Chapitre 2
Les mois étaient passés et les journées s’enchaînaient et se ressemblaient. Tom passait son temps intercours et extrascolaire avec Jacob et Bastian ne les lâchait pas d’une semelle. Jacob ne passait presque plus de temps avec leurs autres amis. Ils s’étaient créé une petite routine à eux trois, sortant le vendredi avec les autres, mais passant tout leur temps autre rien que tous les trois, le plus souvent chez Jacob.
Ce soir là, Tom était passé chercher Bastian chez lui et ils étaient arrivés ensemble chez Jacob. Ils ne prenaient même plus la peine de frapper. Des sons venaient du salon et Tom constata alors que son ami n’était pas seul. Lorsqu’il pénétra dans le salon, il découvrit effectivement Jacob en présence de Luca, un vieil ami.
-Hé, mon pote ! s’exclama Tom. Ça fait longtemps qu’on s’est pas vus !
Il se serrèrent la main dans une étreinte virile, puis se dirent quelques phrases d’usage avant que Luca n’attrape sa veste sur le canapé.
-Bon, Jacob, on se voit plus tard, ok ? salua-t-il.
Tous deux s’enlacèrent un instant puis Luca s’en alla, en lançant un au revoir à la volée aux deux autres.
-Qu’est-ce qui lui prend ? demanda Tom à Jacob une fois la porte fermée. Il ne reste pas ?
Il se laissa tomber sur le canapé à côté de son ami et Bastian prit place sur un fauteuil.
-Je sais pas, mec, répondit sincèrement Jacob. Je crois que tu le mets un peu mal à l’aise.
-Moi ? Mal à l’aise ? Mais pourquoi ? s’étonna Tom.
-Bah, tu sais, la France, tout ça, éluda Jacob. Je crois qu’il ne sait pas trop comment s’y prendre, dit-il, un peu nerveux.
-Sérieusement, Jacob ? «Ça» le rend nerveux ? s’exclama alors Tom, en appuyant sur le «ça». Et moi alors ?
-Je sais mec, mais c’est un peu compliqué pour lui. Je te rappelle que vous étiez ensemble, fut une époque ... sembla-t-il s’excuser.
-Bref, passons, répondit simplement Tom avec humeur.
Bastian avait observé l’échange avec intérêt, ne comprenant pas très bien. Il y avait des mystères concernant Tom qu’il aurait bien aimé découvrir. Mais le jeune homme ne se dévoilait jamais. Et seul Jacob semblait être au courant de tout. Mais Bastian ne voulait pas lui poser de questions, Tom le prendrait mal à coup sûr. Il fallait qu’il lui pose la question directement, mais c’était compliqué.
Ils étaient tous les trois affalés dans le canapé, regardant un film des années 80 qu’ils connaissaient tous déjà par cœur mais qu’ils ne lassaient pas de voir. Bastian s’était lové dans les bras de Tom, comme à son habitude. Depuis la soirée au lac, une tendresse s’était finement développée entre les deux. Bastian se réfugiait dans les bras de Tom dès qu’il le pouvait et Tom ne manquait pas de l’accueillir. Il n’y avait rien de plus, ils se satisfaisaient de ça.
La soirée avait traîné en longueur et ni Bastian ni Tom ne se sentait le courage de conduire. Jacob offrit de les héberger pour la nuit.
-Vous n’avez qu’à dormir dans la chambre de mon frère, proposa-t-il.
Tom tritura quelques instants ses doigts machinalement, mal à l’aise.
-Si ça ne t’ennuie pas, Jacob, je préfèrerai être dans une chambre seul, demanda-t-il, un peu gêné.
Tom s’était éloigné de Bastian et ce dernier semblait réellement perplexe. Pourquoi Tom ne voudrait-il pas partager un lit avec lui ? Ils se câlinaient toute la journée depuis des mois mais il ne pouvait pas se résoudre à partager une chambre avec lui pour dormir ?
-Ah, oui, bien sûr, bégaya Jacob. Sans problème, mon vieux. Prends le lit de mon frère, je dormirai avec Bastian.
-Merci, mec, dit-il avec reconnaissance. Bon, les garçons, je vais me coucher, bailla-t-il en s’étirant vers le haut. A demain tout le monde.
Il attrapa sa veste sur le canapé et se dirigea vers la chambre du frère de Jacob. Bastian envoya un regard à la fois perplexe et interrogateur à Jacob, qui ne fit que hausser les épaules. Ce qui ne fit qu’accroître la colère du jeune homme.
Tom se réveilla au milieu de la nuit, ne sachant pas trop pourquoi. Mais il y avait une chose certaine : il transpirait, il avait mal et il mourait de soif. Il sortit alors péniblement du lit et enfila un pantalon.
Il n’avait pas bu deux gorgées de son verre qu’une porte grinça. Il vit sortir Bastian de la chambre de Jacob, en caleçon et en t-shirt. Ce dernier se figea sur le seuil lorsqu’il aperçut Tom debout dans la cuisine.
