Chapitre 9 : De nouvelles habitudes

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Les jours suivants se sont déroulés dans une agréable monotonie.

Chaque matin, je filai dès les premières lueurs de l'aube en forêt, ramassant du petit bois pour faire mes fagots. Ensuite, je m'entraîne.

Je n'y connais rien en arts martiaux, maniement du sabre ou autre délire du genre petit scarabée. Mais je sais que je gagne des Pex.

Ce fut un des trois enseignements de la journée des KuroNekos. Le premier, c'est que je reçoit 50 Pex par fagot de petit bois que je ramène en plus des dix pièces d'étain. Le deuxième, c'est que l'augmentation des compétences et du statuts ne dépend pas que du fait que j'investisse des points dedans. En effet, en voulant dépenser mes Pex nouvellement gagnés, je me suis rendu compte que je n’avais plus besoin d'autant de points pour augmenter mon score d'Esquive et que mon score pour Arme tranchante à une main avait besoin d'encore 140 points pour passer du -20 au -19. J'ai gagné ces quelques dizaines de points en usant de ma hachette sur les bestioles.

C'est un avantage inattendu et qui, mine de rien, me paraît plus réaliste que l'usage exclusif de la tablette. Après tout, c'est l'entraînement qui rend doué en quelque chose, pas l'usage d'une mystérieuse plaque magique. J'ai bien réussi à vivre près d'un siècle sans en avoir une et en apprenant tout sur le tas.

Heu... Oui, bon, ici la magie est une réalité.

Faudrais pas que je l'oublie.

Bref, quand le soir approche je retourne dans le bidonville, rend le petit bois et me paye quelques brochettes de viande ou un bol de gruau aux stands louches proposant de la nourriture. Je continue de dépenser 50 Pex par jour pour les kits d'urgence mais je tiens à habituer mon corps à reprendre des mets normaux pour éviter un nouveau drame intestinal. Grâce à Maya, j'ai à présent de solides économies. La fois suivante que je l'ai vue, elle m'a quasiment supplié de lui donner tout ce que j'ai en flacons de verre. Je me suis exécuté et elle m'a payé avec une vingtaine de grosses pièces de bronze. Je ne sais pas ce que ça vaut et je ne préfère pas me promener avec tant d'argent sur moi.

Heureusement, il y a l'Union !

Ils font aussi office de banque pour ses utilisateurs. Il y a des frais mais l'argent est le cadet de mes soucis vu que je peux avoir de quoi tenir un petit moment en revendant les flacons que je reçoit pour 50 Pex. Pour la revente du produit en lui-même je préfère attendre : les médicaments que j'ai vu chez la vieille Maya sont en poudre ou en pilules rondes et rien sous la forme de liquide. Pour rendre officiels mes petits marchandages je me suis enregistré à l'Union sous le nom d' Haiwaken ce qui a fait sourire le gars de l’accueil.

Je le comprends. Un gamin qui se prend un nom de guerrier, c'est puéril. Parfaitement puéril. Donc, normal et discret.

Mon argent nouvellement gagné m'a permis d'améliorer grandement mon équipement. Je revends régulièrement les peaux et les flacons de métal des kits de survie et obtiens donc de quoi paraître moins clochard. J'ai toujours ma tunique mais je possède aussi à présent des sous-vêtements, des protections pour les avants-bras très utiles au moment de travailler au bois et ma sacoche s'est alourdie d'un petit nécessaire de survie contenant hameçons en os, ficelle de pêche, pierre à affûter et une outre d'eau taillée dans une section de bambou. Bien sûr, j'ai aussi jeté la sale paillasse de mon logis nocturne et l'ai modifié pour plus de discrétion et de propreté avec des toiles supplémentaires sur les côtés, quelques fourrures sur le sol et une couverture accompagnée d'un coussin sommaire.

Bref, je commence à bien m'installer et tente tant bien que mal de faire en sorte que mon corps soit au même niveau que ma situation financière et matérielle.

Et ce n'est pas gagné.

Je dois me reposer sans arrêt.

J'ai beau avoir amélioré grandement mon score d'Endurance ce n'est pas pour autant que je suis devenu superman. Je suis un peu plus rapide et agile que la moyenne du gosse des rues famélique local (tous ceux que je laisse loin derrière moi pourront le confirmer) tant que je ne dois pas galoper trop loin. La tablette a de l'influence sur mon corps mais elle ne me fait pas pousser des muscles. J'ai vérifié, il y a une compétence Musculation mais je n'ai pas accès aux descriptifs des compétences avant de les avoir débloquées donc j'ignore si c'est pour devenir réellement musclé ou juste pour avoir l'air d'un habitué des salles de sport.

