Sur les montagnes sacrées - VI
Quelques jours plus tard.
Dans une grotte, les prisonniers se remettaient de l’épreuve qu’ils avaient subis. Pour la plupart, c’était des survivants de villages rasés par les Majins, qu’ils gardaient surtout comme trophée ou objets sexuels. Quand ils se lassaient d’eux, ils les tuaient.
Stella se remettait doucement de ses blessures, mais ses cicatrices allaient sans doute rester. Elle s’en amusait en disant que c’était la preuve qu’elle était résistante. Alicia, pour sa part, reprenait des forces en mangeant et en buvant comme six, ce qui faisait râler ceux qui les avaient sauvés car leurs provisions baissaient à vue d’œil.
Ce groupe était étrange. Des humains, hommes et femmes, mais il y avait également d’étranges créatures qu’Alicia n’avait jamais vu ou entendu parler. Le dénommé Faeris, par exemple, s’était présenté comme étant un elfe, leur pisteur était ce qu’il appelait un homme-bête, ayant l’apparence d’un loup, l’un de leurs éclaireurs était un homme-bête avec l’apparence renard… D’ailleurs, ils se disaient « homme-bête » mais le loup avait vraiment l’apparence de l’animal se tenant sur deux pattes, tandis que le renard avait des traits humains, en-dehors des oreilles et de la queue. Apparemment, le renard avait une ascendance humaine, contrairement au loup. Tous portaient le même manteau sombre à capuche, pour montre leur appartenance au groupe. Comme Hildr.
Cette dernière avait raconté à Alicia ce qui s’était passé, après sa capture.
Elle avait été séparée des autres, sur ordre de Tachunka, qui comptait l’offrir à l’un de ses lieutenants en poste dans un endroit différent. Sur le chemin, les Majins tombèrent dans une embuscade de ces personnes, les Manteaux Noirs, qui la libérèrent. Après s’être entretenue avec leur chef, elle le convainquit de l’aider à libérer sa sœur, en échange de quoi elle devrait l’aider à trouver et à tuer Tachunka. Il avait fallu du temps pour découvrir où Alicia était retenue captive et encore plus pour creuser le tunnel sans se faire remarquer, mais le jeu en valait la chandelle.
Hildr lui raconta également de ce qui s’était passé chez eux, à Vanaheim, par l’intermédiaire de rumeurs et d’espionnage de conversations en s’infiltrant dans des camps valkyries. Mjöll aurait ordonné qu’on bouche le tunnel duquel elles étaient entrées, prétextant qu’une horde de Majins était à ses trousses. De retour à Vanaheim, elle aurait raconté être tombé dans une embuscade, que toutes les autres avaient péris et qu’elle n’avait pu s’échapper que de justesse. En apprenant la mort de ses filles, Sigrùn se serait effondrée et Severa aurait pris la tête du clan, en s’appuyant qu’une Valkyrja qui s’effondrait à la simple annonce de la mort de ses filles n’était plus apte à diriger. Sous ses ordres, les Valkyrja repoussaient plus efficacement les Majins et elle profita de sa nouvelle position pour ordonner que les mâles vivants à Vanaheim soient bannis. Elle autorisait leur exécution s’ils opposaient le moindre signe de résistance. De ce que Hildr savait, peu de Valkyrja s’opposèrent à cette décision mais bon nombre de femme citoyenne ne voulait pas voir leur famille être séparé. Elles furent jugées comme « traîtresses » et pendues. Elle ordonna également de cesser toute forme d’aide envers les humains vivants dans les montagnes, condamnant la plupart à une mort certaine en cas d’attaque. Severa à la tête du clan et Mjöll à la tête des forces armées, les Majins reculaient petit à petit, ne laissant à la fin que Tachunka et ses hommes les plus fidèles. Leur victoire n’était plus qu’une question de temps.
Cela faisait beaucoup pour Alicia. Plusieurs sentiments se bousculaient en elle, mais le plus fort était sa rage contre Mjöll.
-Ma sœur, fit Hildr. Que vas-tu faire ?
-C’est simple. Dès que je peux, je vais aller à Vanaheim et tuer Mjöll.
-Mais ma sœur ! Elle a à présent le soutien de toutes les Valkyrja ! Elle…
-Pas toute, intervint Stella qui avait tout entendu. En étant optimiste, certaines combattrons à nos côtés. En tout cas, moi aussi, je veux lui faire payer ! Sans elle, nous n’aurions pas subis tout ça ! Alors, nous irons la trouver dès que nous serons rétablies et…
-Non, coupa Alicia.
