Chapitre 1

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Tom Kent n’avait pas remis un pied dans sa ville natale depuis des années. Le retour était plutôt brutal. Heureusement, il avait un ami sur qui compter. Et il le remerciait intérieurement chaque jour d’exister. Il avait repris ses études, à l’université de la ville, et il s’en sortait plutôt bien pour l’instant. Bien sûr, il était une classe au dessous de ses amis, mais ça lui importait peu. Jacob, son meilleur ami, son ami d’enfance, son ancre dans cette ville, lui avait permis de retrouver son cercle d’amis longtemps oublié. Bien sûr, ce cercle avait un peu changé au niveau de sa composition, mais l’ambiance générale restait profondément la même. Comme il y a six ans, ils se réunissaient toujours tous les vendredis soirs autour d’un feu de bois, dans une prairie à la sortie de la ville. Tout le monde sortait les bouteilles d’alcool, qu’ils obtenaient légalement maintenant, et les instruments de musique. Chacun y allait de sa petite composition entre les morceaux préenregistrés qui passaient à intervalles réguliers sur les baffles postés non loin du feu. Il aimait cette ambiance. Ca lui avait manqué.

Il avait enchaîné trois morceaux à la guitare et il n’en pouvait plus. Ses yeux se fermaient tous seuls. Faute à l’heure tardive et aux quelques bières ingurgitées qu’il ne comptait plus.

-Ces soirées sont un peu chiantes, pas vrai ? demanda un jeune homme qui venait de s’asseoir à côté de lui.

-En fait, j’aime bien ce genre d’ambiance, répondit Tom. Mais là, je fatigue !

-Sérieusement ? s’étonna le garçon. Mais il est à peine onze heures !

-Il y a trois mois de cela, j’aurai été au lit depuis trois heures déjà ! s’exclama Tom.

Le jeune homme semblait réellement choqué par cette déclaration mais n’eut pas le temps de répondre. Jacob venait d’arriver.

-Mec, c’est la catastrophe ! s’exclama-t-il. Ah, salut, Bastian ! dit-il ensuite en serrant brièvement la main du jeune homme.

-Je t’écoute, Jacob, répondit Tom avec un sourire.

-On n’a plus rien à boire, lâcha avec un soupir son ami.

-C’est vrai que c’est tragique, se moqua Tom.

Le jeune homme, Bastian d’après ce qu’avait comprit Tom, rigola aussi.

-Tom, sérieux ! s’indigna Jacob. S’il te plait, peux-tu m’emmener faire le ravitaillement ? Tu es le seul mec à peu près sobre, ici.

Tom riait franchement à l’air désespéré de Jacob. Ce mec était trop drôle quand il avait trop bu. Il l’était tout le temps, en fait, mais tout particulièrement lorsqu’il avait un coup dans le nez.

-Ok, abdiqua Tom en se levant maladroitement de son tronc d’arbre. Mais il faut marcher un peu, souffla-t-il. J’ai pas trouvé de place.

-Ma voiture est juste à côté ! s’exclama Bastian. On peut prendre la mienne, si tu veux.

Tom hésita quelques instants et lança un regard à Jacob.

-Elle est automatique ? demanda finalement Tom en reportant son attention sur le jeune homme.

-Euh non, je déteste ça, sembla-t-il s’excuser.

-Alors on prend la mienne, clôtura Tom.

-Je peux venir avec vous ? demanda Bastian.

-Si tu veux, répondit-il en haussant les épaules.

Alors tous trois prirent le chemin de la voiture de Tom. Effectivement, elle était un peu plus loin, sur le bord de la nationale. Heureusement qu’ils connaissaient tous le chemin par cœur !

Jacob s’installa sur le siège passager à l’avant et Bastian prit place à l’arrière. Tom démarra la voiture et s’engagea sur la route.

-On va où, Jacob ? demanda-t-il. Ça fait un moment que je ne suis pas venu !

-Tourne à droite à un kilomètre, dit-il. Au fait, tu as fait la connaissance de Bastian ?

-Brièvement, répondit Tom en lançant un regard au jeune homme dans le rétroviseur.

-Salut, répondit-il avec un sourire en coin.

-Bastian est le nouveau gars en ville ! expliqua Jacob avec un sourire. C’est le meilleur élève de l’école !

-T’exagères ! rigola Bastian, un peu gêné.

-Presque pas ! rigola Jacob à son tour. Sans déconner, mec, dit-il ensuite à Tom, ce gars est une tête ! Tiens, tourne là, indiqua-t-il ensuite.

