L'Archiviste (Partie 1)

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Au loin, dressée sur un promontoire rocheux dominant la mer, se dressait la fière cité de Ferziliath, capitale portuaire du royaume d’Eaudormante. Les bâtiments blancs et gris de la ville se déversaient jusqu’aux rivages et se répandaient tout autour de la colline. La route grimpait paresseusement jusqu’à la cité, en enjambant l’estuaire de l’Eldenore grâce à un grand pont de pierre.

— Bon, nous y voilà. Il nous faut trouver celle que tu cherches maintenant… Quel est son nom déjà ? demanda Galanodel.

— Hérilis Shandrannor. C’est une historienne. Si cette cité a une bibliothèque, des archives, ou quelque chose comme ça, c’est là-bas qu’on la trouvera.

— On est obligé d’aller dans la ville ? demanda Grum en soupirant.

— Je pense oui. Il va falloir rester discret encore une fois, fit Ædemor en lui tendant le manteau de laine grise.

Ils avancèrent sur le chemin les menant à l’agglomération et croisèrent plus de passants et de chariots qu’auparavant. Ferziliath apparaissait moins grande et moins oppressante qu’Aldradan. Les gens allaient çà et là, s’affairaient en toute quiétude à leurs occupations et échangeaient de temps un temps une parole avec un voisin pour le saluer amicalement.

Après avoir passé le pont de la cité, ils arrivèrent aux portes de Ferziliath aux premiers instants du crépuscule. Le portique était grand ouvert, surveillé par la présence de plusieurs gardes. Des oriflammes encadraient l’entrée, frappés du blason du royaume, l’épée noire sur le cœur écarlate, symboles de la vaillance et de la générosité, disait-on. La garnison jeta un œil distrait aux trois étrangers s’introduisant dans l’enceinte. Le couloir s’enfonçant sous la muraille débouchait dans l’immense antichambre de la cité : le Hall des Voyageurs.

Ædemor avait entendu parler de cet endroit, une véritable curiosité locale. Quand ils pénétrèrent dans cette vaste salle, leur surprise fut totale. Suspendu à plusieurs dizaines de mètres du sol par de pesantes chaînes, un imposant luminaire éclairait la pièce immense. Des cristaux chatoyants y diffusaient une lumière chaude et, à l’instar des vitraux colorés embellissant les fenêtres, y miroitaient mille reflets. Des tentures représentant de grandes scènes de batailles, de chasses et de cérémonies décoraient la partie haute des murs et de délicates mosaïques agrémentaient le sol. Quatre piliers larges comme dix hommes soutenaient une voûte immaculée d’arcs en plein cintre, donnant à l’édifice des airs de cathédrale.

— Qu’est-ce que c’est que cet endroit ? demanda Galanodel, tétanisée par le gigantisme de la salle.

— Je crois que c’est le Hall des Voyageurs. En plus d’être une prouesse architecturale, c’est une place publique où l’on traite d’affaires commerciales, politiques, économiques, judiciaires et religieuses et où les nouvelles du royaume d’Eaudormante se transmettent.

— Comment tu sais ça ? demanda Grum en se gratta nonchalamment la tête.

— Un marchand aldradian me l’avait raconté une fois. Mais je n’imaginais pas ça.

Malgré l’heure avancée de la journée, tout autour d’eux, la foule grouillait. Marchands, messagers, coursiers, gardes, crieurs, porteurs, nobles, paysans, tous se croisaient dans une apparente cacophonie. Des humains, mais aussi des Undurs, des Valwyns, et même des Gors.

La Valwyne baissa son capuchon sur son visage, mal à l’aise. Grum, effaré, regardait une charrette pleine de barriques de bière, conduite par un Undur.

— D’après ce que je sais, la bibliothèque royale se situe non loin du Hall. Nous n’aurons pas besoin de visiter toute la cité.

— Dommage, je serai bien allé boire un coup ! dit Grum en regardant s’éloigner la bière.

Galanodel haussa les épaules de dédain. Ædemor demanda à plusieurs passants la direction et l’un d’eux — un roturier pansu et au nez couperosé — lui désigna vaguement de la main une direction vers le nord du Hall.

— C’est la bibliothèque royale. Mais si vous voulez mon avis, vous feriez bien d’y retourner demain, ajouta le bonhomme. D’une, ils aiment pas que des mains sales viennent poisser les pages de leurs jolis livres et de deux, ils aiment pas non plus les visiteurs tardifs. Enfin, j’dis ça, allez voir si vous avez pas peur de vous faire jeter par les sentinelles.

