Chapitre 10

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FEAR. - Kendrick Lamar

– Qu’est-ce qui t’amènes par ici ? lança-t-elle sèchement.

– J’suis venu chercher des affaires, répondit Antoine.

C’était un mensonge, juste un faux prétexte pour venir lui rendre visite. Il savait que, même si elle ne semblait pas réagir lorsqu’il venait, cela lui faisait très plaisir.

Elle vivait seule dans cette maison. Son mari les avait abandonnés, du jour au lendemain, sans prévenir, sans doute terrifié par l’idée qu’il allait perdre son fils et qu’il ne voulait pas vivre une telle épreuve, après avoir déjà vu son propre frère y passer.

Elle avait choisi de rester, mais s’était efforcée de se montrer la plus détachée possible de lui, refoulant la moindre once d’amour qu’elle pouvait éprouver. Et ça l’avait rongée jusqu’au plus profond d’elle. Ses cheveux étaient devenus gris et tournaient lentement au blanc, elle était plus maigre à chaque fois qu’Antoine lui rendait visite, et elle avait fini par sombrer dans l’alcool et le tabac, harcelée par les journalistes qui sonnaient sans cesse à sa porte pour lui arracher une interview à propos de son fils, pour lui demander à quel point ça devait être douloureux et difficile de s’imaginer, à chaque jour de son existence, que ce à quoi elle tenait le plus au monde allait disparaître à coup sûr, dans d’horribles souffrances, sans qu’elle ne puisse rien y faire.

Antoine s’assit à côté d’elle. Il venait certainement par culpabilité, parce que c’était principalement de sa faute si la vie de sa mère était devenue aussi merdique, comme elle aimait le répéter.

– J’ai fêté mes 20 ans dans mon appart, avec des potes. C’était cool.

– Ah, c’était ton anniversaire ? J’avais complètement oublié. Bah, joyeux anniversaire, Antoine !

Il savait très bien qu’elle mentait. Rien ne la hantait plus que ce premier décembre, elle n’aurait jamais pu oublier.

– Ça me fait bizarre de me dire que c’était le dernier… J’aurais bien aimé le fêter avec toi.

Soudain, sa mère se leva, écrasa sa cigarette sur le cendrier posé sur la table basse devant elle, et commença à s’éloigner.

– Écoute-moi, Maman, ça me fait pas plaisir de te revoir, mais j’en ai besoin. J’ai besoin de voir ma Maman, de parler avec elle, de me confier ! Comme une Maman normale, quoi !

Elle fit brusquement demi-tour et le fixa avec un regard noir.

– Je suis pas une mère normale, d’accord ? hurla-t-elle. Je mérite même pas d’être ta mère ! Alors rends-moi un service : tout ce que je demande, c’est que tu te casses d’ici et que je te revoie plus jamais !

– Arrête ça, je sais que tu le penses pas. Viens te rasseoir, on va parler calmement, je peux t’aider à aller mieux, on peut essayer d’aller mieux, tous les deux !

– Fous-moi la paix ! J’ai pas envie de me battre, j’ai pas envie de remonter la pente ou même de me forcer à sourire. Laisse-moi m’enfoncer tranquillement, toute seule. Moi, j’te laisse crever en paix, alors fais la même chose pour moi, je t’en supplie !

Antoine sentit des larmes lui monter aux yeux. Il avait la gorge nouée, il était au bord de l’explosion. Il restait pétrifié, debout, les bras ballants et les yeux embués, tandis que sa mère était en train de tousser bruyamment.

– J’ai mal à la gorge, maintenant, à force de gueuler. Écoute-moi bien, je suis la pire des mères, et je veux pas que tu reviennes. D’ailleurs, je vais changer la serrure quand tu seras parti. Je ne t’aiderai pas, et tu ne m’aideras pas, et au moment où tu seras hors de cette maison, je te demande de m’oublier, de faire comme si je n’avais jamais existé.

Antoine se battait pour retenir ses larmes. Il sentait que s’il disait encore un mot, il ne tiendrait plus. Alors il se dirigea vers la porte et l’ouvrit en tremblant.

– Adieu, Maman, souffla-t-il. Je t’aime.

Et à la seconde où il fut dehors, elle claqua violemment la porte derrière lui.

Alors il s’effondra, et laissa toutes les larmes de son corps inonder son visage et rouler sur ses joues rougies. Il était détruit, il lui restait moins d’un an à vivre, et il était complètement perdu, sans repère, sans rien pour s’appuyer.

De l’autre côté de la porte, sa mère fermait les yeux et serrait la mâchoire. Elle se dirigea vers le frigo, ouvrit la porte, et contempla durant quelques secondes le gâteau qu’elle avait mis des heures à préparer. Il était magnifique, elle s’était entraînée plusieurs fois pour cuisiner ce gâteau, pour qu’il soit parfait le jour de l’anniversaire d’Antoine. Elle y avait même planté des bougies, une avec un 2 et une avec un 0.

Et en fixant ces bougies, elle jouait avec son briquet, faisant rouler son pouce dessus pour l’allumer et l’éteindre.

Elle prit alors l’assiette sur laquelle était le gâteau, puis la balança violemment au sol en poussant un violent cri de rage.

Elle se brisa en mille morceaux, et le gâteau s’étala sur le carrelage.

Alors elle prit une grande inspiration, sortit une cigarette de sa poche, l’alluma et la porta à ses lèvres.

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