Sur les montagnes sacrées - VIII
Les jours qui suivirent furent placées sous le signe de la gloire chez les Valkyrja. La guerre était terminée, les derniers Majins n’allaient être qu’une formalité à éliminer. Et toute cette gloire allait être attribuée à Severa et à son règne plus ferme, ainsi qu’à sa fille Mjöll, qui ne se gênerait pas de clamer haut et fort à quel point ses qualités de combattante ont été décisives pour obtenir cette victoire.
Pour fêter l’évènement, les Valkyrja décidèrent de célébrer l’évènement en organisant un grand banquet à la hauteur. De grandes tables avaient été dressées dans la salle du trône, recouvertes de mets de premier choix et d’alcools de qualité.
Les Valkyrja mangeaient gaiement, les femmes chantaient leurs exploits, contaient leurs combats épiques, les aînées félicitaient leurs filles…
Severa, assise au bout d’une table, savourait l’instant comme on savourait le bon vin pur. Elle savourait le pouvoir qu’elle avait obtenue. Elle chantait presque ses propres louanges, encensée par sa façon de gouverner par ses sœurs descendantes d’Urd. Une partie des descendantes de Verdandi la soutenait également mais les descendantes de Skuld semblaient se refuser à suivre le mouvement, préférant rester entre elles et festoyer dans le calme.
Le banquet dura longtemps : il avait commencé vers le milieu de la journée et alors que la nuit était bien avancée, elles étaient toujours à festoyer comme des insouciantes.
Mjöll exposaient fièrement les blessures qu’elle avait reçue durant ses batailles et clama avec arrogance qu’aucune Valkyrja n’était aussi brave qu’elle. Une déclaration qui fut acclamée par plusieurs de ses sœurs d’armes, surtout par les descendantes d’Urd. Mais les acclamations se turent lorsqu’une chope à moitié remplie lui frôla la tête.
-« Aucune Valkyrja n’est plus brave que moi » ! répétant l’une d’elle, à la chevelure argenté coiffée en chignon et orné de deux épingles dorées, en criant. Toi, Mjöll Valkyrja, descendante d’Urd ?! Toi, qui n’hésite pas à blesser tes alliés au combat, tu te prétends la plus brave de toutes les Valkyrja vivantes dans cette tour ?
Mjöll lança à cette Valkyrja un regard assassin, le même genre de regard qu’elle lançait à Alicia.
-Et qui es-tu, déjà ? lui demanda Mjöll avec dédain.
-Luna Valkyrja, fière descendante de Skulde.
-Ah oui, la sœur aînée de Stella… Ce qui lui est arrivé est tragique… Quel dommage que nous n’ayons pas retrouvé son corps. Elle aurait au moins une cérémonie digne de ce nom…
-Garde ta fausse compassion pour toi ! s’exclama Luna en se levant de son siège. Personne ici n’ignore le mépris que tu lui portais !
-Oh, mais jamais je n’oserais la mépriser une de mes sœurs qui nous a quittée. Même celles qui nous ont quittée de manière peu reluisante…
-OSE RÉPÉTER CE QUE TU VIENS DE DIRE !
-QUAND TU VEUX !
Luna dégaina deux dagues pendant qu’on donnait à Mjöll son marteau. Juste après, les descendantes de Skulde se levèrent d’un bond, suivit juste après des descendantes d’Urd, toutes prenant leurs armes.
-Allons, allons, calmons-nous, fit Severa sans grande conviction en se levant. Nous ne sommes pas réunies, sous le regard des Trois Sœurs, pour nous battre comme de vulgaires hommes. Nous valons mieux que cela…
-Vraiment ? fit soudain Sigrùn en se levant à son tour. Pourtant, de ce que je vois, nous ne sommes pas si différentes des mâles que tu méprises tant…
-Mesure tes paroles, Sigrùn ! Je te rappelle que ce n’est plus toi qui commandes désormais mais moi ! Les Valkyrja me suivent, moi, et plus toi !
-Et au nom de quoi devrions nous te suivre ! demanda Luna. Au nom de quoi devrions suivre cette honte à notre race qu’est ta fille !
Les descendantes de Skulde approuvèrent en chœur.
-TAISEZ-VOUS ! ordonna Severa d’une voix forte et colérique. C’est grâce à moi que Vanaheim et ses Valkyrja ont repoussés les majins hors de chez nous ! C’est grâce à la combativité et à la force de Mjöll et de ses victoires que nous avons écrasées l’ennemi ! Et pas cette incapable qui soutient les hommes !
