Au détour de la rivière
- Nous serons bientôt sur le site, Monsieur, informa le guide local.
Daniel trépignait d'impatience. On l'avait appelé en renfort sur un site archéologique très intéressant mais difficile d'accès. Perdu au cœur de la nature, il fallait suivre la rivière sur plusieurs kilomètres avant d'atteindre un petit escalier rocheux, taillé à même la falaise, qui débouchait sur un petit chemin de terre serpentant entre les arbres. Une véritable aventure en soi, pour le peu qu'on ait le cœur suffisamment accroché pour aller au bout de l'itinéraire de fortune. Exit l'archéologue armé d'un lasso ou d'une belle voiture tout terrain.
Ce n'était pas son habituel chantier universitaire, son bébé, qu'il examinait sous toutes les coutures depuis déjà dix-sept ans. Le projet de toute sa vie... Il passait tout son temps sur le site pour les fouilles durant la belle période estivale, caché dans le laboratoire de la faculté durant l'hiver pour les travaux post-fouilles et donnait à l'occasion des cours passionnants -de son point de vue- à des étudiants moitié intéressés, moitié endormis. Il savait très bien qu'il ne susciterait pas beaucoup de vocation mais peu lui importait. Tant qu'il éveillait un minimum l'intérêt de ceux qui prenaient part à son chantier, rien ne pouvait le détourner de sa passion. Il aimait partager, transmettre. Il fallait être curieux pour rejoindre la bande. L'équipe était sa seconde famille...
Conscient que ce chantier n'aurait rien à voir avec le sien, il chassa toutes les données qui saturaient son cerveau. Il ne devait pas avoir d'idée préconçue. Il était le regard neuf censé débloquer la situation, trancher. Il y avait trop de débats autour de cette structure mystérieuse que l'équipe espagnole avait déniché. Il sourit en réalisant que son métier lui permettait de s'ouvrir à tant de cultures différentes, qu'il s'agisse de confrères ou de civilisations anciennes. Tous étaient importants et faisaient partie de ce monde, de son Histoire.
Il jubila en apercevant le petit escalier de pierres, là, à quelques mètres seulement. Bientôt, il verrait de ses propres yeux l'objet de toutes ces disputes. À quel peuple appartenait-elle ? De quelle époque venait cet indice inestimable enfin exhumé ? Il adorait cette part de son job. Il se voyait comme un enquêteur du passé, armé d'une truelle, un relai entre le passé et le futur. Il se savait privilégié au quotidien. Peu de personnes avaient la chance de manipuler des sigillées ou, plus rare encore, des strigiles. Ces pièces faisaient le bonheur des chanceux qui mettaient la main dessus. Mais tout dépendait des sites explorés. Des périodes concernées. Parfois, il ne restait qu'une fine couche noire d'occupation, témoin fragile de l'existence d'un foyer, là, à même la terre. Il fallait être délicat...
- Faites attention en vous levant, Monsieur. L'embarcation n'est pas stable. Le courant est un peu fort aujourd'hui, ajouta le guide.
Doucement, il aida le spécialiste à se lever et le dirigea tout en finesse vers la première marche. L'embarcation pencha à peine lorsqu'il transféra son poids sur son autre pied. Tout allait bien. Une fois totalement sorti de son moyen de transport, il lui tendit son sac qui pesait une tonne. Daniel aimait avoir son propre matériel, question de superstition.
- Quelqu'un vous attend déjà là-haut. A ce soir ! sourit le guide.
Son salut lui fut rendu et l'homme nerveux inspira profondément. Ça y est. L'aventure pouvait enfin commencer !
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