Chapitre 31 : Invité(e) surprise.
Megumi : Tu devrais arrêter de venir par les toits. Les voisins vont finir par jaser...
Haiwaken : Je sais, mais c'était urgent.
Megumi : C'est ce que tu dis tout le... mais c'est quelqu'un ! Je croyais que tu portais un sac !
Haiwaken : Pas si fort ! Comme j'ai dit, c'était urgent.
Passant par la porte de la terrasse, je pénètre dans l'appartement et pose le gosse par terre. Il semble être dans un état bizarre, bafouillant des trucs du genre « encore ?! » ou « je vais mourir, là je vais mourir ». Je suis pourtant sûr qu'il ne s'est pas cogné la tête. Les inconnus armés l'ont empoisonné avant que j'arrive ? Possible.
Haiwaken : Regarde s'il a pas de blessures. Je vais fermer les volets pendant ce temps.
La probabilité que l'on nous voie depuis la rue est faible mais pas inexistante, surtout avec le marché en face de chez nous. Je ferme donc les volets à moitié, plongeant la pièce dans une demi-obscurité. Après tout, une maison aux volets fermés serait tout aussi louche.
Megumi : Il s'est passé quoi ?
Haiwaken : Une agression. C'est un gosse de riche qui avait du monde après lui. Pas des tendres vu l'arme sortie. Un poignard tout noir et qui n'a aucun reflets.
Megumi : Une lame légèrement courbe ? Avec une garde arrondie allant jusqu'au poignet ? Une rainure tout du long de l'intérieur de la lame ?
Haiwaken : Pour la rainure je ne suis pas sûr vu que j'étais un peu loin mais pour le reste tu as tout bon. Il me flanquais des frissons dans le dos à distance.
Megumi : Une lame maudite de Murasama ! Comment une de ces horreurs a pu pénétrer en ville !?
Haiwaken : Pas si fort ! Comment va notre invité ?
Megumi : Invité ?
Haiwaken : Il vient du quartier nord-est vu ses fringues de riche et je ne peut pas le ramener comme ça. Je vais contacter Song pour qu'il m'envoie une autorisation écrite me permettant de m'y rendre. Je vais écrire la lettre de suite et la faire envoyer par un jeune.
C'est la variante locale du courrier express. Pour quelques pièces de bronze, des gamins sont près à galoper pour envoyer du courrier d'un point à l'autre de la ville. On connaît quelques gosses de confiance dans le coin et on va s'en servir. Les assaillants m'ont vu après tout, il vaut mieux que je ne sorte pas en attendant que ça se tasse. Pourquoi je n'envisage pas de passer par la garde ? Parce que dès que ça concerne les riches il faut se méfier de qui leur donnent des ordres. La milice assurant l'ordre au sein de la cité n'est pas limitée par un contrat la liant au gouverneur, les plus riches peuvent se permettre de leur donner des ordres et non seulement ils leurs obéissent mais risquent des punitions s'ils se rebellent contre les décisions des puissants.
Megumi : Haiwaken ? La lettre progresse ?
Haiwaken : Tu sais bien que moi et l'écriture... Il y a un soucis ?
Megumi : Ne rentre pas dans l'atelier. Reste dans la chambre, compris ?
L'urgence dans sa voix me fait me lever et agripper mon poignard. Je pénètre dans la pièce pour trouver Megumi, debout bras écartés entre moi et le gamin.
Megumi : Je t'ai dis de rester à l'intérieur !
Haiwaken : Il est blessé ? J'ai ce qu'il faut si il y a besoin de...
Megumi : Il va très bien. Non, en fait, il ne va pas bien. ELLE va très bien. Maintenant, retourne dans ta chambre pendant que je la rhabille, d'accord ?
Haiwaken : Oh...
Me sentant un peu stupide, je retourne dans la chambre en espérant que l'inconnue ne prenne pas le fait que je l'ai maintenue dans mes bras pendant tout le long de cette course pour un pelotage. On rigole pas avec le manque de respect aux classes sociales ici.
