Chapitre 1 : La mort est (normalement) la fin.
Arc 1 : Les premiers pas.
Je ne suis plus dans mon lit.
C'est assez facile pour moi de m'en rendre compte. Je veux dire, oui, j'ai la vue basse, les oreilles dures comme du titane et un sommeil de plomb. Mais mon lit est dans ma chambre et là j'ai des nuages en guise de papier peint.
De vrais nuages. Duveteux, blancs...
Ce qui place donc ma personne à une haute altitude.
J'ai peur de ce que je vais découvrir mais je tente de regarder par-dessus le rebord de mon lit.
Qui n'est plus là.
Ni rebord, ni lit. Je flotte dans les airs en pyjama.
Heu...
Nan, même lui s'est fait la malle. En compagnie du reste de mon anatomie d'ailleurs. C'est un peu comme ces jeux en réalité virtuelle que mon petit-fils m'a fait essayer.
Huuummm...
Non, pas de casque sur ma tête.
Au passage, pas de doigts non plus d'ailleurs. Et pas de tête.
Et pourquoi j'ai une vue aussi claire alors que je porte des lunettes depuis mes trente ans ? Alors que je commence à me demander si je suis en train de subir une des blagues les plus avancées technologiquement qu'il m'ait été donné de voir j'entends une voix m'interpeller. Oh et bien entendu ça ne passe pas par mes oreilles qui sont tout aussi vaporeuses que le reste.
*** : Oh ? Que faites-vous là ?
Alex : C'est ce que j'aimerais bien savoir, en fait... Je suis où, là ? Et vous, vous êtes où ? Je ne vous vois pas...
*** : Aucun humain ne devrait venir ici !
Aucun... humain ? Je ne suis plus très sûr de vouloir savoir où se trouve mon interlocuteur.
Alex : Heu... Ok ? Vous pouvez me montrer la sortie ?
*** : ....
Alex : Heu... Youhou ? Au fait, moi c'est Alexandre. Mais tout le monde m'appelle Alex. Ou Tonton. Ou Papy. Voir même Pépé pour certain. Vous pouvez peut-être me dire pourquoi ma voix est aussi... claire ?
*** : Oh, ça je sais! Les âmes intègrent les décisions et la pureté des actes effectués lors de votre vie, donc la vôtre a un bon niveau de pureté qui vous permet une certaine jeunesse de ton.
La voix est devenue bien bavarde mais les mots que j'ai compris me font froid dans mon dos immatériel.
Alex : Mon âme ?
*** : Oui, vous êtes mort.
Autre gros silence, partagé celui-là.
Alex : Vous pouviez pas m'annoncer ça de façon un peu plus... Je sais pas, moi... Humaine ? J'ai bien remarqué que ma santé était pas sur la bonne pente ces deux dernières semaines mais quand même...
*** : Oh mais je ne suis pas humain. Je ne comprends d'ailleurs même pas comment vous pouvez m'entendre.
Alex : Et à part me promener dans les nuages, vous avez un plan pour mon... heu... âme ? J'veux dire, il y a un paradis au bout de la route, non ?
Après tout il a signalé que j'avais accumulé pas mal de bon points avec le grand instituteur céleste. Maintenant que je réfléchis un peu à mon existence, la quantité de souvenirs qui me reviennent de façon claire comme du cristal est incroyable. Comme si je passais des vielles K7 en plastique à la... 4K ? Oui, c'est ce terme qu'employait ma petite-fille. Je reviens à la situation présente en remarquant l'étrange et inquiétant silence prolongé de mon interlocuteur invisible.
*** : Je suis très embêté...
Alex : Non, vous êtes pas très embêté. Ça, c'est ce que disent les employés de supermarchés quand ils annoncent que le produit dans la pub a des stocks égaux à zéro un quart d'heure après l'ouverture. Quand on cause de la destination où une âme va passer le reste de l'éternité, c'est une tragédie.
*** : Voyez-vous, vous deviez vous réincarner.
Alex : Je ne crois pas en la réincarnation.
*** : Elle se moque que vous croyez en elle ou non. Vous deviez retourner sur votre monde... La planète... Terre ? Vous n'avez pas beaucoup d'imagination vous autre, hein ?
