La Disciple (Partie 2)

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Ils franchirent la porte d’entrée et s’installèrent à une table. L’ambiance était calme, apaisée par la mélodie d’une jeune harpiste accompagnée à la viole par un vieil homme hirsute. Un large âtre crépitait et dégageait une chaleur réconfortante. On leur apporta rapidement à boire et à manger : un repas copieux et simple, mais savoureux. Galanodel apprécia les plats de céréales aux légumes grillés, spécialité locale de Lacasar et Grum put enfin satisfaire son appétit carnivore en dévorant à grandes bouchées de la volaille rôtie et de la viande de bœuf en sauce.

— Vous mangez jamais de viande chez les Valwyns ?

— Non, Grum. Sauf si nous n’avons pas le choix. Les miens considèrent que toute entité consciente ne doit pas mourir pour nourrir.

— Pas sûr que ce poulet ait grand-chose à dire avant de finir rôti !

— Ce n’est pas parce que tu ne comprends pas qu’il ne raconte rien.

— Parce que tu sais leur parler ?

Gal alla répliquer quand un grand fracas se fit entendre à l’étage de l’auberge. Des heurts de vaisselle cassée et de luttes à peine assourdis par les cloisons arrivèrent jusque dans la salle commune. Une porte s’ouvrit à la volée et des pas précipités résonnèrent au-dessus de l’assemblée inquiète. Un cri étouffé et le bruit de la chute d’un corps sur le plancher mirent fin au tumulte. Certains clients posèrent nerveusement la main sur la poignée d’une dague ou d’un gourdin. Grum fit mine de saisir son maillet, mais Galanodel lui prit le bras en secouant la tête.

Le silence retomba dans la salle, les regards allant des uns vers les autres, puis se dirigèrent vers le haut des marches. Une femme de petite taille, au teint mat et aux yeux effilés, se tenait là. Ædemor reconnut immédiatement la Talwene rencontrée à la chapelle : Yukihina. Elle descendit les escaliers avec la démarche d’un chat, souple et feutrée. À la manière dont les muscles ondulaient sous sa peau foncée, on pouvait deviner que la lutte à l’origine du bruit avait largement été à son avantage. Sous les yeux médusés, elle prit place sur un tabouret près du bar.

— Alors c’est toi qui demandes à tout le monde des renseignements sur la Lumière ?

Ædemor sursauta. La voix venait du fond de la taverne. Cinq personnes attablées, une femme et quatre hommes. Armures de cuir et cottes de mailles, épées courtes et hachettes, ce ne sont pas de simples voyageurs, pensa le chevalier. La jeune harpiste et son compagnon plièrent leurs affaires et quittèrent prestement leur estrade.

— Je veux pas d’ennuis, les gars, grommela le tenancier d’un air menaçant.

Debout derrière son comptoir, presque aussi grand que Grum et profitant d’un généreux embonpoint, le tavernier possédait le visage rougeaud d’un alcoolique et les mains épaisses et solides d’un bûcheron. Le gras et le vin tachaient son tablier autrefois blanc et sa moustache était poisseuse, mais sa voix sonnait forte et claire et ne souffrait d’aucune hésitation. L’homme savait à qui il avait affaire et avait à cœur de choyer son établissement et sa clientèle.

— T’inquiète, Boz. On va pas faire de vagues, pas vrai ?

Les quatre autres ricanèrent. Ædemor vit celui qui avait pris la parole se lever, imité par ses acolytes.

— C’est pas très prudent de poser des questions quand on est une étrangère, hein ma colombe ? Surtout lorsqu’il y en a qui paient cher pour capturer ces religieux défroqués de la Lumière !

Ædemor serra les dents. Il n’aurait jamais pensé que son Culte pourrait être pourchassé si loin d’Aldradan. Encore moins que quelqu’un doive souffrir sous ses yeux à cause de la Lumière Gardienne, ou de Tyasimar ?

— Elle fait celle qui a pas peur, Hull. J’aime bien quand ça commence comme ça ! railla la femme du groupe.

— Dommage que Grail ait voulu la cueillir lui-même, ajouta le dénommé Hull. Elle a dû s’en débarrasser facilement, vu comme il était bourré.

Des chasseurs de primes, comprit Ædemor. La Talwene tournait toujours le dos quand ils arrivèrent derrière elle. Les clients accoudés au comptoir s’éloignèrent. La tension était palpable dans la salle commune. Le silence devint pesant. La scène se jouant fascinaient tout l'auditoire.

— Il a dû te proposer sa marchandise, je parie, hein ? Sa p’tite chandelle ? Une jolie fille comme toi…

Yukihina soupira bruyamment et se retourna, l’air contrarié.

— Bon. Vous allez continuer à parler longtemps, ou décider de quelque chose ? s’agaça-t-elle.

— Sale teigne !

Le poing de Hull, lancé à la rencontre du visage de la Talwene, ne rencontra que du vide. Elle s’était retirée sur le côté. Les autres coups n’eurent pas plus de succès : d’esquives en dérobades, elle déjouait les attaques maladroites. Braillant de frustration, Hull lui adressa un grand coup de pied, qu’elle détourna pour abattre la paume de sa main sur l’intérieur du genou. La secousse lui disloqua la rotule dans un craquement sonore et il s’écroula à terre en hurlant de douleur.