Stella s’énerva.
-NON ?! Je croyais que… !
-Nous n’irons pas quand nous serons rétablies. Le clan est encore en guerre et leur vigilance est au plus haut point. Si nous y allons à ce moment, nous ne gagnerons rien, à part nous faire massacrer…
-… Je n’avais pas vu les choses comme ça. Que comptes-tu faire alors ?
-C’est simple : nous mettons fin à la guerre. Nous tuons Tachunka, les Valkyrja balayent le reste des forces majins et quand leur vigilance sera au plus bas, nous débusquerons Mjöll et lui feront regretter d’être née.
-Attends, ma sœur ! Il ne faut pas ! Si tu fais ça, tu…
-Je sais, Hildr. Si je fais ça, cela voudra dire que je ne pourrais plus rester dans les montagnes.
Un silence s’installa entre les trois Valkyrja. En vérité, Alicia pensait à comment faire payer Mjöll depuis longtemps. Elle savait que sans preuves, elle ne pourrait pas démontrer la culpabilité de cette traîtresse aux autres, surtout après une disparition aussi longue alors qu’on la croyait morte, ce qui éveillerait des soupçons…
Une agitation se créa au camp des Manteaux Noirs, ses membres se rassemblant.
-Le chef doit être revenu, dit Hildr. Venez, je vais vous présenter. Si vous tenez vraiment à tuer Tachunka, son aide ne sera pas de trop.
-Tu acceptes le plan de ta sœur, sans broncher ? lui demanda Stella, surprise.
-Même si je ne l’accepte pas, elle l’exécutera quand même. Autant faire en sorte que vous vous en sortiez vivante.
En guise de remerciement, Alicia frotta affectueusement la tête de sa petite sœur.
Les anciens prisonniers s’étaient aussi attroupés pour voir à quoi ressemblait le chef des Manteaux noir et plusieurs eurent une exclamation de terreur. Quand Alicia le vit, elle comprit pourquoi.
Il n’était pas bien grand, avait le visage d’un pitre insouciant, semblait maigrichon et portait d’étranges vêtements : une sorte de chemise et un large pantalon plissé à plusieurs endroits. À la ceinture, une espèce de sabre courbe. Mais surtout, sa principale particularité était ses trois cornes frontales, dont celle au centre était plus proéminente.
-Un Majin ! s’écria Stella.
Elle et Alicia étaient sur le point de se ruer sur lui, avant que Hildr ne s’interpose.
-Calmez-vous, dit-elle un peu paniquée. Il n’est pas avec les autres ! Il est différent !
-En quoi il est différent des autres ?! C’est un Majin ! Qui nous dit que ce n’est pas une ruse pour nous soutirer des informations !
Les anciens prisonniers prirent partis pour Stella, voyant mal comment un Majin pouvait vraiment les avoir aidés.
-Ah là là ! fit le Majin en gardant le sourire. Je ne suis pas vraiment populaire, n’est-ce pas ?
-Écoutez ! intervint Hildr. C’est vrai qu’à première vue, il ne semble pas digne de confiance. Mais je vous assure que ses intentions envers nous ne sont pas belliqueuses. Tout ce qu’il cherche, c’est la mort de Tachunka !
-Et tu le crois sur parole ! s’énerva Stella en la bousculant. Bon sang, qu’est-ce qui te prend ? Tu oublies que les siens essayent de nous tuer !
-Les autres Majins, oui ! Mais celui-ci est différent !
-Ah bon ? fit le Majin. Ah, ma petite Hildr-chan. Tu commences enfin à tomber sous mon charme ?
-Chef, soyez un peu sérieux ! J’essaie de vous montrer sous un meilleur jour et vous ne m’aidez pas !
-Tu l’appelles « chef », en plus ! s’écria Stella. Tu te rallies à ce… cet animal !
-Sœur Stella, calme-toi ! Oui, j’ai rejoint sa cause. Parce que je crois en elle mais c’était surtout pour vous sauver.
-Pas question d’accepter son aide ! Je ne ferais jamais confiance à un Majin !
-Je te demande de faire une exception pour lui, Sœur Stella !
Pendant que Hildr et Stella se disputaient pour savoir si oui ou non le Majin était digne de confiance, Alicia le fixait.
Il paraissait désinvolte et peu sérieux mais en observant ceux sous ses ordres, elle sentait qu’ils éprouvaient un profond respect pour lui. Encore plus que Hildr.
