Chapitre 20 : Fin de traque.
Quelques jours plus tard, je me déplace dans les rues de Shin-Okonda sur des béquilles. Le contre-coup du Ki, ce n'est vraiment pas de la rigolade ! Je serais encore dans mon lit si je ne souhaitais pas la fin du délire de la perle encore plus ardemment que la perspective de douces nuits avec un sommier digne de ce nom.
Je suis accompagné de Motoko, de plusieurs disciples de Shinden, reconnaissables à leurs tenues à la teinte dominante bleue et d'une douzaine de soldats de la ville avec un gars effrayant tout en armure de métal à leur tête. Officiellement, je suis là pour guider ces gens vers une cache de Tamagane que je me serais faite avec le temps. Quand ils sont mal conservés, des Yokais parviennent à se reconstituer. Apprenant ça, j'ai demandé à Motoko si elle pouvait aller à ma planque pour récupérer tous les Tamagane que j'empile sans précaution depuis des mois. Elle a détourné le regard en disant que ce sera fait.
Je la soupçonne de ne pas avoir attendu mon aval.
Elle n'est pas venue une seule fois me voir depuis que j'ai déménagé plus profondément dans les bois mais ça ne veut pas dire qu'elle ne savait pas où c'était. Juste que je ne l'ai jamais surprise.
Haiwaken : Au fait, où sont toutes mes affaires ?
J'ai une robe d'apprenti de l'Union. Mes habits de fourrure ont bien morflés et sont trop reconnaissables. J'ai même teint mes cheveux en noir pour compléter mon déguisement. Vu que ma peau est d'une apparence bien plus saine et ma musculature plus prononcée, personne ne reconnaîtrait ce jeune employé comme le sale gosse qui fuyait tout le monde il y a quelques mois.
Et la présence des soldats a un effet répulsif sur les regards assez efficace. Merci les histoires de rang social.
Motoko : Elles sont en sécurité !
Haiwaken : Dans la salle des coffres de l'Union ?
Motoko : Mieux ! Dans ma chambre !
Haiwaken : Hein ?
Et elle en est fière !
Hum ?
Qui serait assez fou pour entrer dans la chambre de Motoko Karuma dans son dos ? Oui, le niveau de sûreté est digne de fort Knox.
Bref, on finit par arriver à destination, devant la ruelle où se trouvait mon logement. Je fais signe au chef des gardes et, sur son ordre, les soldats se dispersent, écartant les curieux et expulsant provisoirement les locataires les plus proches. Un des disciples de Shinden, pendant ce temps, pose des planches autour du tas de purin et un autre vide son sac de cuir dans l'espace clos. Bon appétit, le slime !
Parce que c'est là qu'était la perle depuis tout ce temps.
Expulsée de mon organisme malade alors que j'étais coincé sur le toit.
L'un de mes premiers actes sur ce monde a été de jeter dans un tas de merde un trésor cherché par des dizaines de types patibulaires. Pendant que le slime, se croyant au paradis, entame toute la crotte qui a été empilée pendant des mois, je repose mes jambes en m'appuyant du dos contre la cabane à moitié reconstruite.
Haiwaken : Pfiou !
Motoko : Quelle odeur abominable !
Haiwaken : Ouaip. Meilleur encouragement possible pour se tirer d'ici.
*** : Vous êtes sûr que c'est ici ?
Le grand guerrier est un peu suspicieux. Je le comprends. Il doit courir après cette perle depuis des mois.
Haiwaken : Un gars du coin a eu cette maladie des chairs de soufre. Il est mort peu après. Mais il faisait encore ses besoins ici. Si personne n'a trouvée la perle dans ses tripes, ben c'est qu'elle n'y était plus.
*** : Mais tout de même... Fouiller des excréments...
Haiwaken : On ne fouille pas. On laisse ça aux professionnels. Et quoi de mieux qu'un pro pas bavard, efficace et travaillant sans jamais rechigner ? Bref, vive les slimes !
*** : Humpf !
Le soldat s'écarta de moi, surveillant le travail de ses hommes pendant que je guette de l'activité dans la ruelle. Le contact de la perle est toxique. Il suffit d'attendre que le slime commence à paniquer et il ne restera plus qu'à retirer les planches pour le libérer et récupérer le trésor.
Motoko s'installe à côté de moi, l'air faussement détendue. Quelqu'un à l'aise retirerai sa main du pommeau de son sabre.
Motoko : J'aimerai m'enquérir d'une réponse de ta part, jeune homme.
Haiwaken : Oh ? Vas-y, envoi.
Motoko : Les témoins ont parlé d'explosions lors de ton affrontement avec l'O-Okami. D'où provenaient-elles ?
Haiwaken : Oh, ça ? J'ai insufflé du Ki aux Tamagane avant de les lui lancer dessus.
Motoko : Hein ? Mais c'est...
Haiwaken : Instable. Atrocement dangereux. Et inefficace. Ça lui a à peine noirci le pelage. Par contre, j'ai morflé au passage. Stratégie à oublier. Vu qu'ils sautent au moindre choc, même les lancer avec une fronde est beaucoup trop risqué. Sérieusement, n'essaye même pas.