************
Maintenant qu'elle a repris plus ou moins conscience de son environnement, la jeune fille reste assise sur son coussin de paille, nous regardant alternativement, un peu hébétée. On est installés autour du foyer de la cuisine selon les coutumes locales à savoir que Megumi est à la place du maître de maison, je suis à celle de la famille pendant que l'inconnue est à la place de l'invité. On espère que ça va la rassurer un peu. Les foyers sont des trous carrés dans le sol où de la terre fait office d'isolant pour permettre de brûler du bois en toute sécurité. On en a deux dans la grande pièce, un qui est dans la cuisine et que nous utilisons en ce moment, l'autre étant devenu un outil de la forge.
Je suis en train de préparer du thé. Je ne suis pas très doué dans cette tâche mais le maître de maison n'a pas à le faire quand il y a des invités donc je m’exécute.
Megumi : Je me présente, je me nomme Megumi. Tu es ici chez moi et tu y es la bienvenue. Mon ami Haiwaken, ici présent...
Haiwaken : Salut.
Megumi : … t'a trouvée alors que tu étais poursuivie. Il a fait usage de ses droits de mercenaire pour intervenir et t'extraire de la situation.
*** : M'extraire... Me catapulter, oui...
La fille est bien plus petite que moi mais s'exprime très clairement sans bafouiller. Je la soupçonne d'être plus ou moins de mon âge mais bâtie avec une charpente deux crans inférieurs. Après tout, s'il y a des géants comme Ishima ce ne serait pas surprenant qu'il y en ai qui soient plus menus. Ses cheveux sont d'un blanc presque éclatant que je n'ai encore jamais vu et sont portés très long encadrant son visage et lui retombant sur les hanches. Avant, ils étaient serrés dans un chignon. Sans surprise, sa tenue de ville est de très bonne facture. C'est un ensemble pantalon et chemise de toile de soie normalement dévolu aux garçons mais il semble parfaitement ajusté à sa taille.
Haiwaken : J'avais l'avantage de la mobilité. Ils étaient gênés par leurs habits longs mais je n'avais pas ma lance ni ma hachette vu que j'étais parti à la récolte de plantes. Juste avec mon couteau face à trois hommes armés tout en protégeant quelqu'un... Nan, mauvais calcul. Bref, je t'ai jeté sur l'épaule et j'ai couru...
*** : Sauté...
Haiwaken : …. un peu partout pour les semer. J'espère qu'il n'y avait pas un ninja dans le tas.
Megumi : Tu es en sécurité ici...
*** : Où sommes-nous ?
Mégumi : Va vers la fenêtre mais ne t'approche pas de l'encadrement pour qu'on ne te vois pas... ça, c'est le marché. Le grand marché, celui au nord-est de la ville, près de la porte est. On est sur le flanc sud et si tu regardes vers la gauche... Là... Ce sont les toits du palais qui pointent. Tu vois ?
L'inconnue se détendis si brutalement qu'elle en tombe au sol. On fonce pour la ramasser mais elle étend une main en notre direction, nous faisans signe d'attendre. On obéit et patientons pendant qu'elle se relève doucement et s'installe de nouveau au foyer. Je lui dépose une tasse de thé.
Megumi : Pendant ton... inconscience... Haiwaken a contacté un bureaucrate du château. Il devrait nous obtenir un permis rapidement.
*** : Un permis pour quoi ?
Megumi : Pour pénétrer dans le quartier Nord-est. Nous n'y travaillons pas et ne pouvons pas nous présenter ainsi au pont.
*** : Oui, le pont... J'ai encore mes armes familiales donc je dois pouvoir passer. Mais une fois seule de l'autre côté...
Haiwaken : Ils pourraient t'y suivre ?
*** : Je soupçonne que ce soit de là qu'ils proviennent.
Megumi : Mais bien sûr !
