Chapitre 1

4 minutes de lecture

Dark Enough to See the Stars - Weezer

Fermer les yeux, prendre une grande inspiration, sentir l’air progressivement remplir ses poumons, avoir l’impression que le temps est suspendu durant ce court instant…

Et puis expirer, ouvrir les yeux, revenir brutalement à la réalité. Se retrouver face au miroir, affronter son propre regard, observer en détail ce visage creusé par la fatigue, ces lourdes poches sous les yeux et ces mâchoires serrées.

Un garçon, debout dans sa salle de bain, se dressait devant son reflet, détaillant les dégâts de la soirée de la veille. Aucun des muscles de son corps ne bougeait, la lumière blanche lui faisait mal aux yeux, il avait la tête qui tournait et ressentait des courbatures dans tout son corps.

– Putain… souffla-t-il mollement.

Pourtant, la soirée s’était très bien passée, c’était peut-être même la meilleure de toute sa vie. Il ne s’était pas autant amusé depuis des mois, et il avait enfin eu l’impression de se sentir bien, de pouvoir rire à gorge déployée et de se sentir aimé. Il se souvient encore du “Joyeux anniversaire !” que tous ses potes avaient chanté en lui amenant un grand gâteau. Il se rappelle aussi de ce moment gênant où il devait trouver un discours à prononcer, où tout ce qu’il avait trouvé à dire était : “Merci à vous tous, j’vous aime trop !”

Ce n’était pas la gueule de bois qui le mettait dans un état pareil. Non, dans son regard pouvait se lire quelque chose de beaucoup plus profond. Un mélange d’images de la veille se bousculait dans son esprit, et il souriait sur chacune d’entre elles. Et plus il se souvenait de ces moments qui l’avaient rendu heureux le temps d’un soir, plus il voyait son visage se creuser dans le reflet du miroir.

Ce vingtième anniversaire, qui restera certainement gravé dans sa mémoire, était le tout dernier qu’il fêterait.

Car il allait mourir, le jour de ses 21 ans. Et il n’y avait rien pour empêcher cela.

***

Juste des potes qui discutent tranquillement autour d’une table…

– Eh les gars, vous avez entendu parler ? À c’qu’il parait y a un gars, dans sa famille, tous les aînés de la génération meurent à vingt-et-un ans, pile le jour de leur anniversaire. Et ça dure depuis des siècles !

– Ah ouais j’avais entendu parler, c’est incroyable comme histoire !

– Et en plus, le mec vient de fêter ses vingt ans, ça veut dire qu’il lui reste tout pile un an à vivre.

– Mais nan c’est dingue, et il sait comment il va mourir ?

– Nan, y en a qui sont morts de maladie, d’autres d’accidents de la route, et le dernier s’est fait poignarder par un drogué dans la rue.

– C’est chaud… c’est comme s’il y avait une malédiction sur leur famille.

– Bah pour la première fois le mec est fils unique, ça veut dire qu’il sera le dernier à mourir.

– Imagine, tu connais le jour exact où tu vas mourir, ça doit être horrible…

Il y eut un blanc de quelques secondes autour de la table. Comme s’ils venaient de tous prendre conscience de quelque chose qui les dépassait, et personne n’osait sortir un son de sa bouche. Ils se regardèrent entre eux, chacun cherchant à trouver quelque chose à dire pour briser le silence.

– Nan au contraire, c’est trop bien ! Tu peux t’amuser tout le temps qu’il te reste, t’as pas à travailler ou à aller en cours, tu fais c’que tu veux et personne peut te donner de leçon. T’es libre en fait !

– Ouais, mais j’pense que quand t’es le jour juste avant ta mort, tu dois vraiment flipper… Y a l’instinct de survie, tu vois, j’suis sûr qu’à chaque fois, ils sont devenus paranos et ils ont tout fait pour survivre.

– Bah justement, c’est ce qui est arrivé à son grand-oncle : le mec est devenu fou à un mois de ses vingt-et-un ans et il a essayé de se suicider plusieurs fois, mais à chaque fois y avait un miracle qui le sauvait. Ils l’ont emmené en hôpital psychiatrique et il est mort le jour de son anniversaire d’une crise cardiaque.

***

Des milliers d’images assaillaient son esprit, des milliers de morts possibles qu’il n’avait jamais pu s’empêcher de s’imaginer. Le jour J approchait si vite, ce n’était plus qu’une question de mois… Les battements de son cœur devenaient si forts qu’il avait l’impression que sa cage thoracique allait rompre.

Alors il ferma les yeux, prit une grande inspiration, sentit l’air progressivement remplir ses poumons. Il posa délicatement sa main tremblante sur sa poitrine.

Son coeur se mit aussitôt à ralentir, les images devinrent floues, s’estompèrent et commencèrent à disparaître peu à peu. Lorsqu’il finit d’inspirer, il s’arrêta un instant, profitant de ce moment où il avait l’impression que le monde s’était arrêté de tourner autour de lui, que le fardeau qu’il avait à porter n’existait plus…

C’était un rituel qu’il effectuait à chaque fois qu’il sentait qu’il commençait à paniquer. C’était sa mère qui le lui avait appris, lorsqu’il se réveillait la nuit en faisant des cauchemars.

Soudain, il expulsa d’un seul coup tout l’air qu’il avait accumulé. Il ouvrit les yeux et revint brutalement à la réalité. Seul, face à son reflet dans le miroir.

“Plus qu’un an…”

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