Motoko : Mais tu l'as fait.
Haiwaken : Il était trop rapide et collant. Je voulais essayer de gagner de l'espace. J'avais fait sauter un Tamagane de taille ongle lors d'essais en forêt et j'ignorais qu'avec la taille phalange la différence de puissance de feu était tellement... Bref, je me suis aussi fait surprendre. Au final ça n'a pas servi à grand-chose vu que même en l'assommant sa peau était trop épaisse pour ma hachette. C'est la première fois que j'affronte un taille main et ils sont coriaces...
Motoko : C'était un taille doigt.
Haiwaken : Sérieux ? Ben j'ai un paquet d'entraînement au programme alors.
Quelques minutes de discussion paisible plus tard, on entend que ça s'agite dans la ruelle. Reprenant mes béquille, je claudique jusqu'au tas de bouse.
Haiwaken : ça y est. Il faut libérer le slime maintenant...
Personne ne bouge. Ils ne semblent même pas se rejeter la tâche, c'est juste que personne ne semble vouloir faire le moindre geste vers les planches. Il me faut quelques secondes pour comprendre : Il faut penser couche sociale. En tant que guerriers et soldats, ce n'est pas à eux de s'occuper de quelque chose d'aussi bassement matériel qu'un tas de purin. Ils ont bien voulu mettre les planches en place autour du tas de merde mais ça s'arrête là.
Et qui est le gars qui a le bon niveau question classe sociale ? Bibi !
Je pousse un soupir et dégage les planches d'un grand coup de béquilles. Paniqué, le slime rampe rapidement hors de son repas avant de reprendre son rythme normal une fois sur le sol de la rue. Bon appétit mon gars, vu la qualité du sol ça revient à grignoter des biscuits tout en marchant. Bref, j'ignore le slime qui est en train de ramper au loin pour me concentrer sur le tas puant. La créature a diminué l'empilement de crottin pour faire un creux en forme d'assiette sur toute la partie supérieure. Elle a attaquée jusqu'à la moitié de la hauteur, révélant une petite tache verte. Le sommet de la Perle de Jade Trouble !
Si proche et si loin à la fois...
Bon, hors de question d'y mettre les doigts. Déjà rien que l'odeur est pénible. Je n'ai pas d'outil mis à part les béquilles et je ne me vois pas les utiliser comme des baguettes. Déjà que j'arrive à peine à manger avec et passe pour un imbécile sur les stands...
Il me reste encore un autre outil. Un qui m'est littéralement rivé au corps. Je ferme les yeux et tend la main au-dessus de la perle. Tout d'abord la terre. J'écarte la matière autour de la perle qui m'apparaît comme un concentré de mana jaune à tendance violette. Ensuite, modifier la nature du « sol » autour et surtout en-dessous. On retire l'eau... Voilaaa...
C'est long mais je préfère ça à mettre la main dans la merde.
Bien, maintenant que j'ai du mana d'eau qui flotte, je vais en entourer la perle... Là ! Ensuite... Je sens du mana de feu à cause de la chaleur du soleil sur les toits. Je le tire... bout par bout... Jusqu'à l'eau pour la chauffer... Oh ? La perle commence à tourner sur elle-même ? Sûrement parce que la chaleur est mal répartie dans l'eau. Je maintiens le déséquilibre pour augmenter la vitesse. C'est mieux pour la nettoyer.
Bien... Elle devrait être propre, là.
J'écarte l'eau du sommet et ouvre les yeux. Oui, comme je le visualisai, la moitié supérieure de la perle est visible dans l'espèce de bol d'eau suspendu autour d'elle. Elle flotte comme un bouchon. Vu que son contact est nocif, je prend un de mes carrés de peau traitée entourant mes packs de survie et m'en sert pour l'attraper. Là, je coupe mon contrôle et l'eau retombe sur la crotte. Avec un grand sourire, je brandis la perle et me tourne vers l'assistance.
Médusée.
Ils ont tous des yeux exorbités et la mâchoire pendante.
Haiwaken : Et voilà !
*** : ….
Haiwaken : Je vous comprends. Vous la cherchez depuis si longtemps... Mais voilà enfin cette fichue Perle de Jade Trouble !
*** : ….
Haiwaken : Heu... Je dois la confier à qui ? Je ne peux pas marcher avec les béquilles tout en la tenant....
*** : Cette tâche me reviens !
Enfin quelqu'un qui se reprend ! C'est le chef des soldats qui s'avance vers moi, prenant délicatement le carré de peau traité dans le creux de sa grosse main, observant longuement la perle.
Haiwaken : Je ne garantis rien pour l'odeur mais je l'ai nettoyée autant que j'ai pu.
*** : Oh ? Non, non, cela ira. Retour au camp tout le monde !
Haiwaken : Hé ! Pas si vite !
Si quatre soldats sont restés auprès de moi pour m'escorter, le plus gros du groupe est en train de marcher d'un pas très rapide vers les portes. J'abandonne la poursuite et me dirige vers les baraquements de recrutement, rêvant du lit qui m'attends.
