Sur les montagnes sacrées - V

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Elle ouvrit lentement les yeux…

Encore ce sommet de montagne…

Toujours ce vent glacé qui la pénétrait jusqu’aux os…

Le monstre était là, couché sur la neige, la dévisageant. Elle ne ressentait aucune douleur. Pourtant, ce n’était pas les blessures qui manquaient. Elle examina son corps. Rien. Pas d’entailles ni d’écorchures, pas de trous causés par des flèches… Même son bras cassé semblait intact. Mais après tout, elle rêvait. Ou bien… était-elle morte ?

-Tu n’es pas morte, Alicia, lui assura le monstre de sa voix profonde. Du moins, pas encore…

-Qu’est-ce qui m’est arrivé ?

-Tu es là où ta faiblesse t’as conduit…

-Vais-je mourir ?

-Qui sait ? Il n’appartient qu’à toi de décider de ton sort.

-Suis-je vraiment si faible ?

-Oui. Mais l’accepter est le premier pas vers la vraie force.

-Comment l’être ?

-Tu dois changer.

-Je n’y arriverai pas…

-Tu as déjà commencé. Sinon, nous ne serions pas là, en train de discuter, en ce moment même.

-Qui es-tu ?

Le monstre se redressa et de toute sa hauteur, il déclara :

-Je suis celui qui est né avec toi et qui mourra avec toi. Je suis toi et tu es moi.

Alicia ne comprenait pas ce qu’il essayait de lui dire. Cela semblait important et hors de sa compréhension à la fois.

-Qui es-tu ? répéta-t-elle, confuse.

-Mon nom ? Mon nom est…

Une horrible sensation de froid et d’humidité la réveilla violemment. L’eau sur sa peau était aussi froide que la glace.

Suspendue par les mains contre un mur tout aussi froid et couverte de bleus, Alicia était humiliée. Les Majins l’avaient faite prisonnière, lui avaient pris ses armes, l’avaient dépouillé de son armure et de ses vêtements, pour finalement la suspendre comme un morceau de viande dans ce qui semblait être de vieilles geôles. Sans doute celles du palais où elle et sa troupe avaient trouvé refuge.

Cela faisait des jours qu’on la retenait ici, dans l’espoir qu’elle révèle où se terraient les Valkyrja, ainsi que les positions de leurs forces militaires. Évidemment, Alicia ne lâcha rien, subissant sans broncher les bastonnades de ses geôliers. Mais une fois ces derniers partis, elle ne pouvait s’empêcher de gémir tant la douleur était forte. Surtout son bras qui, s’il n’était pas soigné convenablement et rapidement, risquait de voir ses os mal se ressouder. Ils la nourrissaient peu mais la faisait boire énormément, au point d’attendre qu’elle se fasse dessus avant d’arrêter, tout en riant comme des dégénérés. Entre deux bastonnades, pour la faire craquer, ils lui disaient qu’elle ferait mieux de parler si elle ne voulait pas que Tachunka vienne personnellement s’occuper d’elle. Rien à faire. Elle refusait toujours de céder et leur cracha souvent son sang à la figure comme signe de défi. Mais elle sentait qu’il n’y allait pas sérieusement avec elle, contrairement avec d’autres.

Parfois, quand ils s’occupaient des autres prisonniers, elle entendait tout : les cris, les pleurs, les supplications… Plus d’une fois, elle entendit les Majins violer un prisonnier, qu’il soit homme ou femme. Les râles de ces créatures mêlés aux cris de leurs victimes n’étaient pas filtrés par les murs pourtant épais et tout entendre lui était insupportable.

Un soir, des bruits venant d’à côté la réveillèrent. Des Majins ivres déclarèrent qu’ils allaient s’amuser avec quelqu’un ce soir. Apparemment, ils avaient ramené une nouvelle prisonnière pour lui passer dessus. Mais quelque chose différait de d’habitude. Aux bruits, la prisonnière ne comptait pas se laisser faire. On les entendait échanger des coups, les insultes fusaient de chaque côté, mais ils finirent par la maîtriser. Furieux, l’un d’eux déclara qu’il allait lui faire regretter pendant qu’elle leur ordonnait de la lâcher.

Alicia eut un choc quand elle reconnut cette voix : c’était celle de Stella !

Elle lui cria qu’elle était là, à côté, mais avant que Stella ne puisse répondre, elle poussa un grand cri de douleur, pendant que les autres exprimaient leur satisfaction. Alicia se débattit en entendant les cris de sa sœur d’arme, à la merci de ces immondices. Elle essaya de trouver la force de briser ces maudites chaînes, alors que les cris perçants de Stella se gravaient dans sa tête. Elle hurla à son tour qu’elle allait les tuer, les tuer jusqu’au dernier, provoquant de son côté un véritable tintamarre avec ses chaînes qui claquait contre le mur. Les geôliers furent obligés de venir la calmer en la battant presque à mort pour qu’elle se taise.