-Je n’arrivai pas à dormir, sembla s’excuser Tom.
-Moi non plus, chuchota Bastian, en fermant la porte de la chambre derrière lui.
Tom indiqua alors le rebord de la fenêtre et ils s’y assirent tous les deux, observant la nuit étoilée. Tom sortit une cigarette de sa poche, et en tendit une à Bastian, qui déclina l’invitation.
-Tu fumes, toi, maintenant ? s’étonna Bastian.
-De temps en temps, répondit Tom. Quand j’ai un truc qui me trotte dans la tête.
Un silence gênant s’installa.
-Moi aussi j’ai un truc qui me trotte dans la tête, attaqua finalement presque Bastian.
-Je t’écoute, invita Tom, un peu hésitant, sentant le malaise venir.
Bastian se racla la gorge un instant et planta son regard dans celui de Tom, qui portait la tige de nicotine à sa bouche.
-Pourquoi tu n’as pas voulu partager mon lit, ce soir ? demanda-t-il de but en blanc. C’est parce que je suis gay, c’est ça ?
Tom sursauta. Non pas pour la première question, mais pour la deuxième.
-Parce que tu es gay ? S’étrangla-t-il. Bastian ... non, bégaya-t-il. Tu crois que j’avais peur que tu ne me sautes dessus pendant la nuit, c’est ça ?
Bastian hocha la tête, un peu honteusement.
-Putain, que je suis con, cracha Tom en se cognant volontairement l’arrière de la tête contre le mur derrière lui. Rien à voir, annonça-t-il. Je ne dors jamais avec personne, Bastian, expliqua-t-il, cherchant son regard.
Bastian l’observa en retour d’un œil incertain.
-Je suis sérieux, Bastian, je ne dors jamais avec personne, appuya-t-il. Rien à voir avec toi. Et pour ton information, je suis gay aussi ; même si je n’en fais pas étalage, avoua-t-il d’un ton neutre.
-Tu es ... bégaya Bastian, abasourdi.
-Oui, je le suis, confirma Tom.
-Mais ... je pensais que ...
-Je sais ce que tu pensais, rigola nerveusement Tom. Comme je viens de te le dire, je n’en fais pas étalage. Les gens d’ici ne m’apprécient déjà pas beaucoup, je ne cherche pas à leur tendre le bâton pour me faire battre en plus, cracha-t-il avec dégoût.
-Tu parles de Luca ? demanda alors Bastian avec une petite voix.
-Entre autres, éluda-t-il. Bon, je vais me coucher, déclara-t-il finalement. Ne t’inquiète pas, Bastian, je n’ai rien contre toi. Vraiment rien dont tu devrais te soucier.
Alors il se leva avec paresse et, Bastian put le dire, un peu de difficulté, et se dirigea vers la chambre qui lui avait été assignée pour la nuit.
Leur nuit chez Jacob datait d’il y a trois jours, et ni Jacob ni Bastian n’avait eu de nouvelles de Tom depuis ce temps là. D’habitude, ils passaient tout leur temps ensemble, mais ni l’un ni l’autre ne l’avait croisé depuis trois jours. Bastian avait donc décidé de se rendre chez lui pour savoir de quoi il en retournait. Sa voiture le guida presque toute seule jusqu’à la rue de Tom, faute aux nombreuses fois où Bastian l’avait raccompagné. Il ne savait pas trop à quoi s’attendre, mais il savait que l’absence de Tom avait un rapport avec la nuit chez Jacob. Seulement, il n’arrivait pas à mettre le doigt sur la raison.
Il s’approcha avec beaucoup d’appréhension de la maison et frappa à la porte. Quelques instants plus tard, un homme d’une quarantaine d’années lui ouvrit la porte.
-Je peux vous aider ? demanda-t-il alors d’un ton bourru.
-Pardonnez-moi, commença Bastian, mais je suis un ami de Tom. On ne l’a plus vu depuis quelques jours et il ne répond pas à nos messages. Je voulais juste savoir comment il allait.
L’homme soupira et laissa Bastian entrer. Il le guida jusqu’au salon, où Bastian put apercevoir le dos de Tom, avachi dans un canapé en train de jouer à un jeu vidéo.
-C’était quoi, papa ? demanda-t-il sans se retourner.
-Un ami qui veut te voir, répondit son père.
Tom tourna immédiatement la tête et, lâchant sa manette de jeu, le regard de panique qui s’insinua dans ses yeux ne put échapper à personne.
-Pourquoi tu l’as fait entrer, papa ? s’exclama-t-il avec véhémence.
-Tu ne vas pas te cacher indéfiniment ! s’écria son père à son tour. Et je ne suis pas censé savoir qu’il n’est pas au courant, se défendit-il en quittant le salon.
Bastian ne savait plus où se mettre. De toute évidence, sa présence gênait. Il ne voulait qu’une chose, s’enfuir immédiatement. Le regard de Tom était vissé dans le sien et si Bastian pouvait lire de la colère dans ses yeux, il y percevait surtout de la peur.