— Mais pétez-lui la trogne à cette garce ! beugla Hull en se tenant la jambe.

Le crissement de l’acier jailli du fourreau résonna dans la pièce. Les quatre larrons avaient sorti leurs lames.

— Cinq contre une, bande de lâches !

Les mercenaires se retournèrent. En face d’eux et à son propre étonnement, Ædemor avait brandi ses armes face à cette perfidie. Le symbole de son dieu brillait sur lui, et une lueur embrasait sa volonté.

— Qu’est-ce qu’il veut, lui ? Tu veux tâter du fer ? Y’en aura pour tout le monde !

Deux des chasseurs de primes s’élancèrent à l’assaut d’Ædemor. Le chevalier amortit la charge du premier tandis que le deuxième fut touché d’une flèche dans l’épaule, perçant le cuir de sa spallière. Galanodel s’était elle aussi dressée, couvrant la ruée de Grum qui envoya valser le blessé d’un puissant coup de maillet. Projetée à travers la taverne, la brute vint s’écraser sur une table, renversant tout ce qui était posé dessus, au grand mécontentement des clients.

Yukihina faisait face à deux combattants, acculée contre le comptoir. Une hache se ficha juste devant son visage. Elle happa un poignet et le retourna d’un geste sec, provoquant une vive douleur chez son opposant et l’obligeant à lâcher son arme. L’autre tenta de l’embrocher de sa lame, mais un coup de coude dans la poitrine le fit suffoquer et tomber à terre. Ædemor para une estocade de son adversaire et lui asséna un violent choc de bouclier qui le renversa en arrière, projetant son épée courte dans la cheminée d’où s’échappa une gerbe d’étincelles.

— Les gars, vous vous foutez de moi ? s’égosillait Hull qui s’était redressé, appuyé sur le comptoir.

— Ça suffit ! mugit le tenancier, empoignant Hull par le col de sa tunique. Toi et tes copains vous dégagez de ma taverne !

Le maraudeur se retrouva propulsé au-dehors, vite rejoint par ses complices inconscients ou blessés. Boz, aidé par quelques clients, fit place nette sous les applaudissements et les hourras du reste de l’assistance.

— Soyez contents que j’appelle pas la garde avec vos âneries ! Que je vous revoie plus ici ! clama-t-il à l’extérieur, avant de rentrer et claquer la porte.

Des habitués de la taverne et des voyageurs de passages acclamèrent les trois compagnons et la Talwene. Ædemor eut des éloges sur son escrime et sa vaillance et il reçut plus d’une tape chaleureuse dans le dos. Ce qui le frappa le plus fut que malgré les symboles de son dieu portés en évidence devant tout le monde, personne ne lui fit la moindre remarque. Ils provoquaient même une certaine sympathie de la part de ceux qui paraissaient le reconnaître.

Galanodel et Grum furent gratifiés en boissons, qu’accepta avidement le semi-Gor sous les rires de l’auditoire.

Yukihina parla au tavernier qui partit dans la cuisine en soupirant. Grum avait échappé à la surveillance de Galanodel et s’avançait derrière la Talwene, restée au comptoir.

— Dis donc, qu’est-ce que tu leur as mis !

Elle ne répondit pas, regardant droit devant elle. L’aubergiste revint avec un bol d’eau chaude qu’il plaça devant elle.

— Tu parles pas ? T’as plus de langue ? Ou t’as pas envie de me parler ? s’entêta le semi-Gor.

Elle ne semblait pas l’écouter, sortant un petit sachet de sa poche et en répandant le contenu dans le bol, répandant une odeur de fleurs sauvages. L’aubergiste regarda Grum en souriant, puis partit servir un autre client.

— Grum, laisse-la.

Ædemor s’était rapproché et arrivait avec sa pinte au bar.

— Oh ! Mais je veux juste faire connaissance.

— Pardonnez la rudesse de mon compagnon, il est un peu brusque, mais il veut bien faire.

La Talwene ne réagissait toujours pas. Grum voulut poser sa grosse main sur son épaule frêle. Elle la saisit au vol en un geste, rapide comme le vent et d’une manipulation experte, lui retourna un doigt, menaçant de le disloquer avec son autre main. Il réprima un grognement de douleur :

— Wouah  ! Lâche-moi tout de suite !

Elle parla d’une voix haut perchée, mais dure comme l’acier :

— Alors ne me touche pas.

Yukihina observa quelques instants immobiles et libéra sa prise sans lâcher du regard le semi-Gor.

— D’accord, d’accord. Faut pas te toucher, faut pas te parler. J'y vais, c’est bon.

Il s’éloigna prudemment.

— Encore désolé, on vous laisse en paix, fit Ædemor.

Yukihina fixa le pendentif qu’il portait au cou, puis elle s’en retourna à sa décoction.

Grum avait retrouvé sa bière et sa bonne humeur, sa mésaventure déjà oubliée. Il parlait crânement avec Ædemor des futures parties de chasse qu’ils se feraient en route. Galanodel participait sobrement à la discussion, tout en surveillant du coin de l’œil la Talwene au bar.

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