Chapitre 32
*Quelques mois plus tard, la veille du jour fatidique*
Dire que les six mois qu’il venait de vivre avaient été les plus beaux de sa vie, ça n’aurait pas été assez pour exprimer ce qu’il ressentait. Il aurait pu jurer que sur les huit milliards d’humains qui peuplaient cette planète, c’était bien lui qui avait été le plus heureux sur ces derniers mois. Et il trouvait cela assez paradoxal, qu’il faille être au plus proche de la mort pour profiter au mieux de la vie et la ressentir avec mille fois plus d’intensité.
Mais désormais, le conte de fée allait toucher à sa fin, et Antoine le savait : il ne pouvait pas y avoir de fin heureuse. Son destin était scellé, et il n’y avait pas moyen de lutter. De toute façon, même s’il avait essayé de se battre, le résultat aurait sans doute été le même, et il n’aurait pas pu profiter de tout ce temps avec Tom.
Il savait qu’il avait pris la bonne décision : ne pas chercher à fouiller dans son passé, pour ne pas gâcher la fin de sa vie à devenir fou.
Toutefois, le retour à la réalité était douloureux, presque insoutenable.
C’était comme s’il venait de se réveiller d’un rêve, durant lequel tous ses problèmes s’étaient volatilisés d’un coup. Désormais, il n’y avait plus qu’une frontière très fine entre lui et la Mort.
Tom enleva son manteau en vitesse et partit aux toilettes, visiblement pressé. Antoine ferma la porte à clé et s’adossa contre un mur en soupirant. Il plongea sa main dans sa poche, et en sortit le flacon en verre que lui avait donné la Mort quelques mois plus tôt. Il l’avait gardé tous les jours sur lui depuis ce moment, et il ne savait même pas pourquoi.
“Tu en mets quelques gouttes dans son verre, ça suffit largement à le faire dormir pendant quelques heures.”
Ces mots résonnaient dans sa tête en boucle, tandis qu’il jouait à se faire passer le flacon entre les doigts. Il ne savait pas ce qu’il devait faire : protéger Tom et se jeter seul dans la gueule du loup, ou bien se donner une chance de survivre, tout en risquant la vie de son mari ?
Il se prit le visage dans les mains et se frotta les yeux. Il savait que si Tom était au courant, il voudrait absolument rester à ses côtés et risquer sa vie pour lui. Il ne lui pardonnerait probablement jamais s’il l’empêchait de se battre pour lui.
Mais d’un autre côté, qu’est-ce qui le garantissait que s’il survivait à cette journée, la Mort ne viendrait pas frapper à sa porte le lendemain, et continuerait à le traquer tout le restant de sa vie, jusqu’à enfin avoir ce qu’elle souhaite tant ?
Antoine déglutit, puis sortit deux verres de son placard, dévissa le flacon, versa quelques gouttes dans un des verres, puis sortit une bouteille de champagne qu’il avait gardée spécialement pour l’occasion.
“J’espère que tu comprendras, un jour, que j’ai fait ça pour te protéger…”
Il remplit les deux verres de champagne et en prit un dans chacune de ses mains. Puis il traversa le salon et arriva dans la chambre, où Tom était assis. Le visage de son mari s’illumina dès qu’il aperçut ce qu’il lui avait apporté.
– Avant qu’on boive, je veux que tu me promettes un truc.
– Oui, tout ce que tu veux !
– Promets-moi de ne pas pleurer, le jour de mon enterrement.
Tom déglutit et pencha la tête sur le côté.
– Ça va être vraiment compliqué… Tu sais que j’ai déjà du mal à me retenir de chialer comme une fillette, depuis tout à l’heure ?
– Je sais, répondit Antoine, la gorge nouée. Moi aussi…
– Mais je te le promets. De toute façon, j’vais rester à tes côtés pendant toute la journée qui arrive, et j’te lâche pas d’une semelle. Je ferai tout pour te garder en vie !
Ils se mirent tous les deux à rire doucement.
– Bon… À ma mort !
– À ta vie !
Leurs verres s’entrechoquèrent dans le silence de la nuit, et ils burent chacun sans faire de bruit. Antoine était focalisé sur son mari, le regardant boire, gorgée par gorgée…
Ils posèrent leur verre en même temps sur la table de chevet. Tom poussa un long soupir et sortit son portable pour regarder l’heure.
– 23h42, encore dix-huit minutes avant le jour J…
– Ça a l’air si loin et si court à la fois, murmura Antoine avec un air pensif.
Il éteint son téléphone et le rangea dans sa poche.
– Je commence déjà à fatiguer, et il va falloir que j’me batte pendant vingt-quatre heures. Je vais me faire un café.
Alors qu’il commença à se lever, Antoine le retint en posant sa main sur son torse.
– Non, pas besoin. C’est mieux que tu te reposes un peu.
– Antoine, j’ai la tête qui tourne, j’me sens pas super bien, il me faut vraiment un…
Il n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'il commença à tomber en avant, Antoine le rattrapa de justesse, puis le releva délicatement et le pencha en arrière.
– T’inquiète pas, mon amour. Tu peux rester tranquille, t’auras pas à te battre. Ça a toujours été pour moi, je suis obligé de l'affronter seul... je veux pas qu'il t'arrive quoi que ce soit.
En le tenant dans ses bras, Antoine accompagna sa lente chute, Tom devenait de plus en plus lourd, ses bras tombèrent sur le lit, sa tête commença à pencher en arrière. Sa respiration devenait de plus en plus faible, les battements de son cœur ralentissaient peu à peu…
Et avec le peu de force qu’il lui restait, Tom réussit à toucher son bras. Antoine prit alors sa main dans la sienne et la serra fort.
– Antoine, qu’est-ce que t’a fait ?
Antoine mit sa main sous la tête de son mari pour la soutenir, et glissa un oreiller pour qu’il puisse se reposer dessus. Lorsqu’il fut sûr que Tom était dans une position confortable, il approcha son visage du sien, regarda ses yeux remplis d’incompréhension se fermer lentement, caressant sa joue avec son pouce.
– Merci pour tout ce que tu as fait pour moi. Je t’aime, Tom…
Il lâcha sa main et s’en alla, une larme roulant sur la joue.
All of Me - John Legend
Fin de la quatrième partie
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