Du coup, je me suis fait ma propre salle d’exercices en pleine forêt. Salle qui se résume à un très gros arbre possédant une branche à la bonne hauteur pour faire des tractions, de grosses racines pour les abdos et, point très important, juste à côté du fleuve pour les rafraîchissements. La température est en train de monter progressivement et la saison dois être en train virer à l'été. Pour l'hiver, il me faudra être dans les murs de la ville. Je n'ai aucune envie de claquer des dents sur mon toit.

Ah, j'oubliais !

Les KuroNekos m'ont laissé autre chose, en plus des taches.

C'est le troisième enseignement de cette fameuse journée. Les Tamaganes. Je crois que ça se prononce comme ça. Ce sont des espèces de petits cristaux qui se forment à leur mort et qu'on obtient en abattant tout type de Yokai. Oh, Yokai c'est leur terme pour « abominable saleté qui veut vous voir mort ». Monstre, démon, horreur nocturne... Bref, des Yokais. Pour revenir à nos cailloux, ce sont des petites pierres noires allongées, pas plus grandes qu'un ongle. Motoko m'a dit que plus le Yokai est puissant, plus la pierre est grande. Elles sont classées selon le rang ongle, phalange, doigt, main... Au-delà, c'est de la grosse bestiole dont je n'aurai pas à m'occuper selon elle.

Et dire que le garde voulait que je descende des Yokais format doigt. Sale type...

Elle m'avait aussi laissé prendre les Tamagane des KuroNekos qu'elle avait abattus. Une histoire de ne pas souffrir du ridicule à revenir avec des trophées indignes de son rang. Pas de problèmes je n'ai de toute façon aucune envie de jouer le farouche sauvage humilié... Bref, ces trucs sont inutilisables en l'état mais les mages et alchimistes peuvent les purifier pour en faire des pierres élémentaires beaucoup plus courantes dans la vie de tous les jours des citoyens intra-muros.

Song était content de me voir avec ces pierres.

Oh, Song est le nom du gars de l’accueil du bureau de recrutement. Mes visites quotidiennes l'ont un peu dégivré.

Dernier détail et non des moindres, les KuroNekos ne m'ont pas laissé que leurs Tamagane. Ils ont aussi fait un don en Pex. Vu que j'ai perdu le compte des bestioles que j'ai zigouillé et que je n'ai pensé à faire le compte des pierres qu'après avoir aussi ramassées celles des victimes de Motoko, je ne sais pas combien exactement chaque victoire me rapporte. Quelques points je dirai. Faire un petit carnage en forêt pourrait donc potentiellement me rapporter une montagne de fric et de Pex.

Si j'y survis.

Les KuroNekos ne sont pas les seuls Yokais à se déplacer en groupe. Donc, je reste en bordure de forêt.

Je ne suis pas fou non plus.

Haiwaken : et... de... dix ! Rah !

Je retombe sur le dos après la série d'abdominaux. Ils me font gagner à la fois des points en Endurance et en Force. Pas beaucoup à la fois mais je sens une différence très nette entre le moment où j'ai commencé à faire mes exercices et maintenant sans avoir pourtant gagné un seul niveau dans les deux Statuts. Ce qui prouve que la réalité de l'amélioration de ma santé passe aussi bien par des efforts que par l'usage de la tablette. Je respire quelques grands coups et ramasse ma hachette, faisant une dizaine de pas pour l'atelier suivant.

Donnant de grands coups de haut en bas sur l'arbre mort abattu, je modifie régulièrement ma prise et l'angle d'attaque à chaque coup. Mon but n'est pas de fendre en deux le tronc mais d'augmenter ma compétence Arme tranchante à une main. Elles n'apparaissent dans la liste de Compétences qu'une fois qu'elles sont au niveau 1 du coup je dois fouiller sur la tablette pour savoir où elles en sont dans la catégorie Améliorations. Contrairement à Inventaire, je n'ai pas de moteur de recherche pour cette partie. C'est un peu frustrant.

Trop mal aux mains. Je dépose la hachette et vais courir un peu, montant la colline et la redescendant au pas de course. Il faut mettre un peu de viande sur ces mollets. Trois montées et je suis mort de fatigue.

Allez, repos...

Je m'installe au pied de mon arbre et grignote quelques noix emballées dans un tissu.

Je suis fou de manger un truc inconnu ?

Non.

Ce ne sont pas des noix inconnues.

