Chapitre 22 : Bienvenu à Okonda! En garde!
C'est... sympa.
Je m'étais attendu à beaucoup de choses mais pas à ce genre de ville. J'ai déjà visité Carcassonne et quelques autres villes fortifiées médiévales. Le point commun c'était le manque d'espace et les rues tarabiscotées. Là, après la porte d'entrée j'arrive sur une rue faisant une largeur de dix bons mètres en ligne droite jusqu'à des bâtiments au loin. C'est une espèce d'avenue ? Et puis, presque tous les immeubles sont comme celui du recrutement avec des jolis toits à tuiles arrondies, un rez-de-chaussé de pierre et des étages supérieurs en bois. Ils ont de sympatiques devantures avec du bois ciselé et peint de différentes couleurs, parfois selon des motifs géométriques, parfois représentant des animaux ou des plantes. Il y a même quelques représentations stylisées de personnes. Occupant la rue se trouvait tout un éventail de personnes allant des manœuvres poussant des chariots remplis de ballots ficelés par d'épaisses cordes, des simples passants portant des charges légères, des guerriers oisifs à des cavaliers à l'air arrogant.
Pour la première fois que Yamato-den me donne à voir une vraie cité c'est... sympa.
Encore un peu et je ferai le touriste ici.
Je raffermis la prise sur le sac et me le jette par-dessus l'épaule. Il contient ce qui reste de mes possessions que Motoko m'a ramenées vers la fin de ma convalescence. J'ai revendu à l'Union la grosse majorité de ce que j'ai gagné au fond de la forêt. Tous les Tamagane pour commencer ainsi que la plupart du butin lâché par les Yokais. Ma lance était irréparable et récupérer du tranchant sur mon couteau et ma hachette me pris une bonne journée. Ces efforts furent vain vu que je ne peut pas pénétrer en ville armé. Tout du moins pas de la façon habituelle. Chaque arme a son côté tranchant mis dans un espèce de sac en toile de jute couvert d'inscriptions cabalistiques. Il se détruit si on cherche à le retirer en pleine rue ou hors de son logis, ce qui peut paraître ridicule comme moyen de surveillance mais tout à fait logique selon les standards locaux. Si un garde me vois avec l'arme au clair, c'est que je mérite une bonne amende. Pire si l'arme est couverte de sang. Le truc c'est que les agressions armées existent dans la ville. Du coup, un guerrier a le droit de dégainer son arme pour se défendre et rien ne sera retenu contre lui dans ce cas. Traditionnellement, les gardes considèrent qu'un pratiquant d'art martiaux dont la tranquillité est troublée par des ruffians a le droit de tuer tout ce qui l’ennuie avant qu'ils débarquent pour ramasser les morceaux. C'est un peu radical mais les rares psychopathes qui abusent de ce système sont sévèrement punis. Le genre de punition qui ne s'applique qu'une seule fois et coupe toute possibilité de récidive. Et les gangs se tiennent donc loin des guerriers, ce qui m'arrange.
Enfin... Qui m'arrangerai si j'étais considéré comme un guerrier.
Après la bataille de la meute d'OkamisJumo, j'ai appris que j'ai gagné le pseudonyme de « le sauvage ». Ils sont persuadés que je suis une sorte d'ermite qui survivait en mangeant de la charogne ou des trucs comme ça et que je suis sorti de la forêt pour tuer le maximum de Yokai qui mettaient en danger mon lieu d'habitation. Limite s'ils sont pas surpris en constatant que je sais parler.
Du coup, je peut apprendre plein de choses vu que tout le monde me considère comme un abruti mal dégrossi. Mais... Quelque part... ça me donne envie de pleurer.
Bref, si je me retrouve ici avec toutes mes affaires c'est parce que je suis totalement remis après deux bonnes semaines de repos et doit reprendre le travail pour mériter ma pitance ! Je ne pouvais plus rester dans la chambre du dernier étage du centre de recrutement et j'ai pris une mission que m'a conseillée Song. Ça consiste à ramener des documents au centre de l'Union d'Okonda. Une bonne occasion de rentrer dans la ville et de faire connaissance avec le personnel de cette organisation. Song a un statut un peu bâtard, étant un administratif de la cité faisant aussi le travail de l'Union donc il m'a facilité l'entrée dans la ville avec des documents officiels pour une autorisation temporaire valable une journée. Il m'a donné un plan grossier et une dizaine de rouleaux de bambous ficelés ensemble. Visiblement, le papier utilisé sur les panneaux est de mauvaise qualité et ils préfèrent les bambous tressés pour les documents officiels devant être conservés pendant un certain temps.