Elle claque sa main sur sa cuisse, nous faisans tous deux sursauter.
Megumi : Comment faire entrer des trucs aussi dangereux que des lames Murasama ? En passant par l'entrée nord ! Les gardes ne fouillent pas les affaires, trop occupés qu'ils sont à tenir les portes ouvertes en grand ! On fait quoi maintenant ?
Haiwaken : On... Attendez...
J'entends des cris accompagnés de sifflets que j'ai appris à relier ensemble pour signaler l'action de la milice, la garde armée assurant la sécurité à l'intérieur de la ville. Ils poursuivent quelqu'un. Je me glisse près de la fenêtre, observant la rue. Je reconnais de suite un des individus qui coursait la jeune fille. Même genre de tenue, même gêne. Vu que les gardes gagnaient sur lui il abandonne sa cape et révèle donc un jeune homme dans une tenue d'un étrange violet clair. On retrouve cette couleur sur toutes les broderies de son kimono comme sur les plaques d'armure couvrant son poitrail, ses avants-bras et ses jambes. Une fois libéré de sa gêne, sa foulée est bien plus vive et il se jette dans le marché pour semer ses poursuivants. Pas une seule fois il n'a regardé dans notre direction.
Sa tenue est trop bien organisée. C'est la marque d'une force armée. Des mercenaires ? Ou des hommes d'un autre clan samouraï que le clan Oko ? Mes oreilles perçantes perçoivent d'autres sifflets, beaucoup plus loin. Je retourne à ma place, un peu agacé.
Haiwaken : Ils te cherchent encore on dirait. Mais c'est juste la mauvaise nouvelle. La bonne c'est que la garde les cherche, eux. Le fait de brandir des couteaux en pleine rue a le chic de les énerver... Panique pas comme ça, petite, ça veut juste dire qu'il va falloir patienter un peu avant de sortir te ramener chez toi.
*** : Je ne suis PAS petite !
Haiwaken : Oui, comme tu veux. Arrête de me taper s'il te plaît...
Ses petits poings ne me font pas le moindre mal mais c'est blessant pour mon amour-propre. J'ai toujours été un papy gâteau et avoir un gamin qui me tape dessus me fait mal au cœur. Elle cesse, boudeuse, retournant à sa place. Au moins elle va mieux.
Haiwaken : Tu peut t'occuper d'elle ? Je vais attraper un gosse pour qu'il ramène les herbes à l'Union.
Megumi : Tu n'as pas peur qu'il prenne l'argent à son nom ?
Haiwaken : Tant pis. Ce sont des plantes médicinales et l'avis marquait « urgent ».
Megumi : Ta bonté est ta faiblesse.
Haiwaken : J'y vais.
Je descend donc l'escalier de service. Il mène aux ruelles à l'arrière, m'assurant une certaine discrétion. J'entrouvre la porte et guette à droite car c'est là que se rassemblent les petits jeunes qui font les coursiers. De là ils sont visibles par l'arrière-boutique de la plupart des magasins formant le front de l'avenue. Ceux-là sont normalement appelés par la forge Idaï mais Goro est si pingre qu'ils préfèrent bosser pour moi dès qu'ils le peuvent. Je claque des doigts et un d'entre eux vient de suite en courant.
Haiwaken : C'est une mission un peu particulière cette fois. Il faut amener ce sac d'herbes au centre de l'Union. Tu sais où c'est ?
*** : Wep. Facile. Pas lourd en plus. 4 Pièces.
Haiwaken : 3. Mais si tu ramène la certification de mission bien remplie par l'Union ce sera 6.
*** : Marché conclu !
Une tape dans la main plus tard, le sac change d'épaule et le gamin file vers l'avenue. J'espère juste que les mystérieux assaillants ne soient pas physionomistes au point de reconnaître le sac que je portais. Il est d'une apparence assez basique après tout. Je remonte dans l'appart pour faire le point avec Megumi.
