Chapitre 2 : Les jardins du Luxembourg - suite
À son arrivée sur les lieux, Marc Maignan avait contacté son commissaire divisionnaire. Ce dernier, irrité par l'appel de son subordonné à cette heure très matinale, en comprit d’emblée l’importance de la situation.
- Allô Patron. C'est Maignan.
- Oui. Allez-y.
- Bon ici, la situation est assez dantesque. J'ai pas loin d'une centaine d'indices composés de fragments humains.
- Ah, quand même !
- Oui, je vous le fais pas dire. Alors, il me faudrait du renfort et des moyens.
- Ok. Je préviens le Procureur de la République. Vous tenez le coup ? lui demanda le divisionnaire presque amical.
- La météo est exécrable et les gars sont tremp'...
L'officier songea qu'il serait important d'éloigner la presse pour maîtriser la communication et en fit part au commissaire.
- Patron !
- Hum !
- Il faudrait maîtriser la scène de crime sinon on ne tardera pas à se retrouver avec des journalistes.
- Je vous rappelle.
*
Maignan repartit dans ses réflexions.
La permanence du procureur demanderait certainement la plus grande discrétion. Chacun se confinerait dans une certaine confidentialité. Et d'évidence, cette dernière volerait en éclats avec vraisemblablement des fuites et des indiscrétions devant l’importance de la scène de crime et du nombre d’intervenants.
Pour tromper son impatience, l'officier se dirigea vers les tentes de l'équipe médico-légale. À l'intérieur régnait une ambiance fiévreuse, comme coupée du monde, surréaliste. Il enfila une paire de gants, un masque et des chaussons. Au sol, on avait déployé une bâche. Sur des tables métalliques, des mains expertes assemblaient chaque morceau de corps avec minutie et parfois, au mieux, sous l'oeil du légiste. Très vite, il réalisa, sans être expert, que la tâche serait longue et minutieuse.
- Alors, Meursault. Cela vous rappelle quelque chose ?
- Non, pas vraiment. Les gars qui ont fait ça sont sérieusement dérangés. Pour moi, ils n'ont plus rien d'humain.
- Ils sont fêlés, je ne vous le fais pas dire, mais en même temps, tout démontre qu'ils sont organisés, méthodiques et surtout démonstratifs.
Maignan, après avoir laissé son regard errer sur la scène extraordinaire, interrogea son collègue à nouveau.
- Vous avez une idée plus précises des outils utilisés ? Ça vient d'un abattoir ?
- Oui, un idée imprécise pour l'instant. En tout cas, l'utilisation a été réalisée post-mortem. Les coupures sont nettes. Sans doute, un outil tranchant comme une disqueuse très fine. Peu de saignements. Par contre, je pense que ces fragments proviennent de corps congelés...
- Ah !
- La température au coeur des membres ou des têtes reste encore très basse. Vers 7 à 8°C... Découper des chairs congelées avec une disqueuse par exemple a dû rendre la chose très facile et rapide.
- Oui, vous avez raison...
- Et surtout, pour moi, il s'agit de parties prélevées sur différents corps. Il n'y a, à première vue, aucune dépouille complète.
Des rafales chargées de pluie poussaient avec force la toile de l'abri plastifié et étouffaient les échanges entre les techniciens dans ce qui à présent devenait une salle d’examen improvisée et climatisée. De la buée se dégageait des masques de protection et s’irisait dans la lumière des lampes et projecteurs d’éclairage.
Marc Maignan recula pour prendre la dimension de la tâche en cours. Il avait déjà vu l'efficacité des méthodes de reconstitution.
*
Un scanner numérique en 3D mémorisait tous les fragments produisant à terme un nombre impressionnant de données. L'exploitation permettrait de comprendre le mode opératoire. L’absence de sang sur les différents fragments traduisait souvent une incision post-mortem.
Mais en même temps, les peaux semblaient comme brûlées sans être carbonisées peut-être par l'échauffement de l'outil utilisé ou une brûlure pour assécher. L’Institut médico-légal devrait réaliser un travail minutieux d'identification pour donner un nom à ces pauvres malheureux. Des prélèvements d'ADN seraient nécessaires, voire indispensables.
*
L'officier arpentait à présent une vaste scène de crime.
Il prodiguait des encouragements aux agents ruisselants sous leurs vêtements de pluie. Il les repérait sur le terrain par le faisceau des lampes-torches. Il passa près de la scientifique et releva quelques appréciations du chef d'équipe. Parfois, une éclaircie dans le ciel cédait la place à l'astre lunaire qui par sa présence apportait une sorte d'apaisement tout en jetant une blancheur froide et cruelle.
*
Un jour blafard commença à poindre et la pluie cessa comme par enchantement. L’ambiance devenait ainsi plus audible, presque silencieuse, mais bientôt des badauds, des sportifs et des promeneurs animeraient les allées du Parc.
Paris s’éveillait à nouveau.
De la brume s’élevait des sols et des allées du jardin sous l’action de la chaleur d’une journée d’été indien. La circulation naissante révélait la fraicheur de l’écoulement de l’eau par le chuintement des pneumatiques sur la chaussée.
Les façades des facultés, des musées et du Palais du Luxembourg en bordure du parc prenaient peu à peu une légère teinte rouge orangée. Une sorte de poésie qui dénotait de manière troublante avec la scène macabre de la nuit.
*
Marc Maignan appréciait depuis quelques mois la présence de son nouvel adjoint. Un type spécial, répondant au patronyme de Fred Jasper. Rigoureux, consciencieux, peu disert, introverti, sans doute en raison de ses origines corréziennes, un gars du terroir. Il sortait à peine de l’école de police de Cannes-Ecluse.
Ce dernier sauta dans son véhicule, accompagné de l'un des responsables de la PTS. Au passage au ralenti à hauteur de Maignan, il baissa la vitre et lâcha.
- Marc, je pars au commissariat pour charger les données topographiques.
- Oui, ok, pas de problème. Tu m'appelles.
- Ça marche !
Le véhicule de service s'éloigna dans un crissement de pneumatiques. L'adjoint et l'expert emportaient tous les enregistrements numériques des prises photographique et vidéo pour les charger dans des applications informatiques de l’équipe média du commissariat.
=O=
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