La Caverne (Partie 2)
Ædemor prit la parole en hésitant :
— Pardon de vous déranger, noble dragon. Nous nous sommes perdus dans les entrailles du volcan et… bien que nous soyons honorés de votre présence, nous regrettons notre intrusion.
Grum, Galanodel et Yukihina le toisèrent avec effroi, craignant qu’il n’attise le mécontentement du grand reptile. Celui-ci le regarda de toute sa hauteur et répondit :
— Tiens, une souris qui parle. Avec de bonnes manières qui plus est. Ça me change des rats malades qui arrivent d’habitude jusqu’à moi. Votre Empire envoie-t-il des tributs pour apaiser ma colère ? À moins…
Il huma l’air bruyamment, expulsant des volutes de fumée à chaque expiration.
— Non, vous ne venez pas de l’Empire, vous n’en portez pas la pestilence et puis je sens autre chose.
Le grand dragon se pencha en avant, avançant son museau vers le groupe terrorisé.
— Toi, poursuivit-il à l’encontre de Galanodel. Qui es-tu ? Ton odeur m’est familière.
Grum et Ædemor posèrent la main sur la poignée de leurs armes, Yukihina serra les poings. Galanodel n’osa parler.
— Je sens sur toi la puanteur d’un dragon. Tu es la fille du Ver d’Argent, Argyros !
Ses dernières paroles résonnèrent contre les parois de la grotte et firent trembler les flots de lave.
Argyros. Ædemor avait déjà entendu ce nom. Il ornait les plus beaux contes d’Opalys. Argyros le dragon de glace, la Lance Céleste, était un être merveilleux qui avait maintes fois brillé aux côtés des peuples humains et valwyns. Il exprimait un amour pour les créatures intelligentes que l’on aurait pu qualifier de paternel.
— Comment est-ce possible que le rejeton bâtard de mon ennemi se trouve devant moi, dans mon domaine ? poursuivit le dragon rouge.
— Si vous connaissez Argyros, vous ne pouvez être que Pyrkaia ! répondit Galanodel.
La Valwyne s’était redressée, malgré la menace. Elle tremblait sous la révélation de son origine. Ædemor la dévisagea, partagé entre l’appréhension de savoir que le même sang que celui du reptile coulait dans les veines de Galanodel et la satisfaction d’avoir une si puissante alliée à ses côtés. Sa force incroyable, ses pouvoirs liés à la glace provenaient donc de son sang draconique.
Le grand dragon rouge s’étira de toute sa hauteur et exulta d’un rire terrible.
— Oui. Pyrkaia, la Terreur Ardente, la Fournaise Ailée, c’est ainsi qu’on m’appelle. Argyros l’a compris lors de notre dernière rencontre et il s’est enfui la queue entre les pattes !
Ædemor eut un mouvement de recul instinctif. À l’instar d’Argyros, le nom de Pyrkaia ne lui était pas inconnu. Ancienne comme les fondations d’Opalys, la grande dragonne rouge approchait le millénaire d’existence selon les grimoires d’histoire. Elle avait été la maîtresse du sud du continent pendant des siècles. Elle dut céder sa place à la suite de sa défaite face à Gravonleek, père du Premier Empire et champion de Morgastar. Pyrkaia n’avait plus été aperçue depuis la bataille de Marchwavald où elle s’était rangée du côté de l’Empire.
Elle planta son regard dans celui de la Valwyne.
— Si tu connais mon nom, tu sais aussi ce qu’il advient des intrus qui foulent mon domaine.
Grum resta pantois, il toisait Ædemor comme un chiot penaud complètement terrorisé. Yukihina campait derrière lui, imaginant que la stature du semi-Gor la protègerait de la présence affolante du dragon.
— Immense et effroyable Pyrkaia, nous ne venons pas en ennemis, déclara Ædemor, chancelant.
Le grand reptile partit dans un râle rauque avant de reprendre :
— Penses-tu seulement être en position de pouvoir venir en ennemi, petite souris ? Je pourrais te réduire à néant au moindre de mes caprices !
— Non, bien sûr que non, Terreur des terreurs d’Opalys, réagit Ædemor. Je souhaitais vous informer du danger que l’Empire allait faire peser sur toutes les créatures de ce monde.
— En quoi cet Empire fébrile pourrait-il me menacer moi, le plus puissant des dragons ?
— L’Empire cherche le pouvoir qui vous a vaincu par le passé. Morgastar pourrait revenir en Opalys pour tout détruire. Et même vous, ô Terrifiante Flamme, ne pourrez pas vous y opposer, reprit-il.
— Encore un mot et je t’envoie rejoindre tes ancêtres, petite souris, coupa Pyrkaia.
Ses écailles se hérissèrent et ses yeux furent de lave. La fureur l’avait d’un coup embrasé et la chaleur dégagée rendait l’air irrespirable.
— Ainsi cet imbécile de Gorgamos veut faire ressurgir Morgastar. Gravonleek m’a vaincu uniquement grâce à Son aide. Sans cela, je l’aurais détruit aussi facilement que je m’apprête à le faire avec vous.
