La Citadelle (Partie 4)

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L’Esprit Gardien de Marchwavald avait finalement succombé, après toutes ces années. Le devoir et la foi lui avaient fait traverser les siècles pour accomplir son destin. Ædemor ramassa le symbole tombé à terre, gisant dans une flaque de sang évanescent. Il le regarda dans le creux de sa main. Cet objet insignifiant était à l’origine de tant de morts et de peines. Le chevalier Valnyr de Luta tué par l’Inquisition et sa petite fille Jeani exécutée par les assassins de l’Aile Sombre. Il avait baigné dans le sang de Mazaric et avait fait couler celui des suivants du Culte de la Lumière Gardienne. Il avait goûté celui du jeune homme, embarqué sur le fleuve Guenes par cette nuit incertaine. Et maintenant celui d’une légende, l’Esprit Gardien de Marchwavald, le prince Orkham de Jemeliah.

Combien d’innocents devraient encore mourir devant lui avant que le monde ne soit sauvé du retour de Morgastar ? Serait-il prêt à en sacrifier d’autres, ses compagnons, voire lui-même ? Aurait-il le courage de faire ce choix, le choix de tout offrir, lui qui avait vécu son existence entière avec la peur de tout perdre ? Même avec Tyasimar à ses côtés, il sentait que la tâche serait ardue. Ces pensées le tourmentaient. Il se décida à briser le silence.

— Alors ous devons sauver le monde ?

— Fait pas comme si tu savais pas, hein, ironisa Grum. Ça me semblait évident depuis qu’on est parti de Ferziliath.

— Si tu avais la moindre hésitation, j’imagine que les paroles de cet Esprit l’ont effacé, renchérit Yukihina.

— Et encore, je pense qu’après notre rencontre tu aurais pu t’en douter. Le mal qui ronge Cyseam ne peut pas être ignoré, ajouta Galanodel.

— Mais vous n’avez pas peur ? Je veux dire… vous pouvez toujours partir !

Les trois compagnons fixèrent le jeune homme pétri d’angoisse avec une compassion commune.

— Ed, je te lâcherai pas. T’es mon pote, et je t’aiderai aussi longtemps que je voudrais de toi. Ou l’inverse, grogna Grum.

— Je dois retrouver mon maître, murmura Yukihina. Et toi, avec les autres, vous représentez la meilleure piste que j’ai. Peut-être même la seule. Si pour le trouver je dois te seconder pour sauver le monde, il en sera ainsi.

— Gal ? T’en penses quoi ? demanda le semi-Gor.

La Valwyne se figea en apercevant le colifichet de perles, puis répondit, imperturbable :

— Depuis le début, je suis persuadée que le hasard, ou le destin, vous ont placé sur ma route, que j’ai un rôle à jouer à vos côtés. Et encore plus maintenant alors que notre chemin nous ramène de là où nous sommes partis.

Ædemor s’empourpra. Il n’avait pas ressenti une telle cohésion autour de lui depuis la chaleur de son foyer disparu à Aldradan. Quelque chose en plus naissait dans son cœur, de plus profond, de plus sincère que de simples liens avec des voyageurs de passage : de l’attachement, de l’amitié.

— Allez, soit pas gêné ! s’amusa Grum. Je vais pas te passer la bague au doigt !

Le jeune homme gloussa alors que la main épaisse du colosse vint lui faire une tape sur l’épaule.

— Il nous faut donc aller à Cyseam, conclut Ædemor. Là où le Déclin est apparu. Morgastar est peut-être derrière tout ça, qui sait ?

— Nous verrons bien, glissa Galanodel. En attendant, sortons d’ici.

Ils allumèrent une torche et remontèrent les marches pour déboucher dans la crypte. L’atmosphère y était moins pesante. Ils pressèrent le pas vers la nef du sanctuaire éventrée, grimpant rapidement l’escalier menant à la surface.

En arrivant sous le ciel de cendres, l’odeur d’incendie les prit immédiatement à la gorge. Ils escaladèrent les derniers degrés et constatèrent avec effroi qu’un gigantesque mur de flammes rouges ceinturait le temple.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? gronda Grum, dégainant son maillet de pierre.