-Sigrùn est une meilleure cheffe que tu ne le seras jamais ! cria ouvertement une des descendantes de Skulde.
-Qui a dit ça ! s’exclama Mjöll. Qui a osée !
Lorsqu’elle trouva, elle s’approcha d’elle en tenant fermement son marteau mais les autres descendantes de Skulde firent barrage. Il n’en fallut pas davantage à Mjöll pour frapper l’une d’elle pour se frayer un passage, provoquant l’inévitable cohue. Les descendantes d’Urd et de Skulde présentes se rentraient dedans tandis que les descendantes de Verdandi tentaient de séparer tout le monde.
-ASSEZ ! hurla Severa. J’AI DIT ASSEZ ! OBÉISSEZ, BANDES D’IDIOTES !!!
Il fallut un certain moment avant que la foule ne se disperse enfin. Severa était rouge de colère, le regard dément.
-Rentrez-vous ça dans le crâne ! Je suis la cheffe ! Ma parole est ordre ! J’exige, vous exécutez ! Il n’y a pas à revenir dessus !
-Au contraire, affirma Sigrùn. Tu as géré une crise, certes, mais tu n’as clairement pas ce qu’il faut pour mener un peuple.
-J’ai mené les Valkyrja à la victoire et dans un avenir très proche, nos valkyries seront plus fortes que jamais !
-En leur enlevant leurs enfants ?!
-J’ai gardé que ceux qui méritaient de rester !
-Les femmes et les filles ! Tu as banni les maris, les fils, les frères… Tu as exécuté celles qui s’opposaient à ta décision ! Ce n’est pas une nation que tu veux, Severa ! Tu veux une armée ! Et tu élimines celles et ceux qui te gênent ou te déplaisent !
-Le clan se doit d’être fort ! Et ce n’est avec toi qui le deviendras !
-Ni avec toi, Sœur Severa…
Severa hurla puis saisit l’épée d’une de ses sœurs d’arme, avant d’accourir vers Sigrùn pour la lui planter dans le ventre.
Un silence de mort s’abattit.
Toutes étaient choqué par ce qu’il venait de se passer, quelques-unes avaient poussé un cri. Severa souriait en voyant Sigrùn agoniser. Elle prit un malin plaisir à la faire s’agenouiller de force, en enfonçant un peu plus l’épée.
-Le clan doit être fort, chuchota-t-elle. Je peux le rendre fort ! Je vais le rendre plus fort ! Et j’éradiquerais toutes ses faiblesses qui se présenteront !
Elle retira d’un coup l’épée d’un coup sec et, sans merci, décapita Sigrùn, dont le corps sans vie et sans tête ne tarda pas à s’écrouler sur le sol.
La colère gagna bon nombre de Valkyrja, autant celles descendantes de Skulde que de Verdandi. Une partie de celles d’Urd était restée sans voix et l’autre faisait barrage pour protéger leur cheffe, Mjöll à leur tête. Menaces et insultes volaient à tout va, tout était sur le point de dégénérer en guerre intestine.
Severa réclama avec fureur le silence encore et encore mais personne ne lui obéissait. Elle se mit à reculer, apeurée par ce qui se passait. Elle essaya de nouveau de réclamer l’ordre et le silence, sans succès. Tout lui échappait. Tout ce qu’elle avait réussi à obtenir semblait s’envolait…
Elle recula jusqu’à l’un des vitraux de la salle du trône et réclama encore le silence, en vain…
Soudain, le vitrail se brisa et elle reçut un grand choc, qui l’envoya au sol. Les ailes déployées, Alicia, Stella et Hildr débarquèrent sous les regards abasourdis de toutes, particulièrement celui de Mjöll.
-Vous ! s’exclama-t-elle.
-Bien vivantes, chienne.
Hildr accourut auprès du corps de sa mère et se mit à pleurer. Bon nombre de Valkyrja ne comprenaient pas ce qui se passait, surtout Severa qui faisait face à Alicia.
-Tu es morte…, dit-elle hébétée en la pointant du doigt. Tu es morte !
Alicia vint l’attraper et commença à la frapper sans merci au visage avec ses poings emplis de fureur. Mjöll accourut pour aider sa mère mais Hildr se redressa vite et lui décocha une flèche, qui lui effleura le visage et la stoppa dans sa course, avant de se faire reposer par une charge violente de Stella. Alicia lâcha Severa, dont le visage était en sang et dégaina son glaive. Severa se mit à rire.