Haiwaken : Meg-chan ? On en est où question nourriture dans le cellier ?
Megumi : Pour une semaine pour nous deux. Quatre jours à trois si on fait durer.
*** : Pourquoi ?
Haiwaken : Pardon ?
*** : Pourquoi vous m'aidez ? Vous ne savez rien de moi. Vous plongez dans des ennuis très dangereux en m'approchant en ce moment...
Megumi : Quelqu'un qui menace une fille ne mérite que d'avoir sa virilité arrachée et servie en sashimi à un chien.
L'inconnue en fait un pas en arrière. Oui, Megumi peut être très intense quand on touche aux sujets sensibles. Le coup qu'elle a reçu au visage a laissé des marques profondes en son for intérieur. Je tapote le sommet du crâne de la gamine pour la rassurer.
Haiwaken : Moi j'ai toujours aimé aider les gamins. Depuis longtemps.
*** : Vous êtes AUSSI un gamin !
Haiwaken : J'entends ça souvent... Bon, plus sérieusement, je suis un mercenaire de l'Union. Quand je suis face à une situation qui viole la loi j'ai le droit de rester neutre et garder l'arme au fourreau ou dégainer et assumer mes actes. J'admets que le niveau d'équipement de ces types est inquiétant et j'ignore combien ils sont mais j'ai mes propres relations.
Megumi : Tu ne vas pas faire venir Ishima-san j'espère ? Il n'arrive pas à arrêter de boire et on subit les remontrances de Motoko-san après...
Haiwaken : On va laisser l'option nucléaire de côté pour le moment. Je pensais plutôt à des contacts me permettant de faire venir quelqu'un jusqu'au quartier Nord-est en toute discrétion...
Megumi : Tu as un plan ?
Haiwaken : Une idée plutôt. On va attendre la réponse de Song-san. Sans son autorisation on sera pieds et poings liés une fois devant le pont.
L'inconnue nous regarde l'un après l'autre, sidérée. Je commence à avoir l'habitude de ces yeux exorbités mais ça semble gêner Megumi.
Megumi : Ne t'en fais pas. Nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour faire en sorte que tu arrives saine et sauve chez toi.
*** : Vous... vous... vous venez de parler d'Ishima ? L'instructeur de Shinden ? Le fou ? Et Motoko... Ce serait Karuma-san ? Celle qui laisse une montagne de blessés derrière elle à chaque séance d'entraînement de la garde ?
Megumi : Oui, ce sont eux. Mais Ishima-san est plutôt quelqu'un qui s’ennuie facilement et Motoko est juste très efficace dans ce qu'elle fait. Je les aime beaucoup et Ishima-san a la politesse de ramener l'alcool qu'il boit ici, nous évitant de finir sur la paille.
*** : Vous... vous...
Elle en reste la mâchoire pendante. Je la dépasse, m'installant à la forge pour affûter mon couteau qui a bien souffert pendant la promenade en forêt. Je l'entends arriver derrière moi et elle s’assied, restant silencieuse. Pendant ce temps, Megumi est allée au cellier pour faire un point plus précis, évaluant combien de temps on pourrait tenir sans mettre le nez dehors ni demander les services d'un des gosses pour se faire livrer quelque chose.
*** : Saori...
Haiwaken : Pardon ?
Saori : Saori... C'est mon nom.
Haiwaken : Enchanté, Saori-dono. Navré de t'avoir emporté de façon aussi cavalière mais j'ai dû improviser.
Saori : Hum ! Heu... Haiwaken-san ?
Haiwaken : Pas besoin d'être aussi polie avec moi, Saori-dono. Je suis clairement d'une caste qui t'es inférieur.
Saori : Si vous le souhaitez ainsi... Hum... Haiwaken... Y a t'il des lieux d'aisance, ici ?
Haiwaken : Oh... Je pense que tu risque d'être... heu... surprise.
Annotations
Versions