Je comprends mieux pourquoi il a précisé sur le plan des trucs du genre, première à gauche, seconde à droite... Toute la ville est un gros damier. On dirait bien que les pâtés de maison sont délimités par ce que je prenais pour des avenues. Du coup, on peut déplacer homme et matériel facilement. Ce n'est pas une cité fortifiée pensée pour entraver la progression d'un assaillant humain, c'est une ville parfaitement fonctionnelle entourée par des murs.
Dommage que les mauvaises odeurs persistent. Pas aussi fortes qu'à l'extérieur dieu merci mais leur méthode d'élimination des déchets doit être rustique. Je me lance dans la rue, guettant la prochaine indication et tombe rapidement sur un soucis. Ces gros pâtés de maison sont quadrillés par des rues plus étroites. Ces allées permettent de pénétrer au centre des carrés de bâtiments et j'y distingue des bâtisses nettement moins gracieuses que celles des façades. Je n'ai pas envie de m'y risquer.
Hum... Essayons de suivre les indications de Song en ne tenant compte que des avenues. Je pourrai toujours revenir en arrière si il fallait compter avec les ruelles.
Une bonne heure d'une marche hésitante remplie d'arrêts devant des constructions intéressantes plus tard, me voilà face à une grosse structure surmontée d'un panneau de bois clamant la nature du bâtiment. La tablette est formelle, c'est le centre de l'Union. Parfait. Finissons le boulot puis prenons tout notre temps pour retourner au bidonville. Je ne devrai pas trop tarder non plus car je n'aimerai pas marcher dans le noir en forêt pour retourner à ma cabane. Je passe la porte et me sens en terrain familier. En effet, sur ma droite tout un mur est couvert de panneaux de bois garnis de feuillets de papier cloués par de petites piques en métal. En face, couvrant tout le mur du fond se trouvent des comptoirs avec des employés très occupés derrière. Premier changement, ils ont des tenues sur le ton jaune. Comprendre qu'ils ont une sous-robe blanche avec des tabliers jaune ou avec des décorations de la même teinte. Peut-être une couleur du genre dresscode ? Comme les bleus de travail ?
Second changement, ce n'est pas vide.
Là, il y a plein de monde qui circule. Qui discute. Qui boit.
Oui, le côté gauche de la pièce est une espèce de bar qui déborde sur toute la place centrale avec des tables rectangulaires encerclées de tabourets. Le bruit des conversations est assez fort mais, après que j'ai fait quelques pas, il cesse immédiatement.
Le silence me pétrifie sur place. Je ne sens rien en Instinct du Danger mais quelque chose me dis que c'est anormal. Pour commencer ils me regardent tous.
*** : Tiens tiens... regardez ce que Kaze-hime a soufflé sous la porte...
Formidable. J'ai l'impression d'être de retour au primaire avec ses sales gosses qui croient pouvoir vous dominer parce qu'ils ont une tête de plus que vous. Une espèce de colosse à la musculature dantesque se lève d'un tabouret. Il doit faire deux bons mètres et même si ses bras tiennent des troncs d'arbre, son ventre bien trop rembourré et son cou épais et graisseux le font plus passer pour un sumo qu'un adepte de salles de musculation. Vu que je suis du genre 0% de matières grasses, on est les opposés complets. Le colosse marche en ma direction, me toisant de haut.
Je ne suis en ville que depuis une heure et j'ai déjà rencontré le bourrin du coin. Quelle chance...
Le pire c'est que je ne peut pas faire usage de ma stratégie favorite, à savoir la fuite. J'ai les bras chargés de mes affaires et du pack de rouleau de bambou.
*** : Tu viens mendier, gamin ? C'est pas le bon endroit pour ça.
Je le comprends. Mes habits ont morflé sous les dents des Okamis et les travaux de fil et d'aiguille de Motoko n'ont pas arrangées les choses. Pour le bien de l'avenir du monde de la couture, elle doit rester loin de ces activités. Le pire c'est qu'elle ne s'en rend pas compte. Il faut dire que les personnes capables de lui dire la vérité en sachant ce qui les attends doivent se compter sur les doigts de la main d'un forgeron aveugle. Bref, je donne l'impression d'avoir été mâché puis recraché par une bestiole qui n'a pas aimé mon goût.
Haiwaken : Je suis en mission. Je...
*** : Voyez-vous ça ! Qui t'envois ?
Haiwaken : Le centre de Shin-Okonda. Je dois...
***: Sans blague ! Cette fosse d'aisance ne produit que des malandrins, des catins et des tranche-bourse ! C'est ça ce que tu es, gamin ? Un voleur ?
Haiwaken : Je ne suis pas un voleur !
Mais j'ai la Compétence Vol. J'essaye de l'oublier mais c'est dur.
Agacé par le bourrin, je me contorsionne un peu pour attraper du bout des doigts la ficelle entourant mon cou avant de présenter la carte.