Noix de Kakomo. Comestible. Voilà ce qu'affiche la tablette quand je les tiens en main. C'était un de ces trucs appelés DLC. Pour 50 points j'ai une description basique de ce que je fixe du regard. J'ai encore dépensé 100 autres Pex pour la traduction des textes et la carte des environs. C'est pour ne pas me perdre et pouvoir enfin lire les quelques lignes des avis du bureau de l'Union. Les avis sont bien pensés. Dans le coin supérieur gauche se trouve un symbole signifiant le type de mission. Une épée pour des combats. Bouclier pour protéger quelque chose. Une plante pour des récoltes. Une racine pour le ramassage de plantes sauvages, etc... Et dans le coin supérieur droit, des points dont le nombre indique le niveau. Je ne suis que niveau 1, donc aucune des missions n'est pour moi.

Je sors la petite plaque de bois que Song m'a donné. De la taille d'une carte d'identité, dessus, il y a mon nom et mon rang. Ce truc peut me servir de papiers d'identité, donc j'en prends grand soin et la conserve autour de mon cou au bout d'une ficelle. Gardant la plaque dans ma main gauche, je dégaine mon poignard de la droite et écrit mon nom dans la terre meuble avant de l'effacer du pied et de recommencer à l'écrire. Il faut que je m'habitue à cette orthographe bizarre. Lire c'est une chose, écrire en est une autre !

Du bruit. Je me tourne vers son origine.

Oh ? Un slime.

Je l'oublie et retourne à ma tache.

Ces boules de gel de tailles et couleurs variables sont inoffensives. Ce sont les nettoyeurs de la forêt. Ce sont eux qui ont effacé toutes traces des KuroNekos et ils auraient aussi absorbé les Tamaganes si je ne les avais pas ramassés. Là, il en a après les copeaux de bois arrachés au tronc.

Bon appétit.

A propos d'appétit...

Je me sers à nouveau de ma tablette pour faire apparaître mon petit cube de nourriture. Toujours aussi fade mais au moins elle ne tente pas de m'arracher les tripes. J'ai ma liste de stands de nourriture potables et ceux catalogués « les toilettes seront votre dernière demeure ».

Alors que je suis en train de mastiquer mon dessert, moment le plus agréable de mes journées, une voix derrière moi manque de me faire m'étouffer.

Motoko : Quels efforts...

Haiwaken : Gnuh ?! Kof ! Kof ! Grah ! Moto... Argh !

Je fouille frénétiquement ma sacoche, saisis ma gourde et engloutis deux gorgées. Pfiou ! Pendant ce temps la guerrière fait le tour de l'arbre et s'installe sur le tronc mort en court de découpage, ignorant totalement le slime. Assise en lotus, elle dégaine sa lame et commence à la nettoyer avec un chiffon, les yeux ne quittant pas le fil de l'épée.

N'importe qui d'autre flipperait en la voyant faire ça mais je commence à avoir l'habitude de son côté psychopathe au naturel.

Haiwaken : Pfou. Bonjour Motoko. Merci encore pour tes conseils d'affûtage. Les lames de ma hache et de mon couteau sont plus belles que quand je les ai achetées.

Motoko : Mais je t'en prie... Quelque chose d'étrange en forêt ?

Haiwaken : Non, ça va. Je suis loin de la ville et je suis tranquille. Quelques Yokais qui essayent de m'attaquer quand je me baigne mais ils ne font que m'apporter des Tamagane en rab pour l'Union.

Motoko : Bien, bien...

Elle continue d'affûter sa lame. Je la laisse faire, n'essayant même pas de faire la conversation. Ce n'est pas un domaine dans lequel elle est douée et, en plus, elle pourrait s'énerver en disant que j'essaye de la déconcentrer.

Fin du repas et du repos. Retour de l'exercice. Je me mets debout et fait un petit bond pour saisir la branche au-dessus de moi et commencer mes tractions. Seul moment où je suis content d'être un poids plume, tiens...

Motoko : J'ai un service à te demander.

Haiwaken : Oh ? Pfff ! Vas-y !

Je me laisse retomber au sol. J'ai pas assez de souffle pour à la fois faire des exercices et discuter.

Motoko : Il y a un objet disparu à Shin-Okonda. Un objet qui ne devrait pas s'y trouver.

Haiwaken : Il vaut beaucoup ?

Motoko : Haiwaken-kun...

Haiwaken : Pure curiosité. Le peu d'argent que je possède je le confie à l'Union. J'ai jamais plus de vingt pièces d'étain sur moi.