-Sœur Stella, ça suffit, finit par dire Alicia.
-Dame Alicia ! Vous n’allez pas… !
-Nous avons le même objectif. Pas besoin d’avoir confiance en lui. De toute façon, s’il se retourne contre nous, toi et moi serons bien suffisantes pour le neutraliser. Je me trompe ?
Stella aurait aimé répliquer mais la logique d’Alicia avait du sens pour elle et accepta. Bien que les autres prisonniers ne partageassent pas cette opinion, ils ne voulaient vraisemblablement pas contredire une Valkyrja.
-Merveilleux !! s’exclama le Majin, ravi. Je vois que nous avons trouvé un terrain d’entente ! N’est-ce pas magnifique, les gars ?
Les Manteaux Noirs approuvèrent. Le Majin s’avança vers Alicia et lui tendit la main.
-Je m’appelle Kurokage Ryûken. C’est moi qui dirige les Manteaux Noirs. Ravi de travailler avec vous, Valkyrja.
Alicia hésita un moment puis lui serra la main.
-Alicia Valkyrja. Ravie aussi, j’imagine.
-Bien, ce n’est pas tout ça mais on a beaucoup de boulot. Mais avant toute chose, je mangerais bien un morceau et faire une partie de cartes. Alistair ! Alistair ! Où est encore partit ce mage de malheur ? C’est lui qui a les cartes…
Les préparatifs pour tuer Tachunka débutèrent.
Les anciens prisonniers qui n’étaient pas aptes au combat s’en allèrent, sous escorte d’une partie des Manteaux Noirs jusqu’à un endroit sûr, dans le but de refaire leur vie, non sans souhaiter bonne chance aux autres.
Compte tenu de l’effectif restreint, affronter Tachunka et les siens de front était suicidaire. En effet, la chance ne serait pas de trop. D’un commun accord, il fut décidé que tendre une embuscade à Tachunka. Alicia se porta volontaire pour l’abattre pendant que les autres feraient diversion, l’ayant déjà combattu auparavant. Personne n’y trouva à redire.
Alors que tout se mettait lentement en place, Alicia profita de son temps pour se remettre en forme. Hildr et les Manteaux Noirs avaient récupérés ses armes, ainsi que celle de Stella, peu avant de les libérer. Si Alicia ne mit pas longtemps à retrouver ses sensations avec son bouclier, ce n’était pas le cas avec son glaive. Bien que guérie, elle avait encore du mal à bouger son bras droit comme avant. Les entailles, les estocs, le coup de pointe… Tout était à revoir. Le plus souvent, elle s’entraînait à l’écart et ne se joignait aux autres que pour les repas. Le soir, elle revoyait encore le monstre en rêve. Mais ce dernier ne disait plus qu’elle était faible. Sa voix hargneuse et puissante semblait même être plus douce…
Les jours continuaient de défiler. Lors de l’un de ses entraînements quotidien, Ryûken vint à la rencontre d’Alicia.
-Vous ne lésinez pas sur les efforts, dit-il avec le sourire.
-Il faut bien. Je commence seulement à bouger mon bras correctement tout en tenant une arme.
-Vraiment ? Vous bougez déjà mieux que beaucoup de mes gars.
-La plupart de vos hommes tiennent tout juste correctement leurs armes. Ils n’ont pas l’habitude de se battre ?
-Non. Beaucoup n’ont jamais pris les armes avant. Mais par les temps qui courent, mieux vaut avoir une arme. Surtout quand on est non-humain.
-Pourquoi donc spécifiquement les non-humains ?
Ryûken parut surpris.
-Vous ignorez donc ce qui se passe en-dehors des montagnes ? demanda-t-il à moitié amusé.
-Les Valkyrja se soucient uniquement de ce qui se passe dans et sur les montagnes. Mais après tout ce qui nous attends, je ne pourrais plus y rester et j’aimerais savoir ce qui m’attend dehors.
-Hum… Disons que le monde d’aujourd’hui offre une multitude de possibilités, pour qui sait les saisir. Et un nombre tout autant élevé d’obstacles.
-Vous ne pouvez pas être plus clair ?
-Ce ne serait pas drôle.
D’habitude, ce genre de remarque aurait énervé Alicia mais cette dernière se surprit à rire.
-Dîtes-moi, vous savez vous servir de votre lame ? demanda-t-elle.
-C’est très flatteur mais d’habitude, je discute un peu avec une femme avant d’être plus intime…
-Pardon ? …Non mais, je parlais de votre drôle d’épée !
