Recueil épistolaire : Lettre 2
Château de Turnberry
Ecosse
le 25 mai 1295,
Duncan,
Le domaine familial ne m’avait jamais paru aussi agité. Le monde est devenu fou, mon cher ami. J’espère que tu te portes bien, que ta femme et ton fils sont également en bonne santé. Le printemps a malheureusement apporté avec lui les embarras hivernaux.
Ma mère est décédée des suites de sa maladie, à croire que son autorité n’a su faire fuir les ardeurs macabres de la Mort. Il fallait bien qu’elle s’en aille un jour, et ce jour je ne l’attendais plus ! Non, je ne pense pas être un fils indigne ; mais s’il te plait Duncan, n’abroge pas notre amitié pour une simple déclaration. J’aimais ma génitrice ; simplement son absence renforce cet amour filial. Comme tu peux t’en douter, j’ai hérité du titre de comte de Carrick à sa mort. Me voilà un homme nouveau, tu me dois désormais totale allégeance ! J’entends déjà ton rire en écrivant ces mots. Depuis combien d’années ton visage ne s’est-il pas présenté devant moi ?
Comme je le disais plus haut, le pays n’est pas au mieux de sa forme, et j’ai vite oublié mes propos haineux adressés au roi Edouard Ier d’Angleterre. Cela me fait mal de le reconnaître, sa suzeraineté est peut-être une bonne chose pour l’avenir. Cette acceptation m’a permis d’ajouter un second titre à ma carrière : baron Bruce d’Anandale, reçu dans la prairie d’Angleterre cette même année. Sais-tu que les Anglais s’attachent à suivre de nombreux critères de vie en société ? J’ai dû moi-même participer à des cours avant de me présenter devant le roi. Bien que nos pays partagent une même frontière, les us et coutumes sont bien différents ! Le dépaysement était presque total lors des discussions animées que j’ai pu entretenir avec d’aimables gens de la cour. Je ne m’attarderai pas trop à parler des Anglais, tu dois également avoir fait de nombreux voyages dans leurs terres. Ton frère te suit toujours avec autant d’émerveillement ?
En parlant d’enfant, je t’avais envoyé une invitation que tu n’as dû jamais recevoir. C’est triste de se dire qu’une lettre peut être encore plus éphémère qu’un papillon, risquant de ne jamais atteindre l’étape ultime de la lecture par son destinataire. Ainsi, je me suis marié lors d’une somptueuse cérémonie au château de Turnberry. C’était il y a quelques jours, j’espère que tu m’enverras bientôt l’explication de ton absence. Mon épouse, Isabelle de Mar, serait ravie de faire ta connaissance, j’en suis certain.
Dans ta précédente lettre, tu me racontais tes aventures parmi les rebelles. Je n’aurai jamais parié sur ton engagement dans ce combat aussi incertain. Quoique, ton tempérament ne laissât présager rien d’autre qu’une prise de risque inutile. Je ne te juge pas, rassure-toi, j’ai simplement peur de perdre mon plus cher ami. Si je puis me permettre un conseil : ne joue pas avec le feu, ton frère a besoin de ta présence pour perpétuer le nom de votre famille. Je tiens par ailleurs à t’avertir qu’Edouard cherche à resserrer son emprise sur l’Ecosse. Ce n’est pas pour rien que tu le surnommais « le marteau des Ecossais » ! Cette information n’est pas un acte de délation de ma part, ses actions ne sont un secret pour personne. Je n’aurais pas aimé être à la place de Balliol : le pauvre a été humilié. Le roi d’Angleterre a bien établi son jeu en le choisissant à ma place. Il n’a pas traité une seule fois notre roi comme son égal ; mais plutôt à l’instar d’un vassal. Notre chère Alba est-elle si indigne de prestige ?
Ainsi ma lettre s’achève alors que la guerre d’indépendance commence. Es-tu un partisan de l’Auld Alliance[1] ?
N’oublie pas ma mise en garde.
Sincèrement,
Robert Bruce.
[1] Alliance nouée entre les royaumes de France et d’Ecosse contre l’Angleterre.
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