Elle soupire.

Motoko : Effectivement, cet objet a beaucoup de valeur. Mais seulement parce qu'il s'agit d'un ingrédient pour des potions très précieuses. Pour des gens riches et puissants.

Haiwaken : Ce qui reviendrai à me peindre une grosse cible sur le dos si je me le garde. Compris. Continue.

Motoko : J'aime les gamins malins. Cet objet se nomme la perle de jade trouble.

Haiwaken : Jamais entendu le nom. Ça ressemble à quoi ?

Motoko : Une sphère verte de la taille d'une phalange. Rugeuse et translucide mais pas transparente.

Haiwaken : Jamais vu... Attends une seconde...

Je me concentre. Le seul endroit que je fréquente réellement question magasin de Shin-Okonda est la boutique de Maya. Et... Non, rien qui n'y ressemble. Je secoue négativement la tête.

Haiwaken : Non. Les seuls trucs ronds que j'ai vu c'étaient des médicaments et c'était bien plus petit et d'un aspect plus proche de billes de bois vu la couleur.

Motoko : Dommage... Shin-Okonda est de plus en plus en ébullition à cause de ça.

Haiwaken : J'y reste aussi peu de temps que possible. J'y dors, passe chez Maya, l'Union, la rue des stands de nourriture et c'est tout.

Motoko : Tu ne discutes pas avec les autres gamins des rues ?

Haiwaken : Absolument pas ! Si je veux avoir la forme c'est aussi pour les tenir à l'écart.

Motoko : Parfait.

En un mouvement ample et gracieux, elle rengaine son sabre et se lève du même geste. Debout en équilibre sur le tronc, elle saute au sol d'un coup sec de la cheville et me dépasse. Pendant toute la conversation j'ai senti comme un vague malaise. Elle me testait ?

Motoko : à la prochaine, jeune homme.

Haiwaken : à plus Motoko !

Allez, retour à l'exercice.

******************************************

Motoko : Satisfait ?

*** : Je n'ai rien senti. Pas de mensonges, de troubles...

Motoko : Donc ce n'est pas lui. Tant mieux. Il a du potentiel et cela aurait été dommage de le tuer maintenant.

*** : …

Motoko : Je rentre à l'école.

*** : …

Motoko : Pourquoi vous ne bougez pas ? Un soucis ? Je ne détecte aucun Yokai à un kilomètre à la ronde pourtant...

*** : Ce jeune homme... Qui est-ce ?

Motoko : Un gamin des rues comme beaucoup de ceux qui hantent Shin-Okonda. J'ai interrogé les gardes et les recruteurs. Vient d'une famille de six enfants. Abandonné par ses parents quand ils sont allés s'installer dans Motoshinbashi. Pas membre d'un des gangs ou recensé comme petite main d'un contrebandier. Il survit, c'est tout...

*** : …

Motoko : ... Hé ! Je ne sais pas ce que vous pensez, Shugenja-san, mais si vous avez des idées indécentes le concernant je rentrerai à l'école seule avec votre tête sous mon bras.

*** : Inutile de me menacer, Bushi de Shinden. Ma tâche ne m'autorise pas ce genre de distraction.

Motoko : Humph !

*** : … Je n'ai rien senti... Pourquoi ?

Motoko : Parce qu'il n'y avait rien à sentir ? Il me fait l'effet d'un paysan grossier et direct. Franc et travailleur. Rien à voir avec vos adorateurs de Yokais.

*** : …

Le mage garda le silence, suivant la guerrière sur le chemin les ramenant à la cité. Il n'osait pas le lui dire. Sa magie a pour but de pénétrer le corps de ses cibles et d'en prendre partiellement le contrôle pour lui permettre de sentir les mensonges, les hésitations et autres excuses dissimulant la culpabilité. Sauf que là, il avait eu beau envoyer sa magie par vagues successives, tout ce qu'il a expédié dans le corps de ce jeune homme y est resté et, en plus, ne l'a pas affecté.

Cette magie se fait normalement au toucher et ce n'est que parce qu'il souhaite garder son anonymat qu'il est resté dans les buissons pendant que la guerrière détournait l'attention de sa cible. Avec la quantité de magie qu'il a insufflé, un suspect ligoté sur sa chaise commencerait à transpirer, convulser légèrement et grogner de douleur. Là, ce gamin a tout encaissé sans réagir. Il a fait comment ?


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Haiwaken : Ben ? Pourquoi j'ai gagné des Pex ? Il y en a plus de 200 en plus ! Ils viennent d'où ?

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