(Texte lié à celui intitulé "Parmi les flots") 

Le soleil se couchait dans ce petit coin tranquille. Liliana avait enfreint le règlement et avait foncé tout droit vers la surface. Vers le monde des hommes. Elle savait qu'il était interdit d'entrer en contact avec eux sans l'accord des responsables administratifs. Une autorisation bien difficile à obtenir. Un sésame trop rare... Elle ne l'aurait jamais. Alors elle avait désobéi !

Elle rêvait vraiment de pouvoir observer le soleil se coucher. De voir naître les étoiles dans le ciel et la lune reprendre sa place habituelle. Elle voulait connaître autre chose que la fraîcheur des fonds marins. Juste une fois. Elle pourrait bien affronter leur courroux après cela. Ce n'était pas grave. Pour l'heure, seule son excursion comptait à ses yeux.

Amusée, elle émergea doucement des flots et se figea en découvrant l'astre solaire qui disparaissait déjà à l'horizon. On lui avait déjà décrit ce phénomène mais elle n'avait jamais pu le voir de ses propres yeux. Un ravissement ! Toutes ces teintes orangées qui embrasaient le ciel ! C'était tellement beau... Elle voulait graver ces images profondément dans sa mémoire, craignant de rester à jamais coincée dans les fonds obscurs lorsqu'elle serait punie.

Un vrombissement la fit soudain tourner la tête. Un peu plus loin, la côte où vivaient les hommes la jaugeait. Une espèce de gros caillou très haut sur lequel ils bâtissaient des maisons. Où ils se promenaient, d'après les dires de ses concitoyens. Quel pouvait être ce bruit ? Effrayée, elle découvrit une grosse boite de métal lui foncer dessus, ou plus précisément plonger dans l'océan. L'impact fut violent. Elle s'écarta un peu, à demi cachée sous la surface. Qu'était-ce ? Elle n'entendait plus rien. La chose sombrait sans un bruit, laissant échapper de nombreuses bulles d'air qui venaient éclater à la surface.

Avide de connaissances, elle prit son courage à deux mains et s'approcha de l'objet qui sombrait inexorablement vers son foyer. Quelle ne fut pas sa surprise en découvrant des êtres vivants coincés à l'intérieur ! La plupart ne bougeaient pas, un fin filet rouge s'échappant de leur corps pour se mêler à l'eau glacée. Et puis elle remarqua l'homme qui se débattait encore, à moitié fou. Il voulait s'en sortir. Elle ne pouvait pas rester là, à s'en tamponner les écailles, alors qu'il pouvait s'en sortir.

Consciente d'enfreindre de nombreuses règles ce soir-là elle remonta sa tunique de coquillage pour cacher sa poitrine et fonça vers la portière. Elle tira de toutes ses forces, libérant sans mal la voie. Les sirènes étaient beaucoup plus fortes que les humains... Sans perdre une seconde, elle attrapa l'humain paniqué et le remonta à la surface. Il était en état de choc. Il comprit tout de même qu'on lui venait en aide et il ne résista pas.

Délicatement, Liliana le déposa sur un rocher. Elle resta là une petite minute, pour mieux l'observer. Ainsi étaient les jambes humaines, alors ? Elle gloussa, trouvant cela un peu laid. Il s'en sortirait. Ses compagnons non. Il était trop tard. Elle murmura une prière pour lui souhaiter un bon rétablissement et l'abandonna là, prête à retourner chez elle. Ils auraient beaucoup à faire... Une carcasse à explorer. À vider. Des corps inconnus à honorer. Tout ce que la mer avalait devait être honoré. Ce qui allait dans l'océan le rendait plus fort. Ces humains pouvaient être fiers de faire partie de ce cycle...