Après des volées de marche raides montant au deuxième étage.
Aucun paradis n'est parfait.
************
Motoko : On ne touche pas sans ma permission !
Hotomura : Sottises ! Cet objet va rejoindre les coffres de mon seigneur ! Comment votre école peut-elle se permettre de...
Motoko : Je me moque de la perle. C'est du gosse que je parle.
Hotomura : Ho ?
Du coup il s'arrête. Ils sont au milieu de la rue principale menant aux portes et elles sont visibles de là où ils se trouvent. Il fait un signe à ses hommes qui se dispersent pour écarter les curieux tout en restant trop loin pour entendre les chuchotements entre les deux guerriers. Dans le même temps, les adeptes de Shinden continuent sur leur lancée et retournent entre les murs de la cité vu que la tâche pour laquelle ils avaient été réunis est finie.
Hotomura : Il serait donc un élève de Shinden ? Cela expliquerait bien des choses.
Motoko : Je le forme et le surveille depuis des mois. J'ai payé pour installer une formation repoussante de Yokai autour de son domicile. Je lui ai fourni un livre de magie basique. Haiwaken est une jeune pousse que je nourris et entretiens depuis un certain temps maintenant.
Hotomura : Quel est votre objectif final ?
Motoko : Je l'ignore. Je le réévalue au fur et à mesure. Vous avez vu ce qu'il a fait à l'instant.
Hotomura : C'est du Majii. De bas niveau mais d'un excellent contrôle.
Motoko : Exactement. Et il a le physique d'un guerrier capable de se battre pendant toute une heure sans interruption à l'âge de six ou sept ans. Il me le faut...
Hotomura : Je suis certain que le seigneur Oko pourrait lui fournir un cadre de développement parfait.
Motoko : C'est un roturier pure souche, ignorant de la plupart des choses de la vie et d'une maîtrise de l'étiquette qui me fait paraître une Geisha à côté. En plus, ses chakras sont abîmés et il aura besoin de beaucoup d'efforts pour se remettre en forme.
Hotomura : Vous proposez quoi ?
Motoko : Rien d'autre que de le laisser libre jusqu'à sa majorité.
Hotomura : Nous pourrions le guider vers...
Motoko : Quand je l'ai rencontré il y a quelques mois c'était juste un gosse vivant à la sauvage habillé de guenilles et ramassant du petit bois. Tout seul, sans le moindre professeur, il est à présent à la fois un guerrier sur la voie du Ki et un Shugenja contrôlant le mana. Imaginez un peu ce qui se passera dans plusieurs années ?
Hotomura : Je continue de penser...
Motoko : Hum ?
Hotomura : Hum... Le choix reste entre les mains du seigneur Oko.
Motoko : Soit.
Le guerrier n'apprécia guère le sourire de la bretteuse de Shinden. Il aimait peu les membres des écoles qui souvent se considèrent supérieurs aux soldats. Ils sont incapable de se battre en formation et restent peu fiables, cherchant souvent la gloire personnelle aux détriments des ordres. Karuma est la personnification de cet état d'esprit. Mais elle avait raison sur un point : Ce jeune homme n'a pas eu besoin d'aide pour atteindre les premiers stades de la voie du Ki et du Mana.
Hotomura : Mais il est arrivé à cet état de quelle façon ?
Motoko : Je vais souvent en forêt pour parfaire mes techniques. J'en profitais pour lâcher des Yokais dans son campement et l'observer. Il s'entraîne. Tout le temps. Chaque instant éveillé, il peaufine son corps et son esprit. Il fait des calculs sur le sol, écrit son nom de multiples fois pour maîtriser chaque coup de plume, exerce chaque partie de son corps... Le tout avec la rigueur de vie d'un ascète.
Elle en a des étoiles plein les yeux ce qui fit faire un pas en arrière au soldat, peu habitué à la voir aussi expansive. Si ce qu'elle dit est vrai alors il a affaire à quoi ? Une espèce de bushi-né ?
Motoko : En clair, je souhaite qu'il se développe au maximum de son potentiel.
Hotomura : Pourquoi ? En quoi avez-vous besoin d'un tel monstre ?
Motoko : Pour le vaincre, bien entendu ! Quel bushi n'a pas besoin du partenaire d'entraînement idéal ?
Et elle partis en direction des portes à son tour.
Resté seul, Hotomura rappella ses hommes d'un geste et reprit la marche d'un pas plus posé. Quelque chose clochait dans ce que la guerrière avait dit. Après des années à travailler au sein de la cour, il était capable de déceler certaines traces de mensonge quand on essayait de le tromper. Même si ce n'était que des rudiments, laissant les courtisans s'occuper de l'art de l'étiquette, il pouvait déceler quelques indices laissant à penser que la personne en face de lui cherche à cacher quelque chose. Et il venait de le sentir.
Mais... Pourquoi seulement sur la fin ? Elle a été tout à fait directe tout du long pourtant. Quel objectif serait inavouable pour une telle guerrière ?
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