Tom emprunta un virage en tête d’épingle et poussa un juron.

-Tu aurais dû me prévenir plus tard encore, Jake, grinça-t-il. C’est bon, après je reconnais, indiqua-t-il. Bienvenue alors, Bastian ! salua ensuite Tom.

-Merci ! l’entendit-il sourire. Tu me dis bienvenue, mais je ne t’ai jamais vu par ici ...

-Je viens seulement de rentrer, éluda Tom.

Il se gara sur le parking à côté d’un SpätKauf et tout le monde sortit de la voiture. Ils se regroupèrent pour avancer dans la direction du magasin.

-Tom a passé six ans en France, raconta Jacob.

-Jake, gronda Tom.

-Sans déconner ! réprit Jacob à l’air étonné de Bastian. Tom est champion de snowboard.

-Sérieux ? s’étonna Bastian en regardant Tom.

-Putain, Jacob ! s’énerva Tom. Tu pouvais pas la fermer ?

Jacob semblait ne pas comprendre l’énervement de son ami et Bastian ne savait plus vraiment où se mettre. Ils pénétrèrent dans le magasin et la tension fut oubliée quelques instants plus tard. Jacob sautillait à travers les rayons, tandis que Tom et Bastian patientaient près de la caisse.

-C’est vrai ? demanda Bastian d’une petite voix. Ce que vient de dire Jacob ?

Tom jaugea quelques instants le jeune homme à ses côtés. Il semblait chercher une réponse.

-Plus ou moins, répondit-il finalement. Je n’aime pas trop en parler, clôtura-t-il cependant la conversation.

Mais Bastian semblait s’ennuyer ferme en attendant leur ami.

-Alors, pourquoi es-tu revenu ? Magdebourg n’est pas réellement l’endroit le plus neigeux de la planète ... s’étonna-t-il sincèrement.

-Disons que j’en ai fini avec le snowboard. Et la France, expliqua-t-il en jouant avec sa clé de voiture. J’avais besoin de rentrer à la maison. Et puis je voulais vraiment apprendre un métier. Le sport paie bien quand tu es doué mais ce n’est pas éternel.

-Je comprends ça, approuva Bastian.

Jacob revint les bras chargés de canettes de bière et de bouteilles de toutes sortes.

-Regardez tout ce que j’ai trouvé, sourit-il de toutes ses dents. Je paie et on y va !

Une fois fait ils retournèrent à la voiture puis au point de rencontre. Mais lorsqu’ils revinrent, il n’y avait plus personne, bien que toutes leurs affaires soient toujours présentes.

-Ils doivent être au bassin, supposa Jacob. Venez, on y va.

Jacob se mit à courir, suivit de Bastian, mais Tom les rappela à l’ordre.

-Jacob, appela-t-il alors que son ami s’éloignait déjà. Tout doux, on n’est pas pressé.

-Désolé, mec, cria-t-il derrière son épaule en s’arrêtant, laissant le temps à Tom de les rejoindre. Ça va ? s’inquiéta-t-il quand Tom fut à niveau.

-Ouais, t’inquiète. Mon genou droit morfle un peu, dit-il en le balayant d’une main.

-Ta chute de la dernière fois ? tenta-t-il.

-Celle-là même, grogna Tom.

Bastian observait l’échange d’un œil sceptique. Il ne connaissait pas Tom, mais il connaissait plutôt bien Jacob et celui-ci ne semblait pas très à l’aise. Quelque chose clochait. D’autant que Tom se plaignait de son genou droit mais qu’il claudiquait de la gauche. Bien que ce style de marche convienne parfaitement au look de gangster qu’arborait Tom.

-T’as chuté ? demanda alors Bastian, feignant l’innocence.

-Ouais, répondit Tom en grognant. En snowboard, y a trois mois. Juste avant de revenir. J’ai été immobilisé pendant un mois. Ça douille encore un peu, de temps en temps. Ils sont là ! dit-il soudainement en arrivant au bassin.

Effectivement, tous leurs amis s’étaient rassemblés autour et dans le bassin naturel. Les filles avaient quitté leurs t-shirts, n’étant désormais qu’en hauts de maillot de bain ou soutiens-gorges pour celles toujours sur la rive, tandis que les autres n’étaient qu’en sous-vêtements ou maillot deux pièces. Certains garçons avaient sauté tout habillés dans l’eau, tandis que d’autres se baladaient en boxers, shorts, ou pantacourts. Ils semblaient tous bien s’amuser.