Alors qu’elle perdait connaissance, les cris de Stella continuèrent de résonner entre les murs. Et dans sa tête…

Elle ne savait plus depuis quand elle était là. Elle n’était plus suspendue mais dormait maintenant à même le sol poussiéreux. Elle avait réussi à se fabriquer une attelle de fortune avec un vieux morceau de tissu qui traînait dans un coin, ainsi qu’en utilisant les os d’un nain mort il y a fort longtemps, qui n’en aurait plus l’utilité. Elle avait maigri mais veillait à perdre le moins de masse musculaire possible. À l’abri des regards de ses geôliers, elle entretenait sa forme physique tout en cherchant un moyen de sortir de sa cellule. Elle parlait avec Stella, qui lui disait qu’elle avait été séparée de Hildr très tôt et qu’elle ignorait où elle se trouvait, actuellement. Alicia se jura de retrouver sa sœur une fois sortie.

Les jours passaient et le bras d’Alicia était en bonne voie de guérison, grâce à la capacité de guérison naturelle élevée des Valkyrja. Presque tous les soirs, quand ils venaient dans la cellule de Stella, elle faisait un boucan infernal pour les énerver et les faire venir pour la faire taire de force. Cela préservait Stella d’une épreuve atroce et surtout, cela lui permettait de conserver une certaine forme en se battant, bien qu’elle s’épuisait plus vite à cause de la faim.

Les soirées étaient dures. Sans rien sur le dos, les nuits étaient froides et le sol en pierre gelé n’arrangeait rien. Plus d’une fois, elle rêva de la créature, qui lui disait de tenir bon.

Évidemment, le fait qu’elle ne s’affaiblissait pas autant qu’ils le souhaitaient n’était pas passé inaperçu. Les geôliers responsables avaient été sévèrement punis pour cela et ils se vengeaient sur les prisonniers. De plus, ils décidèrent de ne plus nourrir du tout Alicia ni de lui donner à boire, espérant qu’elle ne serait plus qu’une loque à la fin et que son état satisferait Tachunka, qui la voulait pour dans sept jours. Mais Alicia ne craquerait pas. Elle se jura de tenir bon.

Les quatre jours qui suivirent ne changèrent pas la routine. Alicia faisait de son mieux pour faire fi de la faim, mais elle aurait presque tout donné pour vider une jarre pleine d’eau pour étancher sa soif.

Un soir, alors qu’elle dormait pour oublier sa faim, elle fut réveillée par d’étranges bruits. Elle pensa d’abord que ses geôliers étaient venus « s’amuser » avec les prisonniers mais au lieu des voix habituelles, elle percevait des murmures. Elle entendit des cellules s’ouvrirent puis des bruits de pas venant vers la sienne. Une silhouette encapuchonnée se tenait devant les barreaux et, d’une voix familière, s’écria :

-Ma sœur !

Alicia, surprise, la reconnut.

-Hildr !

Là, elle entendit une autre voix, masculine cette fois-ci, lui ordonner de ne pas parler si fort ou les gardes allaient rappliquer. Une autre silhouette s’approcha et crocheta la serrure pour ouvrir la porte. Hildr, relevant sa capuche, sauta dans les bras de son aînée, en remerciant la Déesse qu’elle soit en vie. Son complice releva à son tour sa capuche. À première vue, c’était bien un homme, bien que les traits de son visage étaient plutôt efféminés. Mais ce qui faisait sa plus grande particularité, c’était ses longues oreilles pointues. Comme les Majins !

-Qu’est-ce que… ! s’étonna Alicia en se plaça entre lui et sa sœur.

-Non, non ! lui dit Hildr en la calmant. Faeris n’est pas un Majin. Ce n’en n’est pas un.

-Si possible, j’aimerais ne pas être comparé à eux, souffla l’homme en regardant dans le couloir. On n’a plus beaucoup de temps. Nous parlerons plus tard. Dépêchons !

Hildr donna à sa sœur son manteau à capuche pour se couvrir et la fit sortir. Dans ce couloir mal éclairé, il ne restait qu’une poignée de prisonniers en état de marcher.

Lorsqu’on fit sortir Stella de sa cellule, elle était méconnaissable. Autrefois très belle, son visage était bouffi par les récents coups qu’elle avait reçus, et son corps était couvert de bleus et coupures. Mais pire fut sans nul doute la perte de son œil. Stella avait fait de son mieux pour bander cela avec un morceau de tissu déchiré, mais cela ne restait pas beau à voir…

Lorsqu’elles se virent, Stella et Alicia se serrèrent dans leurs bras, Stella laissant échapper un sanglot. Mais le temps des retrouvailles dû être écourté. L’homme aux oreilles pointues amena les prisonniers à l’entrée d’un tunnel au fond des geôles, creusé exprès pour l’évasion. Là, ses associés l’attendaient et aidèrent les prisonniers à descendre. Tous portaient un manteau à capuche sombre, comme celui que Hildr avait donnait à Alicia. Dès qu’ils furent dans les tunnels, la consigne était de courir jusqu’à la sortie, sans s’arrêter ni se retourner. Alicia obéit, tout en aidant sa sœur à porter Stella, qui peinait à faire un pas devant l’autre. Tous disparurent ainsi du palais et de la cité en ruine naine à la faveur de l’obscurité, sans qu’aucune sentinelle ne le remarque.

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