Le Déclin (Partie 2)

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Grum humait l’air, mais le vent dans son dos l’empêchait de sentir la moindre odeur suspecte. Ædemor s’approcha et traversa les fourrés à grandes enjambées. Quelque chose n’allait pas. Une impression morbide. Son cœur fit un bond dans sa poitrine. Il allongea le pas et arriva presque en courant aux pieds de l’arbre.

Le semi-Gor et la Valwyne le suivaient de près. Cinq cadavres jonchaient le sol, deux femmes, trois hommes. Des gens arborant sur leur tunique le symbole sacré de Telantes, la lumineuse déesse de la miséricorde et de la compassion. Mutilés. Massacrés sans pitié. Ædemor se tenait debout devant le cadavre suspendu.

— Il s’est passé quoi ici ? C’est quoi ce carnage ? fit Grum.

— Bonté divine ! C’est… Othar, répondit le jeune homme, désignant le pendu dans un hoquet. C’était un novice de la Lumière Gardienne. Je le connaissais bien. Il a dû fuir vers le sud avec ces gens en leur cachant son identité. Mais ceux qui ont fait ça… ce ne sont pas les assassins qui me poursuivent.

Galanodel contemplait la scène, la tristesse et la souffrance qu’elle ressentait peignaient son visage en un masque de chagrin. Elle inspecta les dépouilles, leur mort datait de la veille.

— Qui a pu faire une chose pareille ? demanda-t-elle.

Ædemor se tourna, les larmes aux yeux. La voix fébrile, il répondit :

— Ceux auprès de qui tu veux toucher ta prime. Ceux qui rêvent de voir la Lumière Gardienne s’éteindre à jamais. L’Ordre des Quatre Lunes. Il n’y a que ces chevaliers sans âme qui sont capables de tuer ceux qui se dressent en travers de leur objectif. Ils ne reculent devant aucune atrocité pour faire régner leur soi-disant justice !

Le jeune homme tomba à genoux, dans la poussière et le sang. Une vague de désespoir lui avait ôté toute force. La main de Grum se posa sur son épaule.

— C’est ça que tu veux, la Valwyne ? On est pas blanc comme neige, mais si tu nous vends à eux, tu vaudras pas mieux ! Sans honneur ! vitupéra le colosse.

Galanodel ferma les yeux. La vue du carnage l'éprouvait visiblement. Elle inspira longuement.

— Partons d’ici en vitesse. Ceux qui ont fait ça peuvent être encore dans les environs, annonça-t-elle. Allons à couvert.

Grum acquiesça et souleva de terre Ædemor en l’empoignant par le bras. Tous trois filèrent à l’ombre d’un grand saule.

— Alors, tu décides quoi ? demanda Ædemor en reprenant son souffle.

La Valwyne plongea ses yeux dans ceux du jeune homme.

— Je ne souhaite pas prendre parti. Je jugerai vos dires en temps voulu.

— On a pas besoin de toi pour continuer, hein ! On peut très bien arriver à Farzilieth tous seuls, réagit Grum.

— C’est Ferziliath, Grum, fit Ædemor, souriant faiblement.

— Ouais, on peut y aller aussi.

Galanodel ignora la réplique.

— Nous éviterons Montaupré. Nous nous débrouillerons sur la route pour rester discrets. Et survivre.

Devant leurs regards circonspects, elle ajouta :

— Je vous donne ma parole que je ne vous trahirai pas.

Ils firent alors un détour qui leur coûta quelques heures de marche supplémentaires. Les sentes de traverse ondulaient dans de petites combes où s’écoulaient parfois des ruisseaux sonores. La Valwyne les guida jusqu’à ce que le soleil baisse. Le paysage se dégagea enfin à la sortie d’un bosquet de frênes, découvrant à plusieurs kilomètres derrière eux le hameau redouté.

— Merci, Galanodel, soupira Ædemor. Je… nous t’en sommes reconnaissants. La Lumière Gardienne te bénisse.

— Vous me remercierez plus tard. Nous avons encore de la route jusqu’à la tombée de la nuit.

La journée déclinait et le vent devenait frais. Parfois, un lapin apeuré détalait devant eux, se réfugiant dans un buisson de genêt. Le chemin était agréable et déliait la parole de la Valwyne.

— Hier soir, vous m’avez interrompue lors d’une de mes patrouilles. J’ai dit aux miens que je n’assurerais plus ce rôle désormais. J’ai prévenu mon compagnon Eliogas, et…

— Eliogas… LE Eliogas ? coupa Ædemor.

Galanodel ouvrit des yeux ronds d’étonnement.

— Vous… tu… le connais ?

— La Flèche Noire de Valprofond ? Tout le monde connait ses histoires ! C’est lui qui a débarrassé les Duchés du Nord des Ogres Murmakai ! À lui tout seul ! Je pensais que c’était juste une légende pour enfants !

— Eh bien oui, c’est bien lui. Et je pense que vos histoires ne lui rendent pas autant hommage que les nôtres. Mais… c’était il y a bien longtemps. Bien avant le Déclin.

— Le Déclin ?

Galanodel respira profondément. Le récit qu’elle s’apprêtait à raconter pesait lourd dans son cœur.

— J’étais la fille de l’Oratrice du Soleil de Reamwen. Je jouais parmi les branches du Grand Mesrel et y écoutait les plus brillantes mélodies et les plus sublimes poèmes d’Opalys. Il y a plus de vingt ans de cela, trois dragons sont arrivés et ont tout ravagé. Triskalar, Mefiskal, et Niaskaia ont dévasté la cité et ont décimé notre peuple. Ma mère a défendu la cité au prix de sa vie. Leur alliance avait pour seul but la profanation du Cœur de l'Arbre Soleil. Nul ne sait comment ils ont procédé, mais depuis, une infâme corruption se répand des plaies de l’arbre blessé et déforme toute la vie qu’elle contamine. Le Déclin a sonné dans la forêt de Cyseam et malgré nos efforts, nous sommes impuissants à le repousser.

— Et tu penses que c’est avec nous que tu vas y arriver ? Parce qu’on va pas vraiment dans la bonne direction, tu crois pas ? demanda Grum.

— Non, vous… tu as raison. Mon intuition me dit que l’aide ne peut venir que de l’extérieur de Cyseam. Tôt ou tard, le Déclin gagnera les royaumes humains. Et quand cela se produira, ce sera terrible.

— Mais et les autres Valwyns ? Tu ne vas pas leur donner un coup de main ? demanda Ædemor.

— J’ai passé la main à mon ranili, mon chef des patrouilleurs, Eliogas. Il saura quoi faire. Nous ne sommes plus assez nombreux pour freiner le Déclin. Les Valwyns sont dispersés dans Cyseam. Certains ont fui hors de la forêt.

— Et ce Theren dont tu parlais avec Eliogas, c’est qui ?

— Il est comme mon frère. Nous avons été séparés lors de l’attaque et je ne l’ai jamais revu.

Plusieurs jours passèrent ainsi sur le chemin. En traversant les marécages des Landes Brunies, ils croisèrent plusieurs caravanes de marchands et de colporteurs dont les regards étonnés les dévisageaient. La compagnie d’un humain, d’un semi-Gor et d’une Valwyne voyageant ensemble n’était pas monnaie courante.

Ils parcoururent les routes méridionales jusqu’aux frontières du royaume d’Eaudormante. Les marais laissèrent place aux vastes étendues herbeuses des plaines de l’Eldenore, grand fleuve du sud d’Opalys. Le temps s’était brusquement dégagé et la brise maritime soufflait avec plus de force, de sorte que le brouillard avait complètement disparu.

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