— Ah, mais si tu nous tues, plus personne l’empêchera de revenir ! intervint Grum
— Que dis-tu, vermine ? gronda le dragon.
— Ô Ardente Grandeur Cataclysmique, déclara Ædemor. Ce que veux dire mon ami, c'est que je suis le seul à pouvoir empêcher son retour. Je suis le dernier chevalier de Tyasimar.
Pyrkaia le fixa et reprit d’une voix caverneuse :
— La bâtarde de mon rival et le paladin d’un autre ennemi, ici, dans mon antre ! Il va vous falloir beaucoup d’imagination pour que je vous laisse vivre jusqu’à demain !
Là-dessus, Pyrkaia se jeta sur le flanc du groupe et balaya la troupe d’un revers de sa longue queue. Yukihina sauta prestement, s’aplatissant sur le sol dallé, mais Galanodel, Grum et Ædemor furent projetés contre la paroi de la salle.
— Ma défaite est lointaine et la puissance acquise depuis surpasse toutes les créatures d’Opalys ! Ma colère détruira ceux qui osent se dresser devant moi !
Bondissant à nouveau, le dragon plaqua Ædemor à terre d’un coup de patte griffue. Resserrant son emprise, il appuya de tout son poids sur le corps du jeune chevalier qui poussa un râle de douleur.
Galanodel se redressa et tira une volée de flèches au dragon en direction du ventre. L’épaisseur des écailles ne laissa aucune faille dans laquelle une pointe aurait pu passer et Galanodel dut se mettre à couvert derrière un rocher écroulé.
Yukihina en profita pour grimper sur le dos de Pyrkaia et chercha un point faible sur l’échine du reptile. Mais sans précautions aucunes, elle ne vit pas la patte qui la projeta dans les airs d’une frappe magistrale. Grum l’intercepta dans sa trajectoire qui l’envoyait dans une mare de lave en fusion.
— Comment osez-vous me menacer dans mon antre ? Pauvres fous ! L’Empire ne peut rien contre moi et vos faux dieux ne valent rien !
De faux dieux ? pensa Ædemor. Cette pensée enflamma sa volonté. Il parvint à attraper la poignée de son épée et l’agrippa avec force.
— Des bâtards indolents, des ineptes indignes de mon rang ! Si vous aimez le goût du sang, il me tarde de vous faire boire le vôtre !
Le chevalier avait la gueule du dragon rouge juste au-dessus de lui à présent. Il ferma les yeux, dégagea sa lame, et murmura :
— Ô, Tyasimar, dragon des justes et des valeureux, je t’implore. Donne-moi la force de repousser les ténèbres qui me submergent. Je mets mon destin et mon âme entre tes mains, Dracosire. Permets-moi d’embrasser ta lumière.
— Que dis-tu, petite souris ? Me supplies-tu de t’épargner ?
Un éclat doré embrasa l’arme d’Ædemor et projeta une lueur éblouissante. Pyrkaia eut à peine le temps de s’interroger quand il vit la lame traverser sa chair.
Le dragon lâcha sa prise et poussa un rugissement de douleur. Ædemor se releva et épongea le sang et la suie qui lui barrait le visage.
— Ainsi, la petite souris se rebelle ? Pauvre fou. Soit. Tu vas donc comprendre pourquoi mes surnoms sont amplement mérités.
Pyrkaia inspira profondément, et, déployant ses ailes de toute son effrayante envergure, souffla un brasier de flammes incandescentes en direction d’Ædemor. Le flot de chaleur arriva et le chevalier brandit sa rondache pour essuyer l’assaut.
Tout autour de lui, l’atmosphère s’échauffa jusqu’à faire fondre la roche avoisinante. Ædemor ne fut pas pris dans la tourmente, à son grand étonnement. Une sphère intangible agit comme un déflecteur et dévia le cône embrasé tout autour de lui.
Le souffle de feu s’interrompit. Le dragon entra dans une rage folle.
— Comment oses-tu me résister ! Tu vas mourir de mes griffes !
— Pas si vite, le lézard !
Grum se jeta sur le dragon et frappa avec férocité de tous les côtés. Yukihina plongea en avant pour éviter un balayage d’aile et grimpa dessus au prix d’impressionnantes acrobaties. Galanodel se dressa sur un rocher, nimbée d’une aura boréale, les écailles de son cou hérissées, et encocha des flèches pareilles à des pics de glace.
— Pyrkaia ! Nous ne sommes pas là en ennemis ! Écoutez-nous ! cria Ædemor.
— Mourrez, imbéciles !
Le dragon bondit sur la paroi verticale de la salle et se débarrassa du semi-Gor et de la Talwene qui churent lourdement. Il reprit son inspiration et projeta encore une fois son souffle incinérateur sur le groupe en contrebas. Ædemor s’interposa et brandit à nouveau son bouclier devant l’haleine destructrice. Profitant de sa position de tir, Galanodel décocha un trait qui se ficha dans l’œil du dragon.
Hurlant de douleur, il chuta et vint s’écraser au sol dans un fracas assourdissant qui souleva un nuage de poussières et de cendres.
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