérieur pour connaître le monde et ce qui le compose, pour nous tenir prête.

Lorsqu’elle prononça ces mots, l’expression sur le visage de Stella et d’Alicia donnait l’impression que la jeune Hildr était devenue complètement folle.

-Une Valkyrja ne quitte pas les montagnes ! s’écria Stella. Rien que le fait de le suggérer est… est… je n’ai pas les mots pour exprimer ça !

-Hildr, fit Alicia. Tu es curieuse et, personnellement, je trouve cela admirable.

-Dame Alicia, ne l’encouragez pas !

-Mais Hildr, poursuivit-elle sans écouter Stella, tu dois aussi comprendre que la curiosité peut apporter beaucoup de mal. Qui plus est, en tant que Valkyrja, il est de notre devoir de protéger Vanaheim et nos montagnes. Nous devons protéger ce que nos ancêtres ont bâties.

-Nos ancêtres n’auraient jamais voulues que nous restions cloîtrées dans nos montagnes, coupées du reste du monde, répliqua Hildr en haussant légèrement la voix. Vous n’avez jamais eu envie de voir ce qu’il y avait au-delà de ces montagnes embrumées ?

Alicia était sur le point de lui faire un sermon sur le respect des ancêtres et des traditions mais pas un mot à ce sujet ne sortit de sa bouche. À la place, des souvenirs d’elle contemplant, du sommet des montagnes, le soleil se couchant à l’horizon et irradiant de ses derniers rayons des terres dont elle ignorait le nom.

-Dame Alicia, dites quelque chose ! supplia Stella.

-Et que veux-tu que je dise ? lui demanda sérieusement Alicia.

-Que de telles paroles vont lui attirer des ennuis ! Et qu’une Valkyrja digne de nom se doit de défendre et de vivre le reste sa vie sur les montagnes sacrées de Mjöllnir !

-Je lui ai déjà dit. Je n’ai aucune raison de répéter.

-Mais enfin !

-Toutefois, Hildr, je rejoins Stella sur le fait que prononcer si ouvertement de telles paroles risque de t’attirer des ennuis.

-Mais, ma sœur ! Toi et moi sommes des descendantes de Skulde Valkyrja, « Celle qui se tournait vers le futur ». En tant que telles, n’est-ce pas justement notre rôle de penser à l’avenir du clan ?

-En quoi s’intéresser au monde extérieur va aider le clan ? demanda Stella. Aujourd’hui, le clan est fort, tel qu’il est. Nous parvenons à vivre par nos propres moyens. Nous défendons efficacement nos terres et honnêtement, si les Majins n’étaient pas si nombreux, nous n’utiliserions pas les humains qui vivent dans les montagnes pour les combattre. Je comprends la décision de Sigrùn sur ce propos mais admettez que les membres les plus orthodoxes du clan n’apprécient pas du tout.

-Tu veux plutôt dire toutes les descendantes d’Urd, s’énerva Hildr. Toutes des idiotes qui s’accrochent au passé sans en tirer des leçons. Le reste du clan ne fait que suivre, par peur de l’inconnu.

-Hildr, ça suffit, lui dit fermement Alicia.

-Mais, ma sœur, je…

-J’ai dit, ça suffit !

Peu après, elle conseilla aux autres de dormir un peu. Alicia était lasse de cette discussion, mais elle voulait aussi empêcher Hildr de se mettre plus de monde à dos.

Mais ce n’était pas pour autant que cette discussion ne lui trottait pas dans la tête. Surtout sur le fait d’assurer la descendance.

Elle aussi, comme bon nombre de Valkyrja, redoutait le temps de la fécondation, où elle allait devoir poser les armes afin de porter une progéniture féminine qui assurerait l’avenir du clan. Elle ne l’avouerait à personne mais plus que le fait de craindre de ne plus se rendre sur le champ de bataille, c’était la peur d’engendrait un autre être. Si c’était une fille, elle se disait qu’il n’y aurait pas de soucis, qu’elle pourrait veiller, autant de loin que de près, à son éducation. Mais si c’était un garçon ?

Les souvenirs d’une autre fille du clan lui revinrent en mémoire. Celle-ci avait accouchée d’un garçon et comme la tradition l’exigeait, il lui avait été enlevé pour qu’il soit élevé par quelqu’un d’autre. Mais étrangement, cette Valkyrja s’était effondrée et avait fondue en larme, en réclamant l’enfant. Chose qui lui fut bien entendue refusée, avant qu’elle ne soit isolée des autres, le temps de se calmer. Cependant, on ne la revit jamais, après cela…

« Pourquoi je pense à ça ? » se disait-elle. Peut-être était-ce dû aux nombreux changements à venir. Peut-être qu’elle souhaitait plutôt combattre qu’enfanter. Peut-être qu’elle craignait ne pas savoir quoi faire, quand elle porterait son enfant. Peut-être… avait-elle peur de porter un enfant.