-Ecoute, dit finalement Bastian, ce n’était peut-être pas une si bonne idée. Excuse-moi.
Bastian tourna les talons et entendit Tom soupirer fortement.
-Bastian, l’appela-t-il dans un soupir. Reste.
Son ton laissait entrevoir plus d’espoir que d’ordre.
-S’il te plaît, reste, reprit-il plus fort.
Bastian fit volte face pour voir que Tom s’était lui aussi retourné, tête basse et lui tournant à nouveau le dos.
-Il est temps que tu saches, je pense, continua-t-il, hésitant. Fais le tour du canapé, je ne peux pas bouger.
D’un pas incertain, Bastian fit le tour du canapé. Son regard planté dans celui de Tom. Il ne comprenait pas bien. Alors Tom fit un signe de tête vers ses pieds et le visage de Bastian, qui avait suivit son regard, prit une teinte bien trop blanche pour quelqu’un d’encore vivant et son regard sembla comme perdu. Si Tom avait enfilé un pantalon, il était clairement visible que sous le pan gauche, il manquait une jambe …
Bastian restait planté là, les yeux exorbités par ce qu’il voyait. Sa bouche s’était largement ouverte, telle celle d’un poisson hors de l’eau, et il cherchait visiblement à dire quelque chose qui ne venait pas.
Tom, qui sembla finalement agacé, plus qu’en colère, sortit de sous le canapé une paire de béquilles et entreprit de se lever. Il claudiqua jusqu’à la porte vitrée. Là, il passa ses deux béquilles dans une main, en appui sur sa seule jambe, et ouvrit la baie vitrée. Il se remit finalement en route sur trois pattes, dont deux d’acier, et s’accouda à la rambarde de la terrasse derrière la maison.
Bastian n’avait pas bougé d’un pouce, les yeux rivés sur Tom et son départ de la pièce. Il secoua finalement la tête de façon frénétique pour se remettre les idées en place et se mit enfin en mouvement. Sans même y penser, il se dirigeait vers l’endroit où Tom se trouvait. Il s’accouda lui aussi à la rambarde, séparé de Tom par les béquilles posées en équilibre contre la barrière.
-Je veux bien une clope, cette fois, dit finalement Bastian, la voix enrouée.
Sans dire un mot, Tom plongea sa main dans sa poche et en sortit deux cigarettes. Il alluma les deux d’un même mouvement, les deux cigarettes coincées entre ses lèvres puis en tendit une à Bastian qui la coinça dans ses doigts en regardant la tige de nicotine d’un air mauvais. Il la fit rouler quelques instants entre son index, son majeur et son pouce, puis la porta finalement à ses lèvres. Il tira un long moment dessus, le bout prenant une teinte rouge électrique, avant de la retirer et de cracher avec violence toute la fumée contenue dans ses poumons. Il se retourna ensuite dos à la rambarde et posa enfin son regard sur Tom.
-Pourquoi tu ne me l’as pas dit ? Attaqua-t-il presque.
Tom rit nerveusement avant de prendre lui-même une longue bouffée de nicotine.
-Pour voir le regard que tu me jettes, là, tout de suite ? Cracha-t-il en même temps qu’il rejetait la fumée par ses narines. Non merci.
Bastian sursauta. Puis baissa la tête.
-Quel regard ? Osa-t-il tout de même demandé.
-Quel regard ? S’énerva soudainement Tom. La confusion, la pitié, l’horreur. Ce même regard que tout le monde me lance quand il voit ... ça ! dit-il en pointant son doigt vers l’endroit où aurait dû se trouver son mollet.
-De la ... pitié ? S’étrangla Bastian. Sérieusement, Tom ? Tu crois que j’ai pitié de toi ?!
-Ça y ressemble, oui, pouffa-t-il désagréablement.
-Que j’ai de la peine pour toi, peut-être, de la pitié, va crever !!! S’énerva alors Bastian. Là, tout de suite, je n’ai aucune putain de pitié pour toi ! Je suis censé être ton ami ! Ça fait des mois qu’on se connait et je suis obligé de l’apprendre comme ça ? Et aussi tardivement ?! Qu’est-ce que ça peut dire, venant de toi ? Je pensais vraiment qu’on était amis ... tu aurais dû me le dire ! Le fait que tu aies une jambe en moins ne change rien à ce que je pense de toi.
Tom rigola à nouveau amèrement.
-Ils changent tous en me voyant tel que je suis, Bastian. Tous. Pourquoi crois-tu que je dors seul ? Ou que je ne sois pas sorti depuis trois jours ? Un mec sans jambe, ça fout les jetons, Bastian !
-Moi, ce qui me fout les jetons, c’est que tu n’aies pas eu le courage de me le dire, à moi ! reprit Bastian avec véhémence. C’est ça qui me fait peur ! Certes, on ne se connaît pas depuis longtemps, mais on a déjà vécu pas mal de choses tous les deux. Alors tu comptais me le dire quand ?
-Jamais.
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