-Oh, mon katana ? Eh bien, je me débrouille. Pourquoi ?
-Accepteriez-vous de faire quelques échanges avec moi ? Cela fait quand même un moment que je n’ai pas combattu un vrai adversaire.
-Eh bien, je n’ai rien contre… Mais je préfère vous prévenir : je ne sais pas retenir mes coups.
-Oh, taisez-vous et dégainez !
Ryûken obéit rapidement, en voyant l’empressement d’Alicia. Cette dernière observa le sabre. La forme était atypique, avec un tranchant unique et malgré le fait qu’il ne soit pas si long, il le tenait à deux mains comme n’importe quelle épée longue.
Alicia frappa la première. Elle fondit sur lui et enchaîna les coups avec son arme. Comme prévu, il se contentait de parer tout en reculant, comme s’il ne s’attendait pas à autant d’agressivité dès le début. Mais cela permis à Alicia de voir qu’elle bougeait mieux qu’avant mais surtout que son adversaire n’avait pas l’habitude d’affronter quelqu’un qui savait réellement se battre : ses mouvements étaient maladroits, manquaient de puissance et ils n’arrivaient pas à s’adapter.
-Je crois que vous êtes le premier Majin que je rencontre qui ne sait pas vraiment se battre, lui dit Alicia quelque peu déçue.
-Ah ! Mais vous y allez sérieusement dès le début, aussi !
-Évidement ! Frapper fort dès le commencement vous assure une victoire rapide !
-Mais tout donner dès le début enlève l’élément de surprise…
Son visage insouciant devint subitement très sérieux. Il se mit à esquiver le coup suivant d’Alicia avec aisance, puis le second et le troisième avant de passer dans son dos par une pirouette et de l’attaquer. Alicia s’en sortit d’un bond en avant suivit d’une roulade, avant de se remettre en position.
Ryûken était totalement différent. De pitre insouciant, il était devenu un guerrier aguerri. Alicia se décida à être plus méfiante mais d’un autre côté, elle s’amusait. Leurs échanges de coups reprirent. « Échanges » était un bien grand mot. Ils avaient dépassé le stade de l’entraînement pour un quasi-combat. Aucun des deux ne voulait céder à l’autre. Il était différent de Tachunka. Lui aussi semblait prendre plaisir à combattre, mais plus que jouer sa vie, il avait l’air de s’amuser comme un enfant. Elle trouvait cela troublant mais également intéressant…
Ryûken porta une attaque sur la gauche d’Alicia, qui leva son bras instinctivement. Le bras qui tenait habituellement son bouclier. Elle s’en rendit compte trop tard, le bras était positionné et le katana était bien lancé.
Juste avant que la lame ne rencontre la chair, Stella s’interposa avec sa lance et bloqua le coup, avant de repousser Ryûken d’un coup de pied.
-Dame Alicia ! s’écria Stella. Tout va bien ?
-Oui, assura cette dernière en se redressant. Juste une petite erreur d’inattention…
-Il aurait pu vous trancher le bras ! Dame Alicia, vous…
-Stella ! Je vais bien !
-Vous êtes sûr ? demanda Ryûken en rengainant son sabre. Navré, j’étais tellement pris dans l’action que je me suis emballé.
Il avait repris son expression insouciante.
-Oui, répéta Alicia légèrement excédé. Juste un vieux réflexe. Je dois juste être plus prudente.
-D’accord…
-En tout cas, vous vous débrouillez mieux que je l’imaginais.
-Ne sous-estimez pas lesMajins. Après tout, la magie et la guerre coule dans notre sang. Dans tous les cas, ce fut très instructif. Merci bien.
Il s’inclina légèrement et s’en alla.
-Ryûken ! l’interpella Alicia. Accepteriez-vous que l’on remette ça ?
Ce dernier ne se retourna pas et se contenta d’un signe de main en guise de réponse positive.
-Dame Alicia, vous êtes sure qu’il est digne de confiance ? lui demanda Stella.
-Honnêtement… Je pense que oui. Ne me demande pas comment je le sais. Je l’ai senti quand j’ai croisé le fer avec lui, c’est tout.
Alicia était honnête. Elle sentait qu’on pouvait lui faire confiance, malgré le fait qu’il soit un majin. Les jours suivants, ils s’étaient entraînés ensemble, Alicia percevant de nouvelles possibilités en combat. Mais surtout, ses nuits étaient plus paisibles. Le monstre apparaissait toujours dans ses rêves mais à présent, il ne disait plus d’elle qu’elle était faible.
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