Chapitre 36 - Partie 1
Par emmanolife (à peine corrigé parce que je le trouve très bien écrit !)
Serge Gainsbourg - Requiem pour un con
Antoine était encore au fond de son lit quand il fut réveillé par la sonnette de la porte d’entrée. Tom était parti de bonne heure à la fac, alors qu’Antoine avait reçu la veille un message du prof attentionné qui annonçait à ses élèves qu’il serait en grève ce jour-là. Après avoir tendu l'oreille quelques secondes et n'entendant rien d'autre, il se dit que quelqu’un avait dû appuyer sur le bouton par erreur, et il essaya de se rendormir.
Après trois nouveaux coups de sonnette, Antoine se dit qu’il valait mieux aller voir. Il s’habilla rapidement, et alla ouvrir la porte. Roland se tenait devant lui.
— J’espère que je ne te dérange pas, fit-il d'un air gêné.
— Non, t’inquiète, tu ne me réveilles pas. Je suis juste surpris de te voir. Comment tu vas ?
Antoine n’avait pas eu de nouvelle de son ami depuis sa déclaration maladroite, presque un an plus tôt. Il s'était fait à l'idée qu'il était tout simplement mort. Roland avait pris un coup de vieux et pas mal maigri.
— Pas mal. J’aurais dû te prévenir avant de venir, mais vu comment on s’était quitté et la dernière fois, et comme je ne t’ai pas rappelé après, je préférais venir te voir en chair et en os pour comprendre dans quel état d’esprit tu étais. Je voulais te revoir une dernière fois avant de partir.
Il sortit de sa proche une enveloppe barrée de gris, et la tendit à Antoine :
— Voilà le faire part.
Dans l’enveloppe, il y avait une invitation à une cérémonie religieuse à la mémoire de Roland B…, dans l’église parisienne connue.
— Veux-tu venir ? C’est dans trois semaines.
— Qu’est-ce que tu racontes ? Tu m’annonces que tu vas être enterré dans trois semaines ? Avec cérémonie à l’église ?
— C’est un peu plus compliqué que ça. Si tu veux que je te raconte tout, il y en a pour un moment. Je n’ai pas vraiment envie de le faire sur le seuil, alors est-ce que tu m’invites à entrer ?
***
Antoine et Tom marchaient dans la rue en direction de l’église. Tom n’avait pas trop envie d’y aller, mais Antoine avait insisté :
— C’était un ami, je voudrais juste lui dire au revoir une dernière fois. Et puis il n’y en aura pas pour trop longtemps, c’est juste une cérémonie à l’église.
Tout à coup, Tom demanda :
— C’était qui, ce Roland ?
— Oh, juste un pote avec qui j’aimais bien discuter et jouer au bowling.
— Il était beau gosse ?
— J’aime quand tu es jaloux…
***
JS Bach - Ricercare à 6 voix
Antoine et Tom marchaient dans la rue en direction de l’église. Tom n’avait pas trop envie d’y aller, mais Antoine avait insisté :
— C’était un ami, je voudrais juste lui dire au revoir une dernière fois. Et puis il n’y en aura pas pour trop longtemps, c’est juste une cérémonie à l’église
Tout à coup, Tom demanda :
— C’était qui, ce Roland ?
— Oh, juste un pote avec qui j’aimais bien discuter et jouer au bowling.
— Il était beau gosse ?
— J’aime quand tu es jaloux… Tu vas peut-être avoir l’occasion de le voir, et tu comprendras que tu n’as pas à t’inquiéter.
— Il va assister à son propre enterrement, alors ?
— Oui, il a un sens de l’humour un peu particulier. Tu verras.
Ils continuèrent en silence, et arrivèrent un peu en retard : l'office avait déjà commencé. L’église était très grande et elle était presque à moitié remplie. Ils voulaient trouver une place discrète vers l’arrière, mais quelqu’un leur fit signe de prendre un siège voisin, dans un coin mal éclairé. En s’approchant, Antoine vit qu’il s’agissait de Roland, vêtu d’un grand manteau noir, portant un chapeau à larges bord et des lunettes noires occultantes, qu’il ôta pour permettre à Antoine de l’identifier.
— Sympa, la musique, ça change un peu des musiques d’église habituelles.
— C’est moi qui l’ai choisie. Comme c’est MA cérémonie funéraire, je voulais quelque chose de sympa, et Gainsbourg, il n’y a jamais rien eu de mieux. Ma femme était furieuse.
— Elle est où, ta femme ?
— La grande blonde au premier rang. Elle fait semblant d’être triste, je pense qu’en fait elle est plutôt contente de se débarrasser de moi, et elle s’attendait à ce que la maladie m’emporte. La rémission totale, c’était la tuile ! Même les médecins avaient l'air déçus que je m'en sorte. On ne pouvait plus continuer à vivre ensemble, mais elle n’avait pas non plus envie du divorce : ça ne se fait pas chez les cathos. Du coup la solution que je lui ai proposée l’arrangeait bigrement : je lui laisse l’appart, suffisamment de pognon, et je disparais de la circulation. D’où ces pseudo funérailles, qui me font un peu marrer. Enfin, un peu, pas trop.
— Vous avez des enfants ?
— Quatre garçons et une fille, tu peux les voir au premier rang à côté de leur mère. Mes fils sont des connards, cathos, homophobes et ils ont tous fait une école de commerce. Ils n’ont pas supporté d’avoir un père gay, et ils se sont mis du côté de leur mère.
— Tu as dû louper quelque chose dans leur éducation.
— Sûrement, mais avec le boulot, je n’ai pas eu trop de temps à leur consacrer... Il n’y a que ma fille, la petite dernière, avec qui j’ai gardé des relations sympa. C’est une artiste.
En prononçant cette dernière phrase, sa voix se cassa et ses yeux commencèrent à s'humidifier.
Le curé invita tous les membres de l’assistance qui le souhaitaient de venir dire un mot au micro, et tout un tas de gens se levèrent et firent la queue pour y accéder. La supposée veuve avait préparé tout un speech ultra bateau, comme quoi son mari avait été un homme exemplaire pendant les 50 ans qu’ils avaient passés ensemble, travailleur, aimant et aimé de tous ; elle essaya maladroitement de pleurer à la fin. Les quatre fils vinrent juste dire « adieu papa », la petite dernière restait prostrée sur son siège. Il y eut ensuite un défilé interminable de tous les amis, les collègues de travail (Roland avait été le meilleur des patrons, toujours humain, et même quand il ne pouvait pas nous donner une augmentation, il avait l’air de s’excuser)…
Certains pleuraient même, ou en tout cas ça y ressemblait beaucoup.
— Même la déléguée CGT me regrette ! Elle qui me traitait de sale capitaliste cupide. Ils doivent en baver maintenant avec les repreneurs.
Tom se tourna vers Antoine, alors que les dernières personnes lui rendaient hommage.
— Tu veux aller dire un mot ?
— Non, je vois pas trop ce que je pourrais dire...
Et tout au fond de l’église, le supposé défunt avait l’air un peu ému. Mais il se reprit et s’approchant d’Antoine :
— Merci d’être venu ! Je vais partir avant la fin, je ne veux pas risquer que quelqu’un me reconnaisse. Et puis je ne dois pas être en retard pour l’avion. La voiture est garée à côté, le chauffeur m’attend, les bagages sont chargés, je pars vers le soleil ! Je vous souhaite beaucoup de bonheur à tous les deux. J’ai été ravi de faire ta connaissance, Tom, j’ai l’impression qu’Antoine a fait un excellent choix ! Adieu, et tu comprendras que tu n’as pas à t’inquiéter.
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