La Gardienne (Partie 3)

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Ils s’enfoncèrent alors dans le passage. L’odeur de putréfaction et d’eau croupie était prégnante. Les murs étaient couverts de moisissures et de sel de pierre. On entendait au loin le couinement de rats. Ils progressèrent le long d’un étroit canal souterrain, servant probablement d’évacuation. Bifurquant à chaque croisement, guidé par une lumière blafarde et sans repère d’orientation, Ædemor se sentit perdu. Grum suivait sans se poser de questions. Quant à Galanodel, la Valwyne était aux aguets, et surveillait le moindre geste de Thorcil.

— Nous passons par les égouts de la cité. Il y a une recrudescence de vers charognards ces derniers temps. Soyez prudents.

— Dommage que j’ai plus ma hache, on aurait pu s’en payer une bonne tranche, pas vrai, Ed ? ricana Grum.

— Silence !

Thorcil s’était retournée vers Grum.

— Même avec une hache vous seriez probablement mort paralysé par le poison de ces vermines. Alors je vous ordonne de faire silence, maintenant !

L’écho de ses murmures se répercuta au loin, comme une menace sourde.

— Si on peut plus rigoler…

L’archiviste poursuivit sa route, suivie par sa petite sphère luminescente. Tous les quatre semblaient avoir été avalés par les entrailles de Ferziliath.

Un temps interminable passa. Leur progression était lente, ils avancèrent à tâtons dans une quasi-absence de lumière. Thorcil abaissa l’intensité de sa sphère, rendant plus discrète leur présence, mais plus périlleux leurs pas. Les bruits de rats laissèrent place à un mélange de crissements sur le sol pavé et de gargouillis résonnant dans les couloirs.

Thorcil s’arrêta soudain et scruta les ténèbres autour d’elle. Elle attrapa sa sphère, s’approcha du mur et l’inséra dans un orifice caché par la pénombre. Un cliquetis se fit entendre dans le mur et celui-ci pivota sur lui-même, révélant une alcôve dissimulée.

— Pas mal ! lança Grum, admiratif.

— Nous y sommes presque. Allons-y, fit Thorcil en ignorant le commentaire du semi-Gor.

Ils entrèrent dans le passage entrouvert. L’archiviste récupéra son orbe vert, ce qui referma la porte secrète dans un bruit feutré.

L’intérieur de la cavité secrète ne semblait pas appartenir à la même structure, tant l’atmosphère y était différente. L’odeur du papier et du bois remplaça celle de la moisissure. La lumière provenant de deux braseros éblouit les intrus sortant de l’ombre.

Une porte en bois sombre attira le regard d’Ædemor, car son entrebâillement découvrit une silhouette en robe de lin blanc. Celle-ci s’avança dans l’alcôve et prononça d’une voix sereine :

— Vous voilà. Entrez, je vous prie. Nous avons à parler.

Son auditoire hébété, elle poursuivit :

— Je suis Hérilis Shandranor. J’ai eu vent de votre venue. Thorcil m’en a informée. Approchez, je vous prie.

Ils franchirent le pas de la porte et se retrouvèrent dans une ancienne salle d’armes. Une impressionnante collection d’armures et d’armes recouvrait le long mur du fond et une vitrine présentait divers objets aux formes multiples. De nombreux livres poussiéreux couvraient les rayonnages et d’autres étaient entassés à même le sol ou sous un bureau, faute de place. De nombreux symboles étaient représentés : du soleil aux étoiles, des rayons de lumières stylisés aux créatures ailées dorées. Tout ce sur quoi le regard d’Aedemor se posait était en lien proche ou plus subtil avec la Lumière.

Grum et Galanodel allèrent s’assoir sur un banc, sur l’invitation de Thorcil alors qu’elle refermait la porte derrière eux. Ædemor resta debout devant Hérilis.

— Pardon de vous demander ceci, mais qui êtes-vous ? demanda le jeune homme.

Hérilis Shandranor alla s’assoir sur une chaise rembourrée, de l’autre côté de son bureau encombré de parchemins.

— Vous avez devant vous Dame Hérilis Shandranor, Gardienne du Prisme et Protectrice du Bleu. Montrez un peu de respect, fit Thorcil de Larmelune d’un ton solennel.

Grum gloussa bruyamment.

Hérilis leva la main :

— C’est bon Thorcil, ils sont sur leurs gardes. Ils ont raison.

Son ton était doux et bienveillant, réconfortant comme un âtre chaud en plein cœur de l’hiver. Elle se retourna vers Ædemor.

— Pensez-vous que vous seriez encore en vie si c’était un piège ? continua la Gardienne. Les Quatre Lunes ne s’encombrent pas d’interrogatoires. Cela étant dit, vous avez été bien téméraires en vous lançant à ma recherche. Que puis-je pour vous ?

— Je viens sur le conseil de Mazaric, vicaire de la Lumière Gardienne. Je dois vous montrer ceci.