Haiwaken : Là ! Vous voyez ? Je bosse pour l'Union. Je peux passer mainten...
Instinct du Danger et compression temporelle simultanés ! Le gaillard est en train de lancer sa grosse paluche ouverte vers mon visage. Je recule d'un pas et me penche de côté pour l'éviter. Le temps n'a pas le temps de reprendre son cours qu'il lance déjà un autre assaut avec son autre main. Sans hésiter, je fonce en avant, profitant de ma petite taille pour plonger sous le bras tendu en ma direction et lui passer dans le dos. Je maintiens de force la compression pour continuer de foncer en direction des comptoirs, mettant plusieurs personnes entre lui et moi. Je sens tout mon corps protester, les blessures reçues lors de la bataille risquaient de se rouvrir si je faisais des gestes trop amples.
C'est un peu comme un jeu d'esquive. Il faut que je fasse gaffe de ne pas les toucher sinon on a mal tous les deux. Vu que j'ai les bras chargés, ça augmente encore la difficulté. J'ai une impression bizarre en dépassant le dernier des spectateurs que je pouvais me permettre en état de ralenti : alors que le temps est en train de reprendre son cours et que je le garde à l’œil pour éviter de le bousculer j'ai une sensation désagréable qui n'a rien à voir avec Instinct du Danger. C'est plus comme si je voyais quelque chose d'étrange mais que mon cerveau n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. C'est seulement en remarquant son visage souriant que j'ai compris : Il est resté tourné en ma direction tout le long du mouvement circulaire que j'ai eu autour de lui !
Même si le temps normal a repris son cours, je continue ma course vers les comptoirs, espérant de l'aide des employés. Je fonce vers un emplacement vide et dépose (un peu trop brutalement à mon goût) mon chargement devant la jeune femme.
Haiwaken : Haiwaken de Shin-Okonda. Je ramène des documents interne à l'Union pour traitement immédiat. Je repars avec les réponses.
*** : Hem. Merci pour l'enthousiasme mais c'est le comptoir de réceptions des Tamagane ici. Celui des formalités est au bout à votre droite.
Haiwaken : Heu...
Je me tourne vers la direction indiquée. C'est aussi le plus assiégé par différents mercenaires. Derrière moi, un bruit grandissant m'informe que le tas de graisse est en train d'arriver en ma direction avec beaucoup moins de délicatesse que ce que j'ai fait.
Haiwaken : D'accord, gardez mes affaires, ça ne prendra pas longtemps !
Je lui jette sur la table mon sac en compagnie des tablettes et me tourne vers le reste de la salle. Je me penche en avant, écarte les pieds et mets mes bras en position de boxeur. Je n'ai pas pratiqué longtemps mais j'ai plus confiance en la savate qu'en la bagarre quand il y a une telle différence de gabarit. Je ne peut plus utiliser le Ki mais je devrais réussir à le calmer si je lui fait assez mal. Sautillant sur place, je me prépare à l'assaut.
Qui ne vient pas.
Sur son chemin, monsieur gras-double s'est arrêté, bloqué par un bras tendu sur son chemin. C'est le type qui a réussi à me suivre des yeux juste avant ! Coiffé d'un chapeau conique aplati très large et habillé d'un kimono deux taille trop grand, il donne l'air d'être très décontracté. Tout en lui respire le baba-cool, de sa fine barbichette mal taillée à ses cheveux vert sombre longs et mal coiffés. Oh, et si c'est de l'alcool, il a aussi une bonne descente vu le nombre de flacons de terre cuite sur la table derrière lui.
*** : Du calme, Poa-kun. Calme mon ami. C'est un p'tit gars de chez nous.
Poa : J'ai pas vu son insigne, Ro. Je ne le connais pas et j'en suis pas sûr...
Ro : Tu as vu un peu sa vitesse ?
Poa : C'est un coup de tranche-bourse, ça.
Ro : Si c'était vrai, ils gagneraient plus à trancher des gorges. Regarde-le, mon ami. Il a l'air du genre à avoir peur et à fuir la garde ?
Tout deux me regardent. J'ai l'air un peu stupide à les observer en position de combat alors qu'ils discutent tranquillement. Mais je ne me relâche pas. Le bourrin n'aura besoin que de trois pas pour arriver au contact si l'autre baisse son bras. Le nommé Poa me regarde. Regarde son collègue. Puis, au bout de quelques instants de réflexion, retourne à sa place comme s'il ne s'était rien passé. Instantanément, au moment où ses fesses touchent son tabouret, les discussions reprennent comme si toute la scène n'avait été qu'une illusion.
Surpris, il me faut quelques secondes pour reconnaître, qu'effectivement, plus personne ne s'intéresse à moi.
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