Chapitre 18 : La poussière retombée.

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Au plus profond du palais se trouvent les quartiers du seigneur Oko. Peu de serviteurs peuvent s'y rendre et la vieille femme en faisait partie. Portant le large plateau le long des couloirs de bois orné, elle parvint au petit jardin qui séparait les quartiers de son maître avec le reste du bâtiment. Parcourant la terrasse couverte faisant le tour du jardin, elle parvint à la porte coulissante du charmant logis de six pièces en bois au toit de tuiles noires. Là, elle s'arrêta et s'assit devant la porte, s'inclinant profondément.

*** : Votre dîner, Oko-sama.

*** : Vous pouvez pénétrer en ces lieux.

Continuant méthodiquement le rituel, la servante ouvre doucement les deux volets avant de se relever et de poser le plateeau à l'intérieur. Encore une pause. Elle s'incline et referme délicatement les deux portes derrière elle. Puis, avec des gestes trahissant une longue pratique, la femme déposa les différents plats. Riz en boulettes. Viande en cube dans de la sauce. Légumes arrangés pour ressembler à des fleurs. Petite bouteille de saké et sa coupelle.

Puis, la femme repartit de la même façon qu'elle est arrivée, laissant le seigneur Oko seul pour prendre son repas.

L'homme, très musclé et habillé simplement avec une robe d'intérieur marron au tissu épais, est le seigneur Oko, gouverneur de la cité d'Okonda. Habitué à prendre ses dîners seul, personne n'est donc étonné de cette excentricité en ce monde où chaque événement est soigneusement codifié.

Et ça lui permet aussi de rencontrer des gens en secret.

Une toile décorative s'écarte, laissant passer deux silhouettes par le passage secret. La première est celle d'un homme en armure de métal complète. Hotomura... Le brave guerrier déteste les approches sournoises, raison pour laquelle il se présente en grande tenue à une rencontre sensée être discrète. Le seigneur Oko ne relève pas. L'homme est très efficace, loyal et impitoyable. Il peut bien lui permettre ce genre d'entorses sans histoires. La seconde silhouette est celle d'un homme âgé en tenue de serviteur. Son visage est passe-partout et donne l'impression qu'on l'oubliera à la seconde où on ne le verra plus. Tous deux s'agenouillent devant leur maître, gardant les yeux rivés au sol.

Hotomura : Honneur à vous, mon seigneur !

*** : Mon seigneur...

Oko : Asseyez-vous.

Ils s'assirent alors sur des coussins de paille rond. Ils n'avaient pas de baguettes pour profiter du repas et ne s'en offusquèrent pas vu que les plats ne leurs étaient pas destinés. Ils patientèrent le temps que leur maître savoure quelques bouchées et lui laissèrent l'initiative de la conversation.

Oko : Bien. Vous pouvez me faire un résumé de ce que je ne savais pas lors de notre dernière rencontre, Nanashi-dono ?

Nanashi : On a fini par trouver la seconde moitié de la Gourde de Contrainte. Sans surprises, elle était au sein de Shin-Okonda.

Tout le monde autour de la table fronça les sourcils. Les Gourdes de Contraintes étaient un secret bien gardé des clans de dompteurs. Que quelqu'un ait provoqué une Ruée Yokai avec tenait du blasphème. Un inconnu en avait fait avaler la moitié au chef de meute après avoir caché l'autre moitié au sein du bidonville. Normalement, les dompteurs s'en servent pour retirer l'animal de son élément ou de son troupeau pour avoir une chance de le maîtriser avec le minimum d'ennuis externes.

Hotomura : Quel clan de dompteurs a coopéré pour faire ça ?

Nanashi : Aucun. Le mercenaire Hiromi avait été embauché par le Clan de la Griffe écarlate car ils ont perdu le contact avec deux familles de dompteurs allées dans les forêts de l'est. Il rassemblait sa troupe quand il s'est retrouvé en première ligne de cette ruée. Il est fort probable qu'il ne trouvera rien, sauf si le Clan du Lotus Rouge n'a pas pensé à faire disparaître les corps.

Oko : Encore eux...

Le seigneur poussa un profond soupir. Les écoles de sabre et de magie ont une grande liberté mais, hélas, certaines tournent mal et se spécialisent dans des drogues dangereuses ou de la "protection" tenant de l’extorsion. Le Lotus Rouge faisait partie de ces mauvais élèves.

Oko : Ont-ils une excuse pour éviter que mon armée aille leur rendre visite ?

Nanashi : Ils en ont après le Clan du Corbeau Gris, pas après Okonda.

