L'Arbre à l'Oeil

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Je pourrais passer des heures à écrire. Des ci et des ça. À explorer des histoires nouvelles sous l'ombre de mon imaginaire. Je pourrais aussi vous dire ce qui va sans dire. On dit que ça va toujours mieux en le disant. Alors, je pourrais facilement vous dire des choses, et puis d'autres, et encore d'autres. Je pourrais vous dépeindre des mondes entiers ou seulement des fragments de vérités fictionnelles. Je pourrais sous vos yeux faire tomber les barrières, dévoiler les masques et enlever les voiles qui se dressent au gré du temps.

Tiens, je pourrais vous écrire l'automne : les feuilles rouges des arbres, le son de la pluie, le vent qui souffle. Je pourrais rester là comme ça, à vous dire beaucoup de choses, mais pas beaucoup finalement. Oui, rester comme ça, la larme à l'œil, l'arbre en ligne de mire, l'arbre à l'œil, si je puis dire.

Je pourrais vivre de sous-entendus, évoquer les choses du passé, les souvenirs. Ce serait juste pour noyer le loup en surface. Je pourrais laisser planer le doute sur mes intentions, tiens. Il y a des tas de choses que je n'ai pas encore expérimenté.

Je pourrais m'accrocher aux branches de l'arbre sans vraiment aller au fond des choses qui me gardent en vie. Je pourrais laisser plier les branches et retenir des mots durs, sous le poids des silences, comme des épines sur ma langue. Je pourrais juste laisser passer le temps sans vraiment dire la brûlure qu'il étouffe. Il n'est que calme apparent tandis que je suis de braise sous la cendre. 

Je pourrais laisser passer beaucoup de choses, de blessures, de mensonges, de plaies béantes, de douleurs incessantes. Laisser passer le train de la vie sans crier gare, sans vraiment dire les choses. Je pourrais continuer à polir la surface, à se faire beau, à se faire belle, à s'y faire. Ou croire qu'on s'y fait, les deux.

Je pourrais ainsi laisser comme ça tout un tas de choses m'envahir sans me dire envahie par quelque chose. Juste, en me souvenant de l'arbre au coin de l'œil, l'arbre qui perd ses feuilles d'automne, qui résiste au vent, aux orages, aux tempêtes. Mais qui dit automne prévoit l'hiver. Qui laisse craquer ses branches, rêve de voir grandir de nouvelles racines, puis de voir pousser de nouveaux bourgeons. Quelle que soit sa vie, l'arbre à son histoire. 

Je pourrais, comme ça, garder l'arbre à porter de main et me dire que je pourrais me dévoiler un peu plus en ayant l'arbre à l'œil. Ou alors... Je pourrais gratter la terre avec mes doigts, creuser jusqu'à l'essence même de la vie qui l'entoure. Fouiller l'inépuisable source de vie de l'arbre jusqu'à ce que mes ongles prennent racine.

Je pourrais essayer de comprendre, d'entendre tout ce qu'il a fallu taire. Je pourrais comme ça savoir ce qui se cache aux alentours, les loups, les vipères. Ou juste des vers de terre. J'espère.

Derrière ces histoires sans paroles, ces images souvenirs, je pourrais gratter pour puiser au fond les blessures ouvertes à jamais dans la terre, dans mes racines. Puissiez-vous puiser au fond des jamais, j'aimais. Je pourrais retrouver nos nous, nos jeux, nos autres mêmes, va savoir. Je pourrais, sous le soleil, sous la pluie, la neige et le vent, savoir qui je suis finalement. Ce serait comme le bouquet final, la lumière au bout du tunnel que l'on garde de voir arriver jour après jour.

Alors, je pourrais gratter sans fin avec soif de vie, avec l'envie de savoir, de connaitre, de me rappeler, de retracer de nouvelles lignes. Des lignes de vie aux fils rouges, rouge sang forcément. Je pourrais remonter à la source de toutes ces choses que l'on transporte et qui font, et oui, partie de nous. 

Mais si par malheur, je confondais source et racine, si je confondais douleur et transformation, rire et larme, je pourrais tout confondre si je ne prends pas soin de rester à la surface des choses. Je ne sais pas si je pourrais vivre en même temps ce que je vois et ce que j'entends, car ce qui se dit à la surface est souvent différent de ce qui se cache derrière chaque ombre, chaque arbre et chaque histoire.

Mes jours et mes nuits, je pourrais les écrire, comme ça.

Et je pourrais avoir le choix :

rester à la surface

ou gratter plus bas.

admirer l'ombre

ou découvrir ce qu'elle cache.

En haut.

En bas.

Je pourrais écrire longtemps sur tout ça, des jours, des mois, des années mêmes. Je pourrais écrire pendant des heures, des heurts avec moi-même, avec ma vie, avec ma propre histoire. Je pourrais être heureuse comme ça, trouver des éclats et claquer des heures sous mes doigts, à gratter, noircir, déterrer la vérité. Lever les voiles. Dévoiler. Aimer, renâcler. M'armer de patience, te désarmer. Les larmes à l'œil. Sur l'arbre de vie. Vide de larmes. Être heureuse. Non, ça je le suis déjà. Je vais m'enraciner, près d'un roi, d'un mirage, d'un arbre maudit, soit-il.

Sois-je.



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