— Ah, voilà nos invités ! lança une voix perçante.

Cinq silhouettes se détachèrent des feux et se dirigeaient vers eux. Trois appartenaient à des gardes de l’Empire, comme ceux qu’ils avaient croisés sur le chemin menant à la citadelle. L’une d’elles était celle d’une femme en toge, à l’épiderme couvert d’écailles rouges et portant une paire de cornes écarlates surplombant un faciès de reptile aux dents acérées. Dans son dos, deux ailes paraissaient prêtes à être déployées. À ses côtés, un petit être vaguement humain se tenait courbé, l’échine et le bras gauche affreusement déformés. Les veines courant à la surface de sa peau étaient noires d’encre et gonflaient d’un sang empoisonné les muscles hypertrophiés. Il marmonnait des mots incompréhensibles en laissant tomber de sa bouche une écume nauséabonde.

Galanodel avait déjà encoché une flèche, prête à tirer, et Yukihina était en garde. La chaleur du mur de feu leur embrumait les yeux.

— Permettez-moi de me présenter. Je suis Zenyassa, Exécutrice de l’Empereur Gorgamos d’Astaron. C’est moi qui ai placé l’enchantement sur la crypte pour dénicher la clé du tombeau que vous avez ouvert. D’ailleurs… je dois vous remercier, vous m’avez évité un interminable trajet pour la retrouver. En revanche, je me dois de vous demander ce que vous y avez trouvé.

— Les caveaux étaient vides ! proféra Ædemor. Vous devriez savoir qu’ils ont été pillés depuis bien longtemps déjà.

— N’est-ce pas le symbole de l’Esprit Gardien que vous portez ? Je sens l’entrave magique que j’ai lancée sur ce lieu réagir à sa présence… Et moi qui pensais que ce n’était qu’une légende ! Il va falloir m’en dire plus !

Zenyassa s’était rapprochée et ils purent contempler son horrible visage, à mi-chemin entre l’humain et le dragon. Sa démarche fière lui aurait donné une allure splendide si son physique n’était pas si repoussant. Sa silhouette en contre-jour de la muraille de feu lui conférait une apparence démoniaque.

Une Draconienne ! réalisa Ædemor en frissonnant d’effroi.

Se retrouver face à cette créature d’un autre temps, aussi puissante que fielleuse, éprouva sa vaillance. Il se cramponna à ses armes et s’écria :

— Nous n’avons rien à vous dire ! Laissez-nous passer !

— Je regrette, mais non, objecta-t-elle. Vous allez me suivre tous les quatre afin que….

— Bla bla bla ! coupa Grum. Arrête de jacasser et laisse-nous passer !

Le colosse avait chargé les cinq personnes en brandissant son maillet. Il esquiva l’assaut de l’un des soldats venus à sa rencontre et voulut bondir pour attaquer Zenyassa.

D’un geste, celle-ci dessina rapidement un symbole dans l’air.

Anoichtó édafos ! incanta-t-elle.

Un trou dans le sol se forma sous Grum et l’avala jusqu’à la taille. Galanodel lâcha son trait, mais celui-ci fut attrapé en plein vol par le réflexe éclair de l’être déformé accompagnant Zenyassa. Yukihina s’était élancée dans une série de pirouettes sur le dos d’un lancier, bataillant avec ardeur pour le faire tomber.

Galanodel encocha une seconde flèche, mais constata avec stupéfaction que quinze autres silhouettes de gardes se déplaçaient derrière eux, les encerclant complètement.

— Vous comprendrez que tout ce que vous avez vu et entendu dans ce caveau intéressera mon Empereur. Aussi, vous allez tout me raconter, que vous le vouliez, ou non. Et je sais me montrer persuasive, croyez-moi.

Là-dessus, levant les bras au ciel, elle dessina férocement dans les airs des symboles bleutés et murmura :

Apoleia syniedis !

Alors que leurs paupières devinrent de plomb, un à un, les compagnons tombèrent sur le sol poussiéreux et le groupe entier fut noyé dans les ténèbres de l’inconscience.

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