Ædemor tendit la main et l’approcha du bureau, avec en son creux le médaillon doré.

— Mazaric… ça ne me dit rien. Cela fait longtemps que je ne suis pas retournée à Aldradan. Paltur est-il toujours aux commandes ? C’est moi qui l’avais recommandé au diacre précédent. Comment va-t-il ?

— Il est mort. Le vicaire Mazaric aussi. Des assassins ont découvert notre cache et nous ont massacrés. Notre gardien de la porte et quelques novices ont pu en réchapper. Enfin, je l’espère. Nous n’avons retrouvé la trace que d’un novice au nord du royaume, qui avait tenté de fuir, mais qui a été exécuté. Probablement par l’Ordre des Quatre Lunes.

La voix d’Ædemor vacillait. Narrer les évènements les lui faisait revivre, et il revoyait les images douloureuses de la nuit du drame.

— C’est regrettable. Des assassins dites-vous ?

— Oui, je pense que tout est lié à ceci.

Hérilis fit une moue enfantine quand elle prit le pendentif. Tandis qu’Ædemor lui racontait sa fuite et décrivait ses assaillants, elle scrutait l’objet intensément.

— C’est étonnant qu’un pendentif comme celui-là tombe entre des mains inconnues. Je me demande qui était cette femme, la compagne de ce « Crabe ».

— Elle s’appelait Jeani Luta.

— Luta… Luta… pensa la Gardienne à haute voix.

— Et ce pendentif, c’est quoi ? coupa le jeune homme.

— Une seconde, Thorcil, voulez-vous… ?

L’archiviste se plaça devant elle, et lui prit l’emblème doré des mains. Elle traça une série de symboles et psalmodia :

— Minto psachneis !

Une flamme verte apparut et fit crépiter l’amulette en une gerbe d’étincelles.

— Mais qu’est-ce que vous faites ? s’écria Ædemor.

Grum s’était relevé, intrigué. Galanodel semblait avoir compris la scène.

— Votre médaillon était entravé de magie, un enchantement de pistage. Un sort commun, mais bien dissimulé. Notre amie ici présente en a rompu la cible, mais l’origine est toujours active.

— Quelqu'un peut m'expliquer ? grogna Grum.

— C’est un peu comme si on ordonnait à une porte d’appeler sa clé. Tu comprends ? lui expliqua la Valwyne.

Devant la mine dépitée de Grum, Galanodel se tourna vers Ædemor en haussant les épaules.

— Je saisis. Mais qui a lancé ce sort, et pourquoi ? demanda le jeune homme.

— C’est assez facile à deviner, continua Hérilis. Ce doit être des agents au service du culte de l’Aile Sombre. Ils ont dû trouver quelque chose relié à ce pendentif et ils en ont besoin. Pourquoi, par contre, je ne sais pas.

— L’Aile Sombre, vous voulez dire, le Dragon d’Ombre ?

Hérilis hocha lentement la tête.

— C’est un symbole de Tyasimar que vous m’avez amené. La Lumière Gardienne que vous chérissez avec dévotion n’en est qu’une des manifestations. En venant ici, vous accomplissez Sa volonté. Quant à savoir pourquoi il est entré en la possession de cette Jeani Luta, c’est assez facile. Elle devait le tenir de son grand-père, Valnyr de Luta. C’était un chevalier du Dracosire qui a été exécuté par la Grande Inquisition à Norfen, il y a plus de soixante ans.

— Mais le Dragon d’Ombre a disparu !

— Pas plus que le Dragon de Lumière, vous en êtes la preuve vivante. Là où l’on trouve le premier, le second ne tarde pas à revenir.

Galanodel coupa la discussion :

— Pardon, mais quel est votre rôle dans tout ceci ? Qu’est-ce que le Prisme ?

— Votre question est légitime, même si votre méfiance n’a plus de raison d’être. Les Guetteurs du Prisme sont les garants du savoir et de la mémoire. Nous suivons les préceptes du dieu suprême, Ateyar, le dieu du Temps et de la Connaissance. Pour se souvenir, pour prévenir. En tant que Protectrice du Bleu, je suis le dernier membre vivant du conseil du Prisme. Mon devoir est de conserver afin de transmettre l’histoire des Dracosires.

Elle marqua une courte pause, observant Galanodel, et continua :

— Pour répondre à l’autre question qui vous pend aux lèvres, jeune Valwyne, nous sommes dans un antique arsenal de l’Ordre du Dracosire. Je conserve ici les vestiges de l’Aile Dorée. Grimoires, armes, armures et objets de culte.

Tandis que Grum alla inspecter les armes accrochées au mur, Ædemor resta pensif devant le bureau, perdu sur la dorure du pendentif.

— Il va nous falloir partir, c’est ça ?

Ædemor avait saisi le problème instinctivement. La conclusion était évidente. Il ne pouvait pas prendre le risque d’être découvert à Ferziliath ni de mettre en danger Dame Shandranor ou Thorcil.

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