Chapitre 26 : être un sauvage, ça rapporte!

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Les formations obligatoires de la population de Yamato-den étaient le fruit d'une évidence : Hors des murs, le danger est partout. Donc, chacun devait savoir se défendre. Une fois par saison, tous les habitants devaient suivre une formation obligatoire au sein d'une école de sabre ou chez la garde. L'Union pouvait fournir des dérogations si l'on suivait des cours avec un mercenaire, pratique courante chez les citadins de la classe moyenne ne voulant pas paraître ridicule dans des tenues d'entraînement à la mauvaise taille à agiter des armes de bois pendant trois jours.


C'est donc un groupe d'une vingtaine de ces citadins, hommes et femmes de tout ages et de diverses couches sociales, qui se tenaient dans la cour de l'école Jumoken, boucliers levés et lances baissées. Ils étaient trente à l'origine, leurs camarades étant éparpillés au sol un peu partout dans le reste de la cour. Formant trois lignes de bouclier hérissés arrangés en trois fronts, ils avancent doucement vers leur adversaire, un Yokai horrible remuant ses membres de façon frénétique au milieu du groupe tentant de l'encercler.


Sa peau est faite de fourrures de couleurs diverses et au bout de ses bras se trouvent des griffes hypertrophiées. Le visage grimaçant est crispé en un hurlement permanent, révélant des crocs impressionnants. Voûtée, la créature bouge de façon sporadique en grognant, menaçant tantôt un flanc plutôt qu'un autre.


Soudain, le groupe à sa gauche explose ! Se séparant, les guerriers tentent d'embrocher la créature en l'attaquant en même temps. Hélas pour eux, leur larges gestes permirent à l'horreur grimaçante de plonger sous leurs armes levées et de faire un carnage dans leur groupe aux boucliers baissés, frappant au niveau des cous non protégés. La bête, après avoir mis à terre la moitié de ses assaillants, se mit à courir, profitant du chaos pour passer derrière le groupe qui lui faisait face à l'origine, prenant à revers l'adversaire en le contournant et jouant sur le fait qu'il était impossible de reformer rapidement des lignes. Rapidement ce ne furent plus que cris, bousculades et injures, les gens ne parvenant pas à pivoter assez vite pour faire un nouveau front uni à cette horreur.


Kakura : Il suffit ! Fin de l'exercice !


Le Yokai stoppa immédiatement son assaut, glissant plus que courant en arrière pour s'éloigner des lances en train de s'agiter en tout sens mais surtout au-dessus de sa tête. La créature sembla se mettre à respirer profondément tout en se redressant lentement, reprenant une position bipède normale. Puis, au bout de quelques instants, les pattes griffues s'affairèrent sous son menton et le visage grimaçant bascula en arrière, se décollant du crâne.


Haiwaken : Pfiou ! Fait chaud là-dessous ! On sent que l'été approche !

Kakura : ça va ?

Haiwaken : Oui, c'est bon. Ils ne m'ont pas touché et de toute façon avec toutes les épaisseurs de peau que j'ai sur le dos je suis même pas sûr que je l'aurai senti !

Kakura : Je veut dire... On peut s'approcher sans risques ?


L'assemblée commence à rire, amusée. En plus des disciples de Jumoken il y a aussi d'autres personnes qui passeront aujourd'hui faire l'exercice réglementaire et les familles de ces derniers. Mes exercices de lutte anti-Yokai ont toujours leur petit public.


Normalement ils prennent un mercenaire qui a déjà eu affaire à eux qui raconte ce qui se passe quand on en croise, passant plus de temps à glorifier ses faits d'armes qu'à leur donner de vrais indices utiles à leur survie. En me basant sur les tenues utilisées par les théâtres locaux je me me suis fait ma tenue de Yokai et je m'en sers pour les mettre en situation.


Je n'ai pas encore croisé cet espèce de monstre humanoïde de petite taille nommé gobelin mais je mime efficacement le côté sauvage de ces créatures vu que la férocité et l'absence de peur semble être commune à tous les Yokais. La seule raison pour laquelle les OkamisJumo sont partis lors de leur nuée c'est parce que c'est une espèce territoriale qui a été chassée de son habitat par le comportement inhabituel de leur chef. Il ne faut pas espérer le même genre de fuite quand on tombe sur un groupe de Yokais lors d'un voyage vu que là ils jouent à domicile. En bref, je fais la créature dangereuse, vive, puissante, sournoise... selon les besoins du cours. Là je devais mettre le paquet pour leur faire comprendre l'importance du travail d'équipe et éliminer les imprudents voulant m'affronter en un contre un en touchant leur gorge avec mes griffes émoussées en bois ou mes fausses dents en tissu.


Kakura : Groupe suivant. En progression autour d'une cargaison. Attaque par le flanc. En position !