-Que comptes-tu faire ? demanda-t-elle. Me tuer et prendre la tête du clan ?
-Non, Severa…
-Éloigne-toi de ma mère, ordonna Mjöll. Ou je…
-Ou quoi, Mjöll ? demanda Alicia. Tu vas tenter de nous tuer ? Comme dans les ruines ?
-Tu délires. Les Majins…
-… nous ont capturés parce que toi, sale pourriture que tu es, tu as tenté de nous tuer avant qu’on ne puisse s’échapper !
-Je ne vois pas tu…
-Sans ta bêtise, ton ambition stupide et celle de ta garce de mère… Je n’aurais pas vécu l’enfer pendant des jours. Stella n’aurait pas perdue sa dignité !
Les autres étaient choquées et surprises par ces révélations. Mjöll, elle, en riait presque :
-Ton attitude est indigne d’une Valkyrja. De plus, ce n’est pas ma faute si vous n’avez pas été capable d’endurer ou de vous donner la mort pour échapper aux sévices…
-Oh, je ne suis pas sûre que toutes soient du même avis… N’est-ce pas, Luna ?
Juste après, Luna déploya ses ailes et fondit sur Mjöll pour lui rentrer dedans et lui poignarder le flanc à plusieurs reprises. Des Valkyrja descendantes d’Urd vinrent à sa rescousse mais furent arrêter par Stella, qui vint couvrir les arrières de sa sœur, en compagnie des Valkyrja descendantes de Skulde, en se faisant tuer ou maîtriser.
Une bataille sanglante débuta alors dans la salle du trône : des sièges volèrent, les tables se retournèrent, l’acier fendait l’air, les os se brisaient… Le sang du clan coulait sous le regard des statues des Trois Sœurs.
Mjöll se dégagea de Luna, qui se retrouva bien vite contre une Valkyrja. Elle saisit son marteau, se fraya un chemin vers sa mère en dégageant alliées comme ennemies, lorsqu’elle sentit une flèche se planter dans son épaule. Elle se retourna et vit Hildr.
-Petite pute ! cracha Mjöll. Tu crois que ça va m’arrêter ?
-Ma flèche, non, dit Hildr. Mais elle, oui !
Mjöll comprit, se retourna et se retrouva face à face avec Alicia qui lui enfonça son glaive dans l’estomac. Le choc lui coupa le souffle puis le sang s’engouffra dans sa bouche avant de couler. Mjöll la repoussa et leva son marteau pour l’abattre sur le crâne d’Alicia, mais cette dernière se contenta de faire un pas de côté pour l’éviter. Les blessures provoquées par Luna plutôt l’avait déjà affaibli et le coup d’Alicia avait suffi à ce qu’elle soit incapable de se battre. Mjöll tomba à genou sur le sol, en train de se vider de son sang. Elle supplia Alicia de l’achever dignement, comme une vraie Valkyrja. Alicia la regarda froidement et lui lança :
-Tu n’es pas une vraie Valkyrja…
Dès que Mjöll s’effondra sur le sol, en attendant sa mort proche, Alicia se tourna vers Severa qui, paniquée, tenta de fuir. Elle déploya ses ailes, déchirant en partie sa toge, et s’apprêtait à s’envoler en passant par le trou dans le vitrail, lorsqu’elle reçut une flèche de Hildr qui lui transperça une aile. Elle retomba sur le sol et se mit à ramper pour échapper à Alicia, qui rapprochait d’elle. Celle-ci lui attrapa son autre aile valide et la trancha d’un coup sec avec son glaive. Severa poussa un puissant hurlement de douleur, tandis Alicia coupa l’autre, sans sourciller ; sans faire preuve de pitié.
Les combats alentours se terminaient. Plusieurs Valkyrja perdirent la vie, ce soir-là, sans compter les blessées. Alicia releva Severa et hurla :
-Voici celle qui vous dirigeait ! Une lâche avide de pouvoir, qui n’a pas levée un doigt pour combattre ou sauver sa propre descendance ! Elle, qui voulait rendre le clan plus fort, l’a couvert de honte par ses actions ! Elle a couvert de honte le clan Valkyrja, devant ses fondatrices ! Devant les Trois Sœurs ! Et même devant la Déesse ! Est-ce que le clan veut d’une telle cheffe ?
