Chapitre 35

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Pompeii - Bastille


*Deux ans avant le jour J*


– Putain, Antoine, j’te faisais confiance ! J’te considérais comme mon meilleur pote, je t’ai raconté tous mes secrets !

Hippolyte était furieux, marchant en rond dans sa chambre, tandis qu’Antoine était assis sur le canapé en train de fixer le sol.

– J’suis désolé… je… je savais pas comment te le dire…

– Donc en fait, tout ce temps qu’on a passé ensemble, tu voulais juste me baiser !

– Mais pas du tout ! s’écria Antoine, la gorge nouée. J’ai des sentiments pour toi, et j’ai fait n’importe quoi, j’étais perdu…

– Alors pourquoi tu m’as touché la queue, putain ? Si t’avais vraiment des “sentiments”, comme tu dis, t’aurais pu juste me le dire, nan ? Ou dans le pire des cas, t’essayes de m’embrasser. Mais là, c’était un putain de viol !

– Je suis désolé… Je sais pas c’qui m’a pris, j’m’en veux tellement…


Hippolyte poussa un long soupir, puis se planta devant lui. Antoine leva la tête, et vit son ex-meilleur ami les bras croisés, les mâchoires serrées et le regard rempli de haine. Il ne l’avait jamais vu aussi enragé qu’à ce moment-là, et il fit un bref mouvement de recul : il avait peur…

– J’veux plus jamais entendre parler de toi, c’est compris ? 

Antoine se contenta de secouer la tête de haut en bas. Puis il se leva, les jambes tremblantes, et commença à s’en alla, retenant ses larmes. 


*Un an avant le jour J*


Il devait être vingt-et-une heures, à peu près. Peut-être vingt-deux. Ça n’avait pas vraiment d’importance. Il n’y avait pas un chat dehors, et de toute façon, c’était le genre de soirée où personne ne sortait.

Pas à cause du froid, même si ce dernier se montrait particulièrement dissuasif en cette soirée de décembre. Mais parce que c’était Noël.

Et les maisons dans les rues étaient toutes éclairées, on entendait des rires, des chants, des cris de joie. Il y avait des décorations sur pratiquement chacune d’entre elles. On pouvait entendre, si on s’approchait assez, les bruits des couverts contre les assiettes.


Antoine marchait seul dans la rue, allant là où ses jambes voulaient bien l’emmener. C’était son avant-dernier Noël avant sa mort, et sans doute le pire de toute sa vie. Enfin, le pire pour l’instant.

Il avança seul, durant des heures entières, croisant ça et là quelques âmes aussi perdues que lui, n’osant pas les regarder dans les yeux. 

Il traversa la capitale, allant toujours tout droit, et finit par arriver sur un pont. 

Ses jambes lui faisaient mal, alors il décida de s’arrêter un moment. Il s’appuya contre la rambarde et contempla l’eau noire de la Seine ainsi que les lumières parisiennes. La marche lui avait donné chaud, son front était humide et ses vêtements étaient trempés. Au vu du froid terrible qui régnait, il était à peu près sûr de tomber malade. Mais ça n’avait aucune importance pour lui. 


– Tu sais qu’on met jusqu’à huit minutes pour mourir de noyade ? 

Antoine sursauta. Il se tourna brusquement et vit un vieil homme qui s’était posé à ses côtés, regardant droit devant lui.

– Hein ? Mais nan, je comptais pas sauter ! 

– Moi, si.

Un frisson parcourut tout le dos d’Antoine, alors que le vieillard souriait doucement. 


– Bah attendez que je m’éloigne, j’ai pas envie de voir ça.

Il souffla du nez et son sourire s’agrandit.

– Tu sais, tu es la première personne qui n’essaye pas de me retenir quand je dis ça. Ils essayent tous de me convaincre, de me dire que j’ai encore des choses à faire de ma vie. 

– T’as l’air d’avoir assez vécu, Papy. Vaut mieux partir avant que tu finisses tes jours en recrachant tes tripes dans un lit d’hôpital.

– Je suis parfaitement d’accord ! C’est pour ça que je suis venu ici. J’ai un cancer et il ne me reste que quelques mois. Mais d’ici là, mon état va se dégrader encore et encore…

– Et moi, j’ai une sorte de malédiction et il me reste un peu moins de deux ans. 


Le vieillard se retourna vers lui en fronçant les sourcils, intrigué.

– Une malédiction ? Vraiment ?

– Ouais ! s’exclama Antoine, tout fier de lui. C’est une longue histoire, mais je peux pas te la raconter, si tu sautes. 

– T’as l’air d’être un rigolo, toi ! Allez, je peux bien attendre encore quelques semaines avant de mettre fin à mes jours. 

– Toi aussi, t’as l’air drôle. Même si tu ressembles à une vieille loque pourrie ! 


Le vieil homme lui tendit la main.

– Moi, c’est Roland.

– Antoine, enchanté ! 

Ils échangèrent une poignée de main vigoureuse en riant.


*Jour J*


Lorsqu’Antoine ouvrit les yeux, il ne s’était écoulé qu’une poignée de secondes. Il avait la tête encore remplie des images de son passé qui se mettaient à ressurgir soudainement, dansant au-dessus de lui, se mêlant les unes aux autres. Il n’y avait plus de temps, il n’y avait plus de raison, il ne restait plus que ce mélange de sentiments et d’émotions, il pouvait tous les goûter à la fois.

– Tu es en train de voir ta vie défiler devant toi ? demanda le monstre sur un ton moqueur.

Antoine se mit à sourire doucement et regarda la Mort droit dans les yeux. 

– Oui, et c’était une belle vie. Elle était parfaite, je n’ai aucun regret.

– Oui, c’est ce qu’ils disent tous, avant de finir par gigoter en suppliant de leur laisser la vie sauve. 


Il colla son couteau contre le cou d’Antoine, qui pouvait sentir le froid de la lame lui donner des frissons dans tout le corps. Mais il n’avait pas peur, au contraire, il se sentait invincible. Il n’avait pas l’impression d’être face à la mort. Devant ses yeux, il n’y avait que l’image du souvenir encore frais de Tom, un genou au sol, demandant sa main. Et il souriait en fermant les yeux.

– Tu peux me tuer, mais tu ne pourras jamais me prendre ma vie.

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