Hotomura : Pfff ! Des astuces de langue dignes de marchands de sandales ! C'est notre sang qui a coulé dans ces histoires !

Oko : A ce propos, Hotomura-dono... Ces petites émeutes un peu partout en ville au moment même de l'arrivée de la Ruée ?

Hotomura : Tout un ensemble de petites actions isolées. Pour se plaindre d'un patron irresponsable. De la mauvaise qualité de la viande dans un restaurant. Du fait que l'école Shinden ai cessé de payer les notes de ses élèves dans les bars... On dirait qu'il n'y a aucun lien entre elles mais toutes ont été prévues au même moment et... Impossible de retrouver les meneurs.

Nanashi : Mes services en ont repérés plusieurs. Mais déjà hors des murs et filant vers l'est. Encore le Lotus Rouge on dirait...

C'était diabolique. Le centre militaire le plus important était au nord de la cité et c'est là qu'ils s'étaient rassemblés, prêts à partir à la bataille. Des émeutes localisées ont bloquées tous les axes les plus importants ainsi que les nœuds les plus vitaux. Sans parler des élèves des écoles de sabre et de magie qui ont trouvé devant leur porte des sous-traitants furieux. Vu qu'il y avait des ronins assez puissants qui avaient été embauchés pour l'occasion, on ne pouvait se permettre de transformer l'intérieur de la cité en champ de bataille alors que l'ennemi était aux portes de la ville.

Maintenant que la pression est retombée, les leaders de ces soulèvements ont disparu laissant leurs ex-alliés seuls face à la colère du seigneur local. En situation de guerre bloquer l'armée est un crime passible d'exécution publique. La situation est plus complexe pour les écoles de sabre et de magie car, dans leur cas, il s'agit de dettes qu'ils ont choisi d'ignorer qui ont permis aux mutins de réunir la main d’œuvre nécessaire à leur petit sabotage. Les écoles, ou sectes pour les organismes capable d'en ouvrir plusieurs, sont largement indépendantes des pouvoirs locaux. Elles ont un engagement sur l'honneur de fournir des hommes en situation grave et ses membres doivent respecter les lois et usages hors des murs de leur écoles. Or, il s'agit à présent d'un conflit entre des fournisseurs qui ont respectées les règles et des écoles qui ne l'ont pas fait et qui a dégénéré au point de paralyser les renforts au pire moment. Châtier la population enverrait un mauvais signal, celui d'une soumission à des Bushi et Shugenja qui ne respectent pas son autorité. D'un autre côté, les blocus des voies n'étaient pas destinés à empêcher les soldats de circuler. Il y a même des barricades qui ont été démontées en urgence par les mutins quand ils ont compris la situation.

Savoir qui punir et avec quelle peine était un casse-tête pour le seigneur Oko. Surtout que les chefs des écoles attendaient des récompenses pour leurs hauts faits dans la bataille alors que leurs erreurs ont paralysées le gros de leurs propres troupes...

Secouant tristement la tête, il prit sa décision.

Oko : Cherchez les familles qui ont participé à ces événements. Chacune d'elle devra fournir une personne qui sera amenée à servir sous les armes dans mon armée. Et il en sera de même pour les écoles, afin qu'elles comprennent que leurs propres travers finissent par leur en coûter. Ces personnes devront rejoindre ma troupe au plus bas de l'échelle et n'auront aucun passe-droit pour les promotions. Elles n'auront droit qu'à la moitié des droits de gloire par rapport à leurs camarades et ce jusqu'à leur retraite. Qu'ils soient des témoins vivants et réguliers de ce qu'il en coûte de se comporter de façon aussi ridicule...

Nanashi : Il en sera fait selon vos désirs, sire !

Oko : Autre chose, Nanashi-dono ?

Nanashi : Non, sire.

Oko : Bien. Tu peux nous laisser, alors. La suite ne t'intéresse pas.

Sans dire un mot, le maître-espion se leva et sortit de la pièce, laissant le guerrier et son seigneur seuls dans le petit pavillon. Hotomura déplia un peu ses jambes en affichant un grand sourire car il savait qu'il allait à présent attaquer une discussion qu'il apprécie grandement. Le seigneur Oko fit un petit sourire, comprenant le guerrier.

Oko : Alors, Hotomura-dono ? Qui mérite des récompenses pour cette bataille ?

Hotomura : Le gros du combat a été effectué par les mercenaires d'Hiromi. Ils n'étaient pas en contrat avec la cité et étaient en transit, hors des murs, attendant que leurs fourriers récupèrent au marché eau et nourriture pour le voyage. Au lieu de fuir ils ont formée une ligne de défense qui a remarquablement bien tenu vu la situation chaotique des renforts. Je les recommande pour tout type de récompenses. Ils ont été la force subissant le plus de blessures et de pertes.