Un chariot rangé le long de la cour est mis en branle par deux étudiants de Jumoken pendant qu'une trentaine d'autres personnes rentrent sur le terrain d'entraînement, ramassant les armes de bois laissées au sol et relevant les citadins qui faisaient les morts. Ce sera une longue journée mais elle va me rapporter 60 Ro et une pointe de lance brisée pour Megumi. Je remets mon masque et me mets en condition.


Tout d'abord, se détendre. Puis, une fois que je n'entends même plus les conversations des gens, les rires des familles, les exclamations des voisins qui se congratulent ou se moquent, je touche du doigt ce qu'est la force. La sauvagerie. La vitesse. Des forces brutes présentent en l'air, dans le sol et en moi. Impossible d'exprimer ça en restant stoïque. Il faut l'accompagner. Se voûter. Le sentir en tous ses membres. La possibilité de vraiment ressembler à un Yokai est quelque chose que j'ai découvert par hasard, en regardant une représentation de théâtre. Leur jeu était exagéré et caricatural comme le veut leur tradition culturelle mais j'ai senti, au moment où l'acteur mimait le fait d'être un monstre, qu'il y avait autre chose dans l'air.


J'admets que ça a l'air dangereux mais je garde en fait l'esprit parfaitement clair. J'ai rangé cette découverte dans la catégorie des curiosités propres à ce monde sans y faire plus attention jusqu'à ce que j'ai les premiers cours de lutte contre les monstres chez Jumoken. Je me suis dit qu'on pouvait améliorer ça. Et, accessoirement, me faire payer au passage.


Kakura : Commencez le déplacement ! Hai-kun, quand tu veux !


Je regarde le groupe se déplacer. Ils ne sont pas supposés tous regarder dans ma direction, seuls ceux qui sont vers le milieu et de mon côté doivent le faire. Là, ils le font presque tous car je suis bien évidemment visible comme le nez au milieu de la figure vu que je me tiens seul dans mon coin de la cour. Mais je ne bouge pas. Pas maintenant. Le terrain est vaste et je les laisse avancer. Je les entends même se demander s'ils n'ont pas mal compris le sens de l'exercice.


Puis, je fonce ! Contractant le temps, je les rattrape, passe derrière le chariot et pivote brutalement pour faire face à l'autre flanc inconscient de la menace, laissant le temps reprendre son cours pendant que je charge les apprentis soldats sans méfiance.


On ne m'a pas dit quel côté attaquer après tout.


************************



Hiromi : Tu as compris maintenant ?

*** : …

Hiromi : Ce n'étais pas un hasard. S'il a pu tenir si longtemps face aux OkamisJumo, c'est parce qu'il est aussi sauvage qu'eux. Mais l'esprit clair. La stratégie fine. Kasumi, il faut recruter cet enfant dans notre troupe.

Kasumi : Quelle est ma tâche ?


Il y avait aussi des spectateurs à la scène. Lors des formations civiles, l'école était moins stricte au moment du filtrage de l'entrée et elle ne voyait aucun soucis à laisser entrer des mercenaires. Après tout, ils ne seraient pas en contact avec les élèves de l'école et libre à eux d'essayer de recruter des habitants de la cité. Si ces derniers suivent la formation obligatoire quatre fois par an, c'est que de toute façon ils s'étaient destinés à autre chose que la voie des armes. Habillés de façon civile, laissant leurs tenues de chasseurs au sein de leur nouvelle base d'Okonda, Hiromi et la jeune fille qui l'accompagne sont quand même très reconnaissables car tous deux des Tsumeningen à savoir des êtres humanoïdes possédant nombre d'attributs animaux. Dans leurs cas, leurs faces canines, leur longue queue touffue et leur pelage soigneusement taillé étaient bien en vue. Il y a des gens qui ne supportent pas leurs attributs animaux par stupidité, religion ou simple racisme mais on n'essaye pas d'embêter impunément des êtres qui ont naturellement des capacités physiques surhumaines.


Hiromi : Je t'en parlerai plus tard. Je voulais te montrer ce qu'il était devenu depuis le temps.

Kasumi : Il a... bien changé.

Hiromi : En effet, quelle vigueur !

Kasumi : Il était surtout très laid.

Hiromi : Pardon ?

Kasumi : Non, rien...


La jeune louve détourna instinctivement le regard. Mais sa queue était honnête. Intéressé, Hiromi n'insista pas et se concentra sur l'entraînement ne remarquant pas que quelqu'un d'autre était passionné par ce qui se passait sur le terrain. Un être totalement couvert d'une épaisse cape masquant jusqu'à son visage, ne laissant que deux points clairs de visibles sous la large capuche. Les yeux ne lâchaient pas la silhouette bondissante.


Hiromi : Navrés de ce détour. Nous allons reprendre votre découverte de la cité. Avez-vous des préférences ?


La silhouette masquée regarda Hiromi, puis le simili-Yokai avant de revenir à Hiromi.


*** : Un endroit où manger... Ce que je viens de voir m'a donné... faim...


Bien malgré lui, le chef des mercenaires frissonna. Il y a des missions plus pénibles que d'autres...

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