Ædemor soupira. Il leur faudrait attendre le lendemain pour rechercher l’historienne. Hormis la bibliothèque et le palais royal, il n’avait pas d’autres pistes. Grum proposa :

— Allons nous reposer un peu non ? Je serai pas contre un p’tit coup à boire !

— D’accord, mais restons discrets. Même si la garde ne va pas nous arrêter à vue, il est préférable de ne pas crier sur tous les toits le nom du culte qui m’envoie ici, prévint Ædemor.

— Quel culte ? Ah ouais, la Lumière Ga…

Grum poussa un grognement de douleur tandis que le jeune homme lui écrasa le pied, lui intimant de se taire. Galanodel leva les yeux au ciel.

Ils se dirigèrent vers la sortie du Hall, franchissant la béance qui menait à l’intérieur de la cité, baignée de la lueur orangée du soleil couchant. Débouchant sur une large allée, Ædemor nota que les hautes murailles ne semblaient pas de facture humaine, tant leurs renforcements et leur imposante ossature paraissaient à l’épreuve d’une armée. Le palais royal les dominait, tout en haut sur la falaise, tandis que les effluves du port voisin amenaient à leur odorat la rumeur de la marée.

— Je pense qu’il va nous falloir changer de tenue pour aller là-bas, suggéra Ædemor. Même après un bon bain, nous nous ferions refouler comme des gueux à l’entrée. J’espère que…

Il se retourna pour apercevoir Grum s’engouffrer dans une échoppe dont l’enseigne était frappée d’un cœur de fer.

— J’imagine qu’il en a eu assez d’attendre. On devrait le rejoindre avant qu’il ne fasse du grabuge. Il est un peu… turbulent, parfois.

Galanodel le suivit dans l’auberge. L’air frais de l’extérieur fit place à la chaleur étouffante de l’intérieur. De nombreux clients attablés discutaient dans un bruyant brouhaha. Le semi-Gor les aperçut et leur fit signe de le rejoindre. Il avait déjà une chope de bière à la main, et deux autres les attendaient.

— Venez voir ! Je nous ai pris à boire ! J’avais soif !

Ed regarda Galanodel, inquiet.

— Je n’ai pas de quoi payer !

— C’est bon. J’ai de la monnaie humaine. Ça devrait aller.

Elle s’adressa au comptoir :

— De l’eau et à manger pour nous trois, également, s’il vous plaît.

Le tenancier éclata de rire :

— « S’il vous plaît ! » Ha ! Elle est bien bonne ! Mais avec plaisir, madame la baronne !

Galanodel secoua la tête, Ædemor l’invita à s’asseoir.

— Viens, laisse tomber. Nous avons du temps devant nous jusqu’à demain. Autant en profiter pour nous reposer un peu. Merci pour le repas et les boissons au fait.

— Ce n’est pas comme si je vous alimentais depuis que nous nous sommes rencontrés, n'est-ce pas ? fit Galanodel d’un rire moqueur.

— Ouais, t’es la meilleure, Gal ! fit Grum avant de lamper à grosses gorgées sa bière.


Galanodel vint frapper à la porte de leur chambre le lendemain, apportant des vêtements : cotte en chanvre bleu et surcot de laine vert pour Ædemor, tunique beige et chausses marron en jute pour Grum.

— Il vaut mieux que tu gardes le manteau d’Ædemor pour le moment, tu attireras moins les regards.

Elle s’était procurée une robe sans manches jaune citron qui révélait une féminité que masquaient ses précédents apprêts. Bien que peu à son aise, elle ne manqua pas d’impressionner le jeune homme.

— J’ai quelques économies qui nous permettront de subsister quelques jours au besoin, fit la Valwyne.

— Merci de ta générosité, Galanodel, répondit Ædemor. Nous te sommes redevables. J’espère que nous n’aurons pas à chercher pendant trop longtemps.

— En parlant de ça, si vous n’avez rien de mieux à faire nous pourrions aller à cette fameuse bibliothèque, non ?

— Ça dépend. Tu veux toujours nous vendre ? ironisa Grum.

Galanodel parut outrée par la remarque, puis se rasséréna.

— Je ne suis pas encore décidée, tala. Mais rassure-toi, tu seras le dernier au courant.

Ædemor fit signe au semi-Gor de ne pas répliquer, ce à quoi il répondit en grommelant.

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