-Tom, tu m’excuses, mais j’y vais ! sourit largement Jacob.

Tom avança un peu vers la rive et s’assit nonchalamment contre un arbre. Il tendit le bras vers une glacière pour en extraire une bière. Il en lança une autre machinalement vers Bastian qui s’était rapproché de lui.

-Tu ne vas pas avec eux ? s’étonna le jeune homme en s’asseyant près de lui.

-Je ne sais pas nager, esquiva Tom.

-Sérieusement ? s’étonna Bastian.

-Sérieusement, affirma Tom. Pourquoi tu ne vas pas avec eux, toi ? demanda-t-il ensuite.

-Ça va te paraitre ridicule, mais je suis un peu complexé, grogna-t-il.

-Je peux comprendre ça, répondit Tom, laconique. Mais pourquoi complexé, au juste ?

Bastian rit, mais son rire reflétait sa gêne.

-C’est stupide, je sais, commença-t-il en buvant une gorgée de bière, mais je suis tout maigre. Genre, vraiment. Je n’arrive pas à grossir et je n’ai aucune graisse pour former du muscle. Je me sens ridicule, à côté d’eux.

Pour toute réponse, Tom hocha la tête. Il prit lui aussi une gorgée de bière, et la posa entre ses jambes pliées et légèrement écartées.

-Tu ne devrais pas avoir honte de toi, Bastian, dit-il finalement. Tu es fait comme tu es fait. Et si ton corps ne te plait pas, dis-toi qu’il plaira forcément à quelqu’un d’autre que toi.

Bastian ne répondit pas mais il fit claquer sa langue contre son palais. Ce n’était pas de l’énervement, il semblait réfléchir.

-Je crois que personne ne m’a jamais dit un truc comme ça, avoua-t-il enfin. D’aussi gentil, je veux dire.

-Ecoute, je ne te connais pas, reprit Tom, mais tu as l’air d’être quelqu’un de plutôt bien dans tes baskets. Un mec qui ne s’assume pas ne porte pas ce genre de look, dit-il en le dévisageant de haut en bas pour accentuer ses propos. Dis-toi bien une chose ; tu dois t’assumer de la même façon, habillé, et déshabillé. Il n’y a que comme ça que les gens sauront qu’ils ne peuvent pas t’atteindre.

La conversation s’arrêta là. Bastian n’avait rien à répondre, tout simplement. Tom avait raison. Et ils le savaient tous les deux. Mais le jeune homme ne s’attendait pas à ce qu’un inconnu puisse avoir une conversation aussi personnelle avec lui. C’était inattendu, certes, mais bénéfique. Il se sentait bien, avec lui.

-Tu as pris quoi comme cursus, à l’université ? demanda Bastian, après un moment de silence.

-Kiné, répondit-il simplement.

-Kiné ? C’est cool, ça ! s’extasia Bastian. Mais t’en as pour un moment ...

-Je sais, grogna Tom. Je ne sais pas trop dans quoi je me suis embarqué. Mais il n’y avait que ça qui me tentait.

-Pourquoi ? interrogea Bastian en retour.

-Je ne sais pas trop, souffla Tom. Je pense que j’ai passé plus de temps avec des kinés ces six dernières années qu’avec ma famille, avec le snow et tout ça. Et sans eux, clairement, je n’aurai jamais pu faire tout ce que j’ai fait. Ça me plait bien de me dire que mon boulot peut être utile à quelqu’un. Ça peut en sauver certains, en soulager quelques uns, en aider d’autres. Je trouve ça plutôt pas mal.

-Jolie façon de penser, approuva Bastian.

-Et toi, tu fais quoi ? retourna-t-il la question.

-Droit, comme Jacob, répondit le jeune homme. Mais il n’y a rien d’aussi noble que toi dans ma décision. Mes parents ont choisi pour moi. Je suis censé travailler avec mon père une fois mon diplôme en poche.

-C’est moche, compatit Tom.

-Je ne sais pas trop, poursuivit Bastian en haussant les épaules. Le truc c’est que… Je pense que je me serais réellement tourné vers des études pour devenir avocat si on m’avait laissé le choix. Mais je n’ai jamais vraiment eu l’occasion d’y penser par moi-même. Au pourquoi je fais ça, tu vois ?

-Je vois, acquiesça Tom.