Je commence à être content de ne pas savoir à quoi ressemble mon mystérieux interlocuteur. Mon neveu m'a montré ces films de sciences fictions avec des aliens plein de tentacules. J'ai plus osé manger d'anguilles pendant deux mois.
Alex : Et il s'est passé quoi ?
*** : J'étais en plein dans l'entretien général du système et votre âme a été... heu... aspirée par mégarde dans le processeur à talents par... hum... mégarde.
Alex : Il y a beaucoup de mégarde, là.
*** : Oui...
Alex : Pas de chance.
*** : Effectivement.
Alex : Des choses qui arrivent.
*** : Jamais en temps normal.
Alex : La vérité ?
*** : Je m'étais absenté pour faire une pause. Un dieu mineur s'est glissé chez moi pour me laisser des ordres et a laissé tomber quelque chose sur mon écran de contrôle avant de s'enfuir.
Alex : …
*** : … En tout cas, je crois que c'était par mégarde... J'espère...
Le silence se poursuit. Consterné de mon côté. Travailleur de l'autre. Il grommelle comme moi quand j'essaye de remettre en route la machine à laver. Ce « dieu » est plus humain qu'il ne veut bien l'admettre. En tout cas, il en a quelques défauts. Après une petite exclamation ressemblant à un cri de joie, il reprend la parole de bien meilleure humeur.
*** : Voilà ! J'ai trouvé de la place pour votre âme ! Ce n'est pas votre monde d'origine mais ça devrait aller.
Alex : Pardon ?
*** : Hélas, vous n'êtes pas passé par le processeur. Vous allez garder vos souvenirs. Je vous encourage à ne pas en profiter !
Alex : Je risque de finir foudroyé ?
*** : Vu le niveau technologique, je crois que les fourches, torches et le bûcher final sont plus probables.
Alex : Formidable...
*** : Oups...
Je déteste entendre des « oups » alors qu'on parle de tripatouiller mon âme. Je n'en ai qu'une et j'y tiens. Le ton de l'inconnu est passé de guilleret à inquiet en un battement de cils.
*** : Vu que vous avez pénétré le système par la mauvaise porte vous avez une partie du logiciel de contrôle qui s'est gravé en vous.
Alex : Hein ? Je me suis fait... pirater, c'est ça ?
*** : Absolument pas ! Heu... Si en fait, ça y ressemble.
Alex : Du coup vous allez me piloter façon voiture radiocommandée ? Bonjour les libertés !
*** : …
Alex : Hey !
*** : …
Alex : Je sais pas encore comment, mais je vais finir par trouver un moyen de prouver que je suis agacé, là ! Répondez !
*** : … C'est le contraire...
Alex : Quoi ?
*** : Vous avez un accès prioritaire au code source... J'ai besoin d'une interface pour ça mais votre âme est directement branchée dessus...
Alex : Heu...
S'ensuit une bonne minute de silence gêné. Je le comprends un peu, c'est comme si un client rentre dans la boîte par la porte d'entrée en-dehors des heures de travail parce qu'on a oublié de la fermer à clé et qu' un autre client, important lui, a rappliqué en catastrophe et conclu un contrat mirobolant avec le premier arrivé alors que le pauvre homme croyait signer un devis pour sa plomberie. L'inconnu s'éclaircit la gorge avant de reprendre.
*** : Bon ben... Bon voyage, hein ?
Alex : Heu... Vous m'envoyez quand même comme ça ?
*** : Je ne peux pas vous garder indéfiniment ici. En plus, j'ai l'impression que plus vous restez là, plus votre âme fusionne avec le système alors je préfère vous renvoyer vite fait dans un monde avant de devoir vous appeler "patron".
Alex : Minute ! C'est quoi comme monde ?
*** : Technologie primitive. Animaux hostiles. Monstres, magie, épée, les trucs classiques !
Alex : Magie !? Comment ça, magie ?
*** : Votre monde d'origine n'en a pas ? Beeeennn...
Le décor commence à se dissiper et la voix inconnue se fait de plus en plus lointaine. Je suis en train de partir et cette histoire de magie m'inquiète. Quelque chose me dit que ça n'a rien à voir avec Copperfield ou Houdini.
*** : Comment dire... Essayez de ne pas tout casser ?
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