Oko : Huhum... Nos hommes ?

Hotomura : Le plus gros des troupes était avec moi et s'est retrouvé piégé dans les allées de la ville. Mais les gardes affectés aux portes sud et est ont très bien réagi, envoyant immédiatement des détachements renforcer les archers. Ils ont improvisée et maintenue une première ligne solide pendant toute la bataille. Leurs sergents ont fait preuve d'initiative et d'efficacité ! Ces garnisons méritent une prime et un drapeau de gloire.

Oko : Accordé. Les écoles ?

Hotomura : L'école Jumoken est localisée dans le nord-ouest de la cité et a subi les mêmes affres que nos troupes. Une trentaine de leurs élèves vivant au sud s'étaient rassemblés près de la porte lors de l'alarme et, quand les signaux lumineux sont enfin arrivés, ont profité de l'ouverture des portes pour foncer renforcer nos hommes. Ils étaient mal formés et peu efficaces... Mais courageux et volontaires ! Le plus grand honneur qu'on pourrait leur faire serait de les intégrer dans nos troupes.

Oko : Intéressant...

Hotomura : L'école Shugenja des Huit Bambous était paralysée par ses fournisseurs de pharmacopée. Son grand-maître a réussi à échapper à ça vu qu'il maîtrise le sort du vol. Il a laissé ses élèves calmer les gens pendant qu'il usait de ses sortilèges pour empêcher la ligne de défense de se faire déborder. Aller seul à la bataille en abandonnant ses disciples derrière lui peut paraître déshonorable voir même cruel mais...

Oko : C'est ainsi qu'est ce vieil imbécile... On ne pourra plus le changer.

Hotomura : Comme précisé dans mon rapport, ce sont les taverniers qui ont bloquée l'école Shinden. Mais une poignée d'élèves a réussi à s'échapper et a foncer par la porte est pour rejoindre la bataille par le flanc nord. Ils ont formé un front à eux tout seul, coupés du gros des troupes par les sortilèges du maître des Huit Bambous. Ce qui ne les a pas gênés le moins du monde...

Oko : Quel peut être l'influence d'une poignée d'élèves face à une telle marée...

Hotomura : C'était l'instructeur Ishima à la tête de ses élèves préférés...

Oko : Ah... Je regrette de ne pas avoir vu ça.

Hotomura : Moi aussi, seigneur. Moi aussi.

Oko : Des nouvelles de... l'anomalie ?

Hotomura : Le sauvage ? Toujours en train de dormir. Il est sorti des bois, armé d'une lance primitive, avant de charger les Okamis et de rester au contact pendant toute la bataille. Ce gamin a tué tant d'entre eux que le sol était noir de Tamagane là on l'a trouvé en train de somnoler. Qui plus est, il a occupé assez longtemps le chef de meute pour permettre à nos meilleurs archers de l'abattre. Ce qu'il a fait est stupide, dangereux et sans la moindre concertation avec l'armée ou les mercenaires... Que peut-on attendre d'autre d'un tel sauvage ? Il a une plaque de l'Union autour du cou et visiblement il est enregistré pour ramener régulièrement du petit bois.

Oko : Ce sourire me dit que tu as une bonne opinion de cet enfant.

Hotomura : C'est surtout ce qu'il a dit juste avant de s'écrouler qui m'amuse. Je le tiens des mercenaires d'Hiromi, étant des Tsumeningen ils ont l'ouïe fine. Après s'être battu pendant une heure seul contre toute une nuée d'Okamis et avoir défié en duel leur chef... En voyant l'armée ennemie fuir, le corps couvert de blessures et seul au milieu du champ de bataille, il s'est contenté de dire : La vache... ça fait du bien.

Le seigneur Oko sourit à son tour. Ce genre de guerrier qui sourit face à la mort a deux destinées possible. Soit il périt jeune lors d'un de ses défis bien trop dangereux pour le commun des mortels. Soit il devient comme l'instructeur Ishima un guerrier sur lequel on peut toujours compter dès que la bagarre est assez désespérée. Ce genre de fous rends la vie plus... intéressante.

Hotomura : Ce n'est qu'un roturier vivant dans la forêt. Il n'est pas sur la liste de nos citoyens ce qui n'a rien d'étonnant vu son âge. Comment récompenser un tel cas ?

Oko : On va commencer par attendre qu'il se réveille. Apprendre ce qu'il souhaite pourrait nous faire sourire encore davantage.

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