Imperceptiblement, Bastian s’était rapproché durant leur conversation, sans même s’en rendre compte. Et sans s’en rendre compte non plus, il avait posé sa tête contre l’épaule de Tom. Celui-ci porta une nouvelle fois sa bouteille à sa bouche, avalant la dernière gorgée restante. Sa tête lui tournait un peu, et il était fatigué. Mais il savait pertinemment qu’il n’était pas raisonnable de conduire dans cet état. Alors il décida de rester là encore un peu ; le temps de faire descendre un peu son taux d’alcoolémie. Il pouvait gérer la fatigue, mais il ne pouvait pas gérer l’alcool au volant. Lorsqu’ils avaient pris la voiture, plus tôt, l’alcool n’était pas encore monté. Mais là, clairement, il avait dépassé le seuil pour prendre la voiture en toute sécurité. Instinctivement, il passa son bras autour des épaules de Bastian et laissa aller sa main dans ses cheveux. Il posa sa tête contre celle de Bastian et s’endormit.

Il ne sut pas exactement combien de temps il avait dormi mais, lorsqu’il se réveilla, il faisait déjà jour. Son dos avait glissé de l’arbre et il était désormais allongé sur le flanc dans l’herbe. Bastian avait lui aussi glissé et sa tête reposait sur sa cuisse droite. Tout en faisant attention à ne pas réveiller le jeune homme, Tom se remit debout tant bien que mal. Il n’était plus saoul, mais il n’était pas très frais. Il s’étira un long moment et bâilla en observant les dégâts. Tout le monde, ou presque, était parti. Seules quelques personnes gisaient là, débraillées, dans l’herbe humide de rosée de ce début de matinée. Quelqu’un avait quand-même eu la présence d’esprit de nettoyer un peu le monstrueux bazar de la veille. Il jugea un peu le reste de détritus et envisagea un instant de tout nettoyer, mais il n’en avait pas la force. Puis sa conscience fit son apparition et il décida qu’il ne pouvait pas partir en laissant l’endroit dans un état pareil. Il mit quelques minutes à tout envoyer valser dans la poubelle publique la plus proche et décida que c’en était assez. Il fallait vraiment qu’il rentre. Il était épuisé et il avait vraiment envie de rejoindre son lit. Il se fichait des gens endormis non loin de lui, mais il ne voulait pas laisser Bastian tout seul ici. Il n’aurait pas apprécié que le jeune homme parte sans le réveiller. Alors il s’approcha de lui et s’accroupi à ses côtés.

-Bastian, chuchota-t-il. Bastian ! dit-il un peu plus fort en lui secouant l’épaule.

Le garçon bascula sur le dos et se cacha les yeux qui percevaient visiblement la lumière naissante. Il grogna un coup puis tenta d’ouvrir les yeux.

-Tom, dit-il, la voix pâteuse. Il est quelle heure ?

-Très tôt, annonça-t-il. Mais je m’en vais et je ne veux pas que tu restes là tout seul.

Le jeune homme prit appui sur ses mains et se redressa en position assise avant de se frotter les yeux, étalant sur ses joues ses restes de maquillage.

-Ok, merci, répondit-il seulement.

Il se leva difficilement et fouilla quelques instants ses poches à la recherche de quelque chose. Il en sortit finalement ses clés de voiture et hocha simplement la tête, signe qu’il était temps de déguerpir.

Ils marchèrent d’un pas trainant jusqu’à la route, dans un silence total. Ce n’était pas gênant, c’était reposant. Ils n’étaient visiblement pas du matin, tous les deux. Bastian arriva le premier à sa voiture.

-Bon, à la prochaine, salua le garçon.

-A la prochaine, Bastian. J’ai été ravi de te rencontrer, sourit faiblement Tom.

-Tu es si formel, rit un peu Bastian.

-Désolé, s’excusa-t-il avec une grimace.

-T’inquiète, balaya Bastian de la main. Bonne nuit ! lui souhaita-t-il alors qu’il montait dans sa voiture.

Tom l’aida à fermer sa portière et observa la voiture prendre la route en crissant des pneus. Il se dirigea alors vers sa propre voiture et grimpa à bord. Il laissa tomber sa tête contre l’appuie-tête et prit son visage entre ses mains. Il se frotta la figure quelques fois pour retrouver ses esprits.

-Allez Kent, se dit-il à lui-même en tournant la clé pour démarrer, tu peux le faire !

Mais lui-même ne savait pas trop de quoi il parlait.

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