La plupart répondirent « Non ! » d’une voix forte. Les descendantes d’Urd survivantes ne disaient pas un mot mais leurs regards semblaient approuver.
-NON ! hurla Severa. Je suis le salut du clan ! Un clan fort, débarrassé des faibles et des hommes ! Le clan a besoin de moi ! Vous toutes avez besoin de moi ! Pas d’elles ! Elles sont faibles, comme leur mère ! Elles…
-Non, Severa. Celle qui est faible ici, c’est toi et ta vision erronée d’un clan fort, dit Alicia.
-Tu ne peux pas me tuer… Tu ne me tueras pas…
-Non, je ne vais pas te tuer, Severa. Je laisse la gravité et le sol s’en charger !
Sans ménagement, Alicia jeta Severa par le vitrail brisé et la regarda chuter de haut de la tour. Avant de disparaître dans la nuit, elle put lire la peur et le désespoir dans ses yeux, alors qu’elle suppliait qu’on la sauve. Son cri fut long. Puis, plus rien.
Elle n’était à présent plus qu’un souvenir.
Les Valkyrja rassemblaient les corps des défuntes. Le corps de Mjöll avait été emmené à l’écart et celui de Severa allait être récupéré sous peu.
Alicia et Hildr se recueillaient sur le corps de leur mère, quand Luna vint à leur rencontre. Alicia l’emmena parler un peu plus loin.
-Merci pour ton aide, lui dit Alicia.
-Je t’en prie, assura Luna. Entre cousine, il faut savoir s’entraider.
-Je n’étais pas sûr que tu nous aides. On ne s’est plus parlé depuis…
-… depuis le jour où je t’ai dit que j’étais amoureuse du père de ma fille.
-Oui… À ce propos…
-Ne t’excuse pas. C’est oublié… Grâce à toi, ma sœur Stella est vivante et ma reconnaissance pour ça est éternelle.
-Si tu le dis… Qu’est-ce qui s’est décidé, finalement ?
-Les aînées se sont concertées et… toi comme moi avons été cités pour prendre la tête.
Alicia eut un petit rire. Leur décision était d’un prévisible…
-Personne pour les contredire ? demanda Alicia.
-Personne.
-Et toi ? Qu’en penses-tu ?
-Honnêtement, tu ferais un bon chef.
-Merci.
-… Mais tu vas refuser, n’est-ce pas ?
-Comment le sais-tu ?
-Tu as changé, Alicia. Je l’ai senti quand tu es venue discrètement sous ma tente, cette nuit-là, pour m’emmener voir ma sœur. Mais pourquoi refuses-tu ?
-Celle que j’étais autrefois aurait le soutien de ses sœurs. Celle que je suis maintenant se les mettrait à dos.
-Je comprends… Je crois.
-Peut-être un jour, tu comprendras vraiment.
Elles eurent un petit rire.
-Tu feras un bon chef, Luna, assura Alicia en posant sa main sur son épaule. Ma mère te respectait beaucoup.
-J’essaierais de m’en montrer digne. Que comptes-tu faire ? Suivre ces étrangers ?
-Au début, en tout cas. Je dois veiller sur Hildr encore un peu…
-C’est la seule raison ?
-C’est la raison que tu as besoin de savoir.
Elles sourirent.
-Tu aurais un conseil, pour moi ? lui demanda Luna.
-Vraiment ?
-Vraiment.
Alicia réfléchis un moment et répondit :
-Fais revenir les hommes. Et pourquoi pas convaincre nos sœurs qu’ils sont plus que des reproducteurs.
-Je pense que ça va être dur, dans l’état actuel des choses, mais je ferais de mon mieux.
-C’est un début.
-Où comptes-tu aller ?
-Mes nouveaux camarades retournent de là d’où ils viennent, à l’ouest. J’aime ces montagnes mais étrangement, je suis heureuse d’aller découvrir ce qu’il y a au-delà. Mais je dois quand même te dire que…
-… ma sœur veut t’accompagner ? Ben voyons, je m’en serais douter. Elle te vénère vraiment. Mais d’un autre côté, je serais moins anxieuse de votre départ, à toi et ta sœur, si elle se trouve à vos côtés.
-Tu es vraiment forte, Alicia. J’ai beau ne pas craindre le champ de bataille, je serais terrifiée à l’idée de quitter les montagnes de Mjöllnir. Je dois te paraître faible.
-Être faible n’est pas une honte. Le rester, oui.
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