Dès que cette éventualité lui traversa sa l’esprit, elle la trouva aussitôt ridicule et décida de se rendormir.

Elle rouvrit les yeux après ce qui lui avait paru qu’un court instant.

Elle n’avait pas l’impression d’avoir dormi mais ne ressentait aucune fatigue. Ce fut quand elle observa avec plus d’attention à ce qui se passait autour qu’elle se rendit compte qu’elle n’était plus dans la grotte, avec les autres. Elle était seule, sur une montagne. Ses pieds enfoncés dans la neige, elle pouvait voir, en contemplant l’horizon, des nuages sombres s’amasser alors que la foudre s’abattait et qu’un vent glacé la gelait jusqu’aux os. Alicia chercha son glaive et son bouclier, mais il n’y avait rien à part de la neige et des rochers. Et un bruit inquiétant.

Quelque chose de gros était près d’Alicia. Des pas lourds résonnaient. Elle pouvait sentir le souffle nauséabond de cette chose la réchauffer comme s’il était à côté d’elle, son grondement lui donner des sueurs froides. Alicia avait peur. Elle qui pouvait faire front face à mille hommes sans sourciller, elle tremblait face à une chose qu’elle ne pouvait voir et qui rôdait près d’elle.

-Faible…

Elle se retourna brusquement en entendant cette voix puissante, provenant de nulle part et partout à la fois. Mais rien. Pas âme qui vive, hormis elle.

-Faible ! répéta la voix en haussant le ton. Tu es faible !

Un nouveau pas sur le sol et ce dernier trembla. Alicia se retourna une nouvelle fois et vit quelque chose qu’elle n’avait jamais vu auparavant. Une sorte de reptile gigantesque lui faisait face. Il possédait des ailes intimidantes. Ses pattes étaient aussi grandes qu’un des énormes rochers présents aux alentours. Sa gueule était béante, capable de se saisir d’au moins deux vaches en même temps… Tout dans ce monstre le rendait imposant ; menaçant et il était là, face à la Valkyrja désarmée.

-Faible ! répéta le monstre.

-Je… je ne suis pas faible ! affirma Alicia en tentant de ramener son courage. Je suis forte ! Aucun ennemi ne peut…

-Tu es faible ! coupa le monstre. Tu comptes sur ta force et celle de tes Sœurs pour obtenir la victoire, alors que tu ne sais t’en servir qu’au combat ! Tu réprimandes ta sœur sur sa façon de penser, alors que nous savons que, au plus profond de toi, tu penses comme elle !

-C’est faux ! Je ne…

-Tu ne peux rien me cacher, Alicia ! hurla-t-il de colère en la repoussant violemment contre une paroi rocheuse. Je sais tout de toi ! J’étais présent quand tes poumons se sont remplis d’air pour la première fois ! J’étais à tes côtés quand tu as appris à tenir seule sur tes pieds ! Et je suis là, chaque fois qu’une peur ou qu’un doute naît dans ton cœur mais que tu refoules tout cela, pour sauver les apparences ! Tu es faible !

Alicia tremblait, paralysée par la peur. Pas de l’apparence de cette chose mais du fait que celle-ci en sache autant sur elle. Puis la peur laissa place à une détresse et tout sembla jaillir brusquement. Alicia voulut crier mais aucun son ne sortait. Elle voulut hurler mais restait désespérément aphone. Elle essaya encore et encore, en tapant du poing dans la neige, mais rien n’y fait. Face à ce spectacle désolant, la créature ouvrit grand sa gueule et s’apprêtait à dévorer la Valkyrja…

Elle ouvrit brusquement les yeux, le souffle court. Elle se mit à regarder autour d’elle. Elle était de nouveau dans la grotte, ses armes étaient près d’elle, ainsi que sa sœur et Stella. Ce n’était qu’un rêve… Mais les sueurs froides, la sensation de froid, la peur, la détresse… Elles n’avaient pas disparu.

Elle sentit alors quelque chose couler le long de sa joue. Une larme. Elle secoua sa tête, pensant qu’elle devait se ressaisir et penser à demain. Après s’être un peu calmé, elle se rendormi, en serrant son glaive contre elle.

Tu es faible, Alicia… Ton cœur est faible… Mais entendre ma voix t’a permis d’entamer ta marche vers ta vraie force.

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