Chapitre 3 : Le commissariat ! - Au tout début...
Le lieutenant Maignan sirotait un café, le regard perdu dans le vague.
Assis sur le capot de son véhicule, il repensait à ses dernières vacances, à son ex-femme, à ses enfants.
Puis le visage de plusieurs malfrats se superposa.
Ils défilaient comme dans un film, emportant des souvenirs de poursuites en voiture, de scènes de violences. Il revoyait ces nuits blanches à suivre depuis une camionnette des écoutes ou assurer des planques et ces retours chez lui au petit matin, seul et bredouille.
Son portable vibra.
- Lieutenant, les gars de la technique ont chargé les données du relevé topographique des indices.
- Ok, Jasper, j’arrive ! avait-il répondu à son adjoint, une lueur de chasseur dans le regard.
*
Une fois sur place, il écouta Fred Jasper lui brosser un tableau surréaliste.
- Ce doit être de sacrés tordus ! lança son adjoint dès son arrivée.
- ...
- Nous avons recensé une centaine d’indices, tous associés à des modèles réduits. Et à côté de chacun d’eux, nous avons systématiquement trouvé un fragment de corps humain.
- ...
Maignan ne disait rien. Il écoutait attentivement malgré la fatigue.
- En attendant les premiers constats du légiste encore sur le site, reprit-il, la présence de dix têtes isolées et grimées laisse à penser que nous sommes en présence d'au moins dix victimes.
Maignan se sentit très las et le dos en confiture.
Après une conduite explosive le long du boulevard Saint-Michel, il rejoignait le commissariat du 5ème, situé sur la rue Dante, en passant par le boulevard Saint-Germain, toute sirène hurlante. À présent, le lieutenant se relâchait à vue d'oeil dans un fauteuil à roulettes. Le manque de sommeil et la fatigue accumulé se faisaient sentir.
Sur un grand écran apparaissait la totalité de la scène de crimes en relief et en vue isométrique. En jouant sur un rhéostat, on abaissa la lumière d’ambiance et Fred Jasper reprit la parole.
- Chaque voiture miniature de la marque Dinky Toys disposait d’une pastille géo-localisable comme celles que l’on utilise pour retrouver son trousseau de clés. Cela permettait de réaliser l'implantation de tous les fragments humains dispersés sur une surface carrée de plusieurs centaines de mètres.
- Il a fallu un temps fou pour réaliser une telle scène, réagit le lieutenant Maignan. Autour, les visages des autres collègues suivaient avec intérêt ce début de joute oratoire.
- On estime dans le meilleur des cas un délais de réalisation de deux heures. Tout cela bien sûr, en raisonnant sur le principe d'une démarche méthodique. Cela n'exclut pas une action coordonnée de plusieurs comparses.
- ...
- Et ceci, malgré des conditions météo déplorables qui, dans un sens, ont facilité les choses en apportant une plus grande discrétion.
- Les objets connectés, les fragments humains, le parc fermé la nuit, la météo, un ou plusieurs véhicules pour transporter les corps et les équipements ainsi que le personnel. C’est une entreprise ! réagit Franck Daniel de l’équipe média.
*
Depuis un moment, Maignan intrigué, fixait l’écran en penchant la tête sur le côté, comme pour chercher un angle de vue différent.
- Excuse-moi Daniel, dit-il au responsable média, tout en coupant la parole à son adjoint. Tu veux bien passer en mode plan.
Franck ajusta les réglages depuis un clavier de PC.
- Oui ! Et tu peux jouer sur les contrastes. Oui voilà !
Tout le monde semblait subjugué par ce qu'il voyait à présent.
- Je suis peut-être un peu farfelu. Mais... Vous ne trouvez pas que cela ressemble aux traits d’un visage ?
Tous les hommes et les femmes se redressèrent, interloqués.
La forme d’un visage, dessiné en pointillé par l’ensemble des indices relevés sur la scène, représentaient une face de clown avec un rictus figé et l’accent circonflexe d’un sourcil au-dessus d’un œil agressif.
- Waouh ! C’est dingue. C’est une obsession. Ça frise la démence !
Jasper reprenait la main, sidéré et surtout un peu déçu, voire jaloux de n’avoir pas eu l’idée de tester lui-même cette configuration. Il régnait une sorte de brouhaha et chacun y allait de son commentaire. Il était clair que monter une telle "représentation théâtrale" tenait d’une certaine forme de génie, certes macabre mais avec le but vraisemblable de marquer les esprits.
Une force étrange se dégageait de tout cela et s'insinuait dans les têtes bien faites de l’assistance. Le ou les gars qui agissaient derrière tout cela menaient une sorte de vengeance, froide, déterminée, préparée. L’adversaire était de taille et l'avenir paraissait subitement incertain devant le nombre incommensurable d'investigations à mener.
- Lieutenant Maignan ! intervint soudain un gardien de la paix porteur d’un listing.
Marc avait tourné la tête dans la direction d’un fonctionnaire à la mine dépitée qui se tenait dans l’encadrement de la porte de la salle de réunion. Sa tenue laissait à désirer mais peut-être avait-il passé une partie de la nuit et de la matinée à recueillir des infos qu’il apportait.
Souvent, les permanences téléphoniques et le travail d’investigation sur écran consommaient une énergie folle, transformant alors l’opérateur en zombie.
- Allez-y ! Fit-il en accompagnant sa parole d'un geste encourageant.
- On a filtré les mains courantes de cette nuit, par nature de délits et d’infractions. Et là, on a comptabilisé un nombre anormal de déclarations de disparitions enregistrées dans plusieurs commissariats de quartier sur Paris et la périphérie.
Tout en s’exprimant, le fonctionnaire agitait une liasse de documents, parlant ainsi de manière volubile, peut-être impressionné par la présence de tous les collègues en civil.
- Il s’agirait de plusieurs artistes du monde du cirque qui seraient portés disparus depuis plusieurs jours. Les dépositions ont été faites par des directeurs de chapiteaux stationnés sur la capitale et la proche banlieue.
- Ok, merci Lionel. Laissez le listing sur le bureau de Jasper et vous pouvez disposer. Beau boulot !
=O=
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