Tiaré Tauhaamaa
Jamais légende ne s’était interposée entre moi et la réalité… jusqu’à cette balade.
Je descendais l’allée de la petite pension familiale acclamée par les derniers chants de coq de la matinée ; le soleil était doux, la brise agréable. La végétation s’était exaltée, les contrastes de couleurs aguichaient l’œil : du rouge vif au vert tendre, de l’indigo au blanc immaculé…
Mes hôtes étaient attablés près de la sortie ; c’était un couple à l’image du lieu, alliant l’homme du Nord de la France à la vahiné locale. Je les saluai au loin et gagnai la seule route goudronnée de l’île qui serpentait le long de la côte.
Je rêvassais en marchant sur deux kilomètres, bercée par le bruit du vent dans les palmes. La lumière déclina brutalement et m’extirpa de mes pensées. Je levai les yeux, les nuages roulaient en masse depuis la mer, et s’amoncelaient au-dessus de l’île. Ma destination, le mont Metehahi, fut cerclée par un amas nuageux et sa cime disparut complètement de ma vue. Je soufflai : j’avais expressément choisi de faire cette randonnée aujourd’hui après avoir étudié les prévisions météorologiques… Sans doute la météo sur cette petite île perdue au milieu du Pacifique était difficile à prédire, mais elle me faisant tout de même l’effet d’une diva capricieuse…
Je ne croisai personne, l’asphalte était libéré de l’agitation des véhicules et c’était tant mieux ! Les rares voitures étaient à l’arrêt, la vitre descendue, la clé sur le contact… Je souris, sur l’île du levant, la confiance en l’autre existait toujours…
La veille, j’avais croisé un enfant et sa petite sœur, seuls sur la route, un sac à la main. Son enthousiasme, son large sourire et son « bonjourrr » m’avaient donné l’impression d’être de sa famille. Je leur demandai ce qu’ils faisaient ainsi sur le bord de la route (sans leurs parents…)
— On cueille des fleurrrs pour ma tante.
Les fleurs étaient cueillies presque à ras, avec une très courte tige, difficile d’en faire un bouquet… J’appris qu’elles étaient destinées à orner une couronne de fleurs… Ah ! Comme j’aurais aimé voir cette femme polynésienne tisser les fleurs ramassées par ces enfants pour en faire une couronne ! Comme la vie ici semblait différente…
Je quittai la route goudronnée pour prendre le raidillon en terre qui menait à mon sentier de randonnée. Le départ était signalé sous un grand frangipanier qui tapissait le sol de ses fleurs fanées ; j’en ramassai une, admirai la corolle en hélice fuchsia, jaune au centre, et humai son parfum : l’odeur – un concentré floral – était puissante et envoûtante. Je grimpai avec difficulté, la pente était raide et la chaleur suffocante. Je m’arrêtai à plusieurs reprises, profitant de la pause pour me retourner et admirer la vue entre les branches, de plus en plus aérienne. Je pris mes jumelles : le lagon et ses eaux translucides se fondaient au loin dans l’outremer, par endroits la barrière de corail émergeait des flots, on y voyait les vagues s’y briser et mourir dans un lit d’écumes. Je fermai les yeux et me concentrai : d’ici leur